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Oubliés de l’Amas (Les)
Floriane Soulas
Pocket, Science-fiction, roman (France), 826 pages, octobre 2023, 12,40€

29e siècle. Après un accident de labo, Ekaterina laisse derrière elle sa carrière de physicienne experte des magnétosphères pour partir à la recherche de son jumeau, Pavel. Ses dernières traces l’ont conduite vers Jupiter, la planète qui le fascine depuis leur enfance. Sur l’Amas, agrégat de carcasses de vaisseaux / prison / zone de non-droit, Kat enquête discrètement pour intégrer le milieu d’une course de vaisseaux très dangereuse. Avec l’aide de Jaspe, une mécanicienne vénusienne qui a ses entrées partout, et guidée par un artefact ramassé parmi les débris stellaires, Kat réalise que sa quête va la mener, chose impossible, jusqu’à la surface de Jupiter, ce monstre inviolé dont personne n’est jamais revenu, sauf en poussière.



Troisième roman de Floriane Soulas, bien plus long et dense que les précédents, les « Oubliés de l’Amas » est un space opera pur jus qui a raflé le prix Utopiales 2022. À plus d’un titre, c’est mérité : le roman coche toutes les cases d’un genre dont le cinéma hollywoodien s’est largement emparé. Toutes les cases, y compris celles des clichés et des faiblesses. Nous y reviendrons.

Scénaristiquement, on notera les progrès de l’autrice : tout s’enchaîne assez logiquement, il y a une belle progression causes/conséquences, et malgré parfois un petit côté mécanique point&click « ceci-m’amène-à-cela-etc » et une quasi-absence d’opposition d’autres forces en présence, on suit plutôt agréablement Kat dans sa découverte de l’Amas et des traces laissées par son frère.
Ekaterina est un personnage plutôt bien construit, brillante physicienne, limite génie, à la carrière brisée par le machisme (cf le déplorable chapitre 5 qui montre qu’en 2870 un scientifique mâle surclassé par une femme réfléchira encore et toujours avec son gros kiki qui le rend supérieur, quelle finesse). Guidée par la voix de Pavel dans sa tête, leur lien gémellaire, elle a fui sa vie d’avant qui se cassait la figure pour venir sur l’Amas à son secours. un voyage plus ou moins bien préparé, comme on le découvre peu à peu. On peut être très intelligente mais pas fut-fut. Et c’est parfois peu dire, tant Kat peut se révéler inadaptée à certains aspects sociaux, notamment dans une zone périphérique comme l’Amas. Elle réalise au bout de 150 pages et 9 mois sur place qu’elle n’avait pas pensé que son frère avait pu changer de nom... Ou se renseigner sur le milieu des courses avant de débarquer sur l’Amas... Mais elle a su employer son génie des maths pour rafler la mise dans les tripots, en relative discrétion. En fait, toute entière tournée vers sa quête, Kat se met en permanence des œillères qu’elle ne retire que lorsqu’une étape est nécessaire pour avancer.

L’autre grand personnage féminin du roman est Jaspe, la grande Vénusienne au bras mécanique, mécano de génie elle aussi, figure incontournable de l’Amas, qui va ouvrir de nombreuses portes à Kat, partageant son désir d’aller sur Jupiter. Pour Jaspe, c’est la possibilité d’y retrouver notamment le Queen Béryl, un croiseur de légende, le première à avoir tenter de pénétrer l’atmosphère de Jupiter, une sorte de navire corsaire de l’espace de légende.
Et ça tombe plutôt bien, Kat a récupéré dans les débris recrachés par la planète un artefact aux armes d’Ossun de Cassini, la capitaine du Queen Béryl. Un casse-tête de bois qui recèle de nombreux secrets bien cachés, et qui attise les convoitises.
Bon, il n’y a à peu près que notre héroïne pour ne pas déceler la vraie nature de Jaspe, malgré les indices disséminés sous ses yeux. Je ne dévoile pas.
Le roman fourmille de personnages secondaires, gentils et attachants ou cruels et déplaisants, qui d’une façon ou d’une autre vont faire avancer Kat, rarement lui mettre des bâtons dans les roues, parce que tous désirent ouvrir la voie vers Jupiter, dira-t-on, et non par simple facilité scénaristique.

L’action évolue au fil des nouveaux lieux découverts par Kat, avec parfois un accent horrifique très net (Le Queen) à la limite du grand-guignol des productions d’il y a des décennies (et remises au goût du jour par Alex Garland) (les Proriens et leurs plantes), jouant sur la sensation d’enfermement, l’obscurité et l’inconnu. C’est plutôt bien fait. L’univers de la course spatiale est un grand classique à la fois dans le jeu vidéo (qui n’a pas maudit l’épreuve des anneaux ?) et renvoie à des images mythiques comme la course de modules de « La Menace fantôme » davantage qu’aux courses automobiles, de « Jours de Tonnerre » à « Le Mans ». Là encore, on y croit malgré certaines facilités.

Somme toute, « Les Oubliés de l’Amas » est plutôt prenant, et pour peu qu’on se laisse porter par les découvertes de cet univers foisonnant et les rebondissements de la quête de Kat, assaisonnés de nombreux effets spéciaux qu’on imagine sans mal à l’écran, c’est une lecture assez plaisante, divertissante comme une série à grand spectacle dont elle reprend tous les codes, jusqu’au duel du grand finale et l’ouverture (totalement superflue) dans l’épilogue. C’est plein de bons sentiments, l’attachement fraternel (l’écho avec Jaspe/Sérénity), la solidarité qui contrebalance un univers du chacun pour soi...

Mais... Il y a un mais, plusieurs même, malgré mes efforts cela faisait plus que transparaître...

Le danger d’un space opera, c’est de se prendre pour de la SF, voire de la Hard Science. Choisir une héroïne scientifique, déverser ponctuellement des explications sur les magnétosphères, c’est prendre le risque de se prendre les pieds dans le tapis en racontant n’importe quoi sur des choses basiques (ex avec la friction, pp. 538-636), et briser l’immersion du lecteur qui a dépassé le programme de physique de primaire. Et une fois le seuil d’incrédulité franchi, difficile de revenir en arrière.
Un space opera, c’est une aventure, et à peu de choses près, Floriane Soulas aurait pu nous raconter une histoire de pirates au bord du Triangle des Bermudes. Je crois même que cela aurait été moins risqué et tout aussi efficace. L’espace, le vide, l’avenir dans 10 siècles, c’est comme les champignons, quand on est pas sûr (ou qu’on y connait rien), mieux vaut ne pas y toucher. Le discours sur l’IA, au cœur de l’intrigue, est tellement caricatural, tellement contemporain, qu’on se demande comment en 1000 ans rien n’a bougé.
L’autrice est pourtant détentrice d’un doctorat en génie mécanique...

Au cinéma, on n’a pas le temps de se poser des questions, pas les moyens de revenir en arrière vérifier un truc. Dans un roman, si. Hélas. Et on peut donc questionner plein de trucs :
- des grands, comme l’aberration qu’est l’Amas. Une décharge spatiale ? Au 29° siècle on ne recycle pas les vaisseaux ? Un agrégat où se réfugient les laissés-pour-compte ? Si l’oxygène est produit par le lierron, une plante un peu endémique (qui supporte 6h de vide glacé pour les 3 jours !), d’où proviennent l’énergie, la nourriture, l’eau ? On voit quelques trafics à l’occasion de la course, mais c’est loin d’être suffisant. Et la gravité interne ? Les zones zéro G ? La plante chez les Proriens qui a réussi à fusionner avec l’interface d’un caisson de survie ?
Bref, dès qu’on gratte, un peu, beaucoup, rien ne va. La science est une variable d’ajustement de l’intrigue et ses rebondissements
- des petits, dont j’ai mis un relevé ci-dessous. L’autrice a un certain talent pour écrire une chose, et son contraire entre deux lignes et une page après. Que certaines n’aient choqué ni ses beta-lecteurs ni son éditeur est un vrai mystère.
- les « heureuses coïncidences », comme Kat qui entre en possession de l’artefact avec le message de son frère. Artefact craché par Jupiter dans un tempête de débris. Toute l’intrigue repose dessus, c’est dire le château de cartes...

