Voyage Ludique avec Vincent Miramon – Épisode 1
Sortie de « Bonne Presse » et quelques pensées sur la presse Février 2024
À quelques jours de l’ouverture du Festival International des Jeux de Cannes, Vincent Miramon se prépare à rencontrer son public et pour signer les boîtes de son jeu « Bonne Presse » sur le stand de son éditeur Débâcle Jeux.
Mais avant cela, nous avons échangé avec lui autour de la création de ce jeu et de sa vision de la presse.
Bienvenue dans le premier épisode du Voyage Ludique avec Vincent Miramon…
Bonjour Vincent. « Bonne Presse » est ton premier jeu édité. Il est sorti en boutique en octobre 2023. Comment t’es venue l’idée de ce jeu ?
L’idée vient de ma fascination pour les titres de presse fantaisistes, qui sont régulièrement publiés dans de vrais journaux très sérieux. Ce sont des titres qui, en général, vont du glauque au très drôle, sans aucune valeur journalistique mais qui dépeignent un monde absolument surréaliste. Et il en paraît beaucoup, en fait.
Prenez ceux-ci par exemple, publiés dans nos grands quotidiens : « Elle roule avec une piscine gonflable sur le toit et ses enfants dedans. » « Il empaille son chat et le transforme en hélicoptère télécommandé. » « Elle lit l’avenir dans le cassoulet. »...
Ça m’amuse d’imaginer le journaliste, ce jour-là, qui veut détendre l’atmosphère, et le rédacteur en chef, derrière, qui dit « Ok, super titre, je valide ! ». Je me suis dit que ça devait bien rigoler en salle de rédaction, alors pourquoi ne pas proposer ce concept autour d’une table de jeu ?
Voilà donc le décor du jeu posé : une salle de rédaction, une dépêche improbable qui tombe, et des journalistes stagiaires qui doivent pondre le titre qui fera la Une.
Les jeux de société « de mots » peuvent être clivants. Toi, tu proposes carrément de la « rédaction ». N’as-tu pas peur de voir des personnes bloquées par cette contrainte ? Lors de tes tests en festivals, qu’as-tu rencontré comme réactions sur ce point ?
Au fur et à mesure des tests, l’une des satisfactions était de voir que le jeu tordait le cou à cette idée qui dit « jeu de production d’écrit = jeu clivant pour intello ». J’ai dû faire plus de 200 parties, avec des publics très diversifiés. Pas seulement en festival ou bar à jeux, mais aussi auprès de familles, dans des écoles, et même dans un EHPAD. Et ce que j’observe, ce sont des gens qui se piquent au jeu très vite et qui s’amusent. Ce sont des sourires en coin dès l’explication des règles ou lors de la révélation du matériel, c’est le plaisir d’écrire des bêtises et de les partager tout autant que de trouver le titre qui fera mouche… Donc la contrainte « rédaction » n’est pas apparue spécialement bloquante. Pourquoi ? Certainement parce que les règles du jeu sont très simples, qu’elles invitent à la fantaisie et surtout, qu’elles autorisent chacun à aborder le challenge à son échelle.
Quel a été le processus de conception du prototype de « Bonne Presse » ?
Une fois l’idée générale trouvée, c’est-à-dire « inventer un titre d’article pour un magazine donné, en incluant des mots imposés », j’ai d’abord imaginé des thèmes de magazines. Ensuite il a fallu constituer un stock de mots, en veillant à sélectionner ceux qui se prêtaient le plus au décalage humoristique, mais aussi des mots ouverts aux sens multiples et suffisamment évocateurs.
Je me trimbalais partout avec mon carnet, je passais au peigne fin toutes les phrases entendues ou celles que je prononçais moi-même dans la journée, à l’affût du mot parfait.
Une semaine après, le premier test a eu lieu, au festival Oloron Joue 2022. Et j’ai été agréablement surpris de ce qui se passait autour de la table, entre les franches rigolades et l’effet « on en refait une ! ». Le proto fonctionnait. C’était donc le début de six mois de tests, durant lesquels je me suis aperçu que le jeu se prêtait à des publics très divers, et fonctionnait tout autant qu’il s’agisse d’une soirée d’étudiants ultra potache, de moments conviviaux en famille ou de l’atelier d’écriture de Tati Jeanine. Et bien évidemment, j’ai conservés tous les titres récoltés !
À quel moment t’es-tu senti prêt pour présenter le jeu à des éditeurs ?
Assez rapidement, car le jeu fonctionnait simplement et n’exigeait pas d’équilibrage trop poussé. Dès lors que les premiers tests m’ont paru concluants, je me suis aussi assuré que le jeu n’existait pas déjà, puis j’ai tourné la vidéo de présentation et je l’ai envoyée à des éditeurs.
Quelle a été ton odyssée entre tes premières présentations aux éditeurs et la rencontre avec Débâcle Jeux pour la signature ?
Elle a été courte puisqu’en réponse aux premiers envois, certains éditeurs ont demandé un exemplaire pour tester. Dont Débâcle Jeux. Je les avais contactés car sur leur site internet, était écrit qu’ils souhaitaient « mettre en avant des auteurs locaux » (Occitanie). Je ne suis pas un « local », mais vu mon accent, je me suis dit qu’il y avait un truc à tenter… et ça a marché ! Ils m’ont très vite fait part de leur enthousiasme pour « Bonne Presse », et une proposition de contrat est arrivée. Au final, il s’est passé trois mois entre l’idée de départ et la signature du contrat d’édition.
Ton travail avec Débâcle Jeux s’est-il limité à l’aspect rédactionnel et game-play ou as-tu pris part à l’aspect design artistique ?
Marianne Michