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Révélation (Wayward Pines, épisode 1)
Blake Crouch
Gallmeister, Totem, n° 266, traduit de l’anglais (États-Unis), thriller, 361 pages, janvier 2024, 7,90 €


Un homme reprend conscience au bord d’une route, au bord d’une rivière. Derrière lui, la montagne, devant lui, une petite ville perdue au milieu de la forêt. Il ne sait plus qui il est. Blessé, il parvient à gagner l’hôpital local, où ses souvenirs reviendront peu à peu. Il se nomme Ethan Burke, ancien pilote d’hélicoptère Blackhawk dans les forces armées américaines, à présent agent fédéral. Il arrivait tout juste à Wayward Pines pour investiguer sur la disparition de deux de ses collègues dans le secteur. Son véhicule a été percuté par un chauffard, lequel s’est enfui. Son binôme été tué dans l’accident.

Rien que de très rationnel, donc. Mais rapidement les choses dérapent. Au café local la serveuse qui le trouve en déroute – dans l’accident, son portefeuille et son téléphone ont été perdus – lui donne sa propre adresse au cas où il aurait besoin d’aide. Mais cette adresse est celle d’une maison abandonnée où Ethan Burke découvre le corps de l’un des deux agents disparus. Dès lors, ce qui semblait seulement confus tourne au cauchemar : au téléphone, Ethan Burke, qui n’est pas parvenu à joindre sa famille, ne parvient pas non plus à joindre son supérieur hiérarchique ; une nouvelle secrétaire fait barrage ; Ethan a beau lui expliquer qu’il a retrouvé le corps de de son collègue, manifestement assassiné, cela ne semble pas l’émouvoir. Pope, le shérif local, refuse de croire Burke : non seulement ce dernier se trouve incapable de prouver son identité, mais la serveuse semble ne jamais avoir existé. Ethan vole une voiture mais ne parvient pas à quitter les lieux : les petites routes qu’il emprunte le ramènent à Wayward Pines.

« Plus on en sait, plus ça devient étrange, et moins on en sait. »

Est-ce le réel qui se trouve en proie à d’inexplicables singularités ou tout simplement Ethan qui, peu à peu – maladie mentale ou traumatismes répétés – se déconnecte du réel ? Banale dissociation schizophrénique pour un individu dont le métier d’agent secret, dans ses souvenirs, n’est peut-être qu’un tout aussi banal fantasme ? Et pilote d’hélicoptère Blackhawk, n’est-ce pas un fantasme également ? Blessé et prisonnier à Falloujah, Irak, lieu de sinistre mémoire, mais de mémoire si collective que ces souvenirs-là pourraient eux aussi être une illusion ? Le labyrinthe des routes qui toutes ramènent à Wayward Pines ne serait-il pas celui de son propre cerveau ?

« Il a prévu que tout ceci conduirait à une anagenèse tachytélique. »

Difficile d’en révéler plus sans gâcher le plaisir du lecteur qui à la suite d’Ethan Burke découvrira bien d’autres singularités encore. Car Burke, à la fois perdu et tenace, à la fois déboussolé et obstiné, ne lâche pas prise. Dans une ambiance angoissante, avec des aspects de fragmentation du réel à la Philip K. Dick, avec le temps lui-même qui semble sujet à des distorsions singulières, Ethan Burke, comme dans un cauchemar éveillé, cherche à démêler les fils de son étrange aventure.

Plutôt que littéraire, l’ambiance de ce « Wayward Pines » est celle d’un feuilleton télévisé. Dans sa postface, l’auteur explique ce qu’il doit à la série « Twin Peaks » de David Lynch et Mark Frost, mais on peut penser aussi à d’autres séries, y compris bien plus anciennes, comme « Le Prisonnier » (1967-1968) de George Markstein et Patrick Mc Goohan. Il est vrai que la thématique d’une petite ville américaine bien trop tranquille pour être véritablement honnête, et dont tous les habitants, peut-être, sont unis par d’impénétrables secrets, fonctionne toujours – que ces secrets soient d’ordre dystopique ou surnaturel, de nature scientifique ou fantastique, ou résultent d’un indéfinissable mélange de tous ces éléments. Aussi ne sera-t-on pas très surpris de trouver bien des similitudes dans le roman « American Elsewhere » de Robert Jackson Bennett, plus dense et plus écrit, qui a été publié en langue originale en 2013, soit juste un an après ce premier volume de « Wayward Pines ».

Car « Révélation  » est à l’évidence conçu pour une lecture à la fois rapide et facile : ses trois-cent-soixante pages sont très aérées, d’une part en raison de nombreux dialogues, d’autre part parce que l’auteur, plutôt que de faire des paragraphes, va sans cesse à la ligne. Désireux d’en savoir plus, de lever le voile sur cette série d’énigmes, le lecteur avance donc très vite, découvre une révélation d’envergure, et conclut sur un épilogue doux-amer parfaitement réussi. Ce qui peut conduire à se demander si, comme pour beaucoup de trilogies, s’arrêter en fin de premier volume n’aurait pas été plus prudent pour l’auteur. Mais tel est le propre des séries : à chaque fois, la curiosité est suffisamment éveillée pour que le lecteur décide d’aller plus loin. Pour creuser un peu plus les mystères de cet étrange univers, il faut donc attendre les deux volumes suivants, « Rébellion  » et « Destruction  ».


Titre : Révélation (Pines, 2012)
Série : Wayward Pines, tome I
Auteur : Blake Crouch
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Patrick Imbert
Couverture : Matthieu Persan
Éditeur : Gallmeister (édition originale : J’ai Lu, 2015)
Collection : Totem
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 266
Pages : 361
Format (en cm) : 12 x 18
Dépôt légal : janvier 2023
ISBN : 9782404080208
Prix : 7,90 €


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Hilaire Alrune
29 janvier 2024


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