« Les Oubliés de l’Amas » est donc un roman pop-corn, à dévorer sans se prendre la tête, comme toute la production de space-op, pardon, « SF très grand public », dont Hollywood nous abreuve depuis « Star Wars », et plus encore depuis que Disney a mis le grappin dessus. Un espace de carton-pâte, un décor juste bon à faire péter les effets spéciaux, se permettre des trucs qui ont l’air intelligents selon le principe du TGCS [1]. L’autrice, non sans talent ni compétence, je tiens à le souligner, arrive à nous entrainer 800 pages durant dans la quête dévorante de son héroïne, son exploration d’un monde étrange et hostile, prenant des coups jusqu’à la fin. Elle s’empare de tous les archétypes du genre, puisant à de multiples sources (littérature, jeu vidéo, cinéma), pour produire une sorte de quintessence, un concentré qui enchantera les amateurs, néophytes ou chevronnés. À ce titre, c’est réussi, jusque dans les excès et les travers.
Néanmoins je dois être un client difficile, et j’aurais attendu d’un prix Utopiales et d’un pavé de 800 pages chez un éditeur pour (jeunes) adultes qu’on fasse davantage appel à mon intelligence et un peu moins à ma crédulité aveugle.


Titre : Les Oubliés de l’Amas
Autrice : Floriane Soulas
- Grand format :
Couverture :
Éditeur : Scrineo
Collection : SF
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 640
Format (en cm) : 22 x 14
Dépôt légal : octobre 2021
ISBN : 9782367409221
Prix : 21 €
- Poche :
Couverture : Pascal Casolari
Éditeur : Pocket
Collection : Science-fiction
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 7351
Pages : 826
Format (en cm) : 18 x 11 x 4
Dépôt légal : octobre 2023
ISBN : 9782266333238
Prix : 12,40 €


Les petits trucs qui brisent l’immersion, liste hélas non exhaustive :
- page 11 (la première) : courir dans le vide, sur une carcasse de vaisseau, avec des bottes magnétiques...
- 62 : on conseille à Kat de mettre une serrure à la porte de sa cabine. Elle a déjà 4 verrous à code. Comment une serrure, mécanique ou numérique, serait plus sûre / plus difficile à hacker/forcer ?
- 86 : toutes les 72h, l’Amas est dépressurisé pour « nettoyer l’air » et ralentir la croissance du lierron (par anoxie). Outre un fusil de Tchekov totalement sous-employé, c’est une aberration physique et énergétique. Ailleurs, on signale que les évadés de la prison ou des inconscients qui s’égarent sont parfois retrouvés dans des couloirs abandonnés, morts de faim. Non, ils sont morts asphyxiés... voire changés en confiture si il n’y a plus du tout d’atmosphère.
- 155 : « Changer de nom. (..) C’était si évident, si simple, pourquoi n’y avait-elle pas pensé ? » Oui, Ekaterina qui se fait appeler Kat, pourquoi tu n’y a pas pensé ?
- 161 : à la rencontre avec Mirage, long laïus plaqué pour présenter les IA et l’implication des Vénusiens. Kat ne semble pas envisager une seconde qu’un drone puisse avoir un programme conversationnel équivalent à une enceinte connectée de 2020, c’est forcément une IA potentiellement tueuse.
- 179 : « La planète réduite en poussière par les explosions nucléaires avait quasiment été rendue impropre à la vie. Seul son pôle Sud restait habitable. » Cette phrase fait saigner des yeux au moins 2 fois.
- 185 : enfant, Kat prend mal au cœur à regarder une projection 3D du système solaire. Page suivante : « La réalité augmentée la rassurait, elle y avait un contrôle total. » Sauf sur son estomac, alors ?
- 202 : le chemin pour rejoindre le hangar de course passe par des zones sans oxygène sans qu’elles passent par des sas.
- 204 : il y a des zones 0 gravité au cœur de l’Amas. Cela repose la question de ce qui produit de la gravité dans cet agglomérat de carcasses (sans parler de l’énergie)
- 238 : courir dans une zone privée/faible en oxygène (bon, avec un masque), au mépris total du fonctionnement du corps humain
- 324 : Kat fait 1m52. Je crois que c’est la première fois qu’on signale qu’elle n’est pas très grande, malgré les questions de combinaisons, de couloirs tortueux, etc.
- 347 : on cite Jules Verne en précurseur du voyage dans l’espace, 1000 ans après sa publication, cela fait plaisir de voir que certains classiques traversent littéralement le temps.
- 400-402 : l’équipe de Proris vient tantôt de Callisto, tantôt de Callipso...
- 537 : malgré la tempête magnétique destructrice, on peut envoyer des sondes sur Jupiter, et la comm passe bien. Du bon matos, qui « réussit à supporter ces chaleurs extravagantes (de la thermosphère, 800°, page suivante), elle n’aurait pas de soucis à survivre aux -73° de la stratosphère ». Je veux la même isolation...
- 538 : « ce ne sont pas les frictions qui causent l’échauffement, mais la vitesse de la sonde »...« sa vitesse transforme la vapeur en plasma sous forme d’une couche qui entoure la structure, ce qui dégage de la chaleur et chauffe la sonde ». Oui, donc la définition même du phénomène de friction
- 544 : « ...le croquis suivant. Une pyramide à cinq côtés »... « rapidement, la pyramide à quatre côtés prit forme »... « en quelques mouvements, Kat réussit à achever la formation du casse-tête ». Il y a quelque chose de physiquement impossible : ou elle parle d’une pyramide à 5 faces (4 côtés et une base carrée) ou elle transforme un solide à 4 faces en solide à 5 faces « en quelques mouvements » ; Mais reconnaissons que ce mystérieux artefact, qui prend d’autres formes, est très étrange...
- 549 : Kat déclenche un EMP est fout une bonne part de l’Amas en carafe. Spoiler : Jaspe reboote, Kat tilte enfin (le lecteur a compris avec certitude depuis au moins 100 pages et l’épisode chez les Proriens)
- 556 : on est dans les 10 minutes après l’EMP, et Jan, par le bouche-à-oreille, a déjà plein d’infos sur des décisions prises en conséquence (« la prison a demandé à Edimon d’enquêter, mais il refuse de les recevoir »)
- 599 : début de la course. Entre la dépressurisation du hangar, le décollage et le départ depuis le hangar, tout est un peu flou...
- 607 : « Le Feu Blanc avec sa forme cubique »... « sa forme peu aérodynamique ». on est dans l’espace, il n’y a pas d’aérodynamique.
- 616 : le Remora est collé sous la coque du Radiant. Dommage, il a en fait été abattu page 606... (c’est en fait le Feu Blanc)
- 636 : « les frictions dues à la vitesse de pénétration du vaisseau dans l’atmosphère » Ah tiens, là ça frotte ? cf 538
- 641-642 : nouvelle EMP, mais Jaspe ne tombe pas en rade ?
- 660 : le nom de Pavel est écrit sur la tableau de l’Astrion. Sauf qu’il se faisait appeler Tito. Tout comme Albane qui l’a toujours connu (et intimement) sous ce nom l’appelle désormais Pavel.
- 661 : « Quelles étaient les probabilités que deux objets aussi rares atterrissent sur l’Amas et soient récupérés par une paire de jumeaux ? » ou quand l’autrice elle-même admet que le postulat de son intrigue ne tien pas debout
- 753 : Arsène a produit un avatar de Pavel mais d’après son apparence d’avant leur rencontre. Tout comme un peu plus tôt, Kat reconnait le corps carbonisé de son frère malgré les modifications corporelles (prothèses esthétiques) qu’il a subi et dont elle n’a vu qu’une photo et quelques vidéos.


Nicolas Soffray
9 février 2024


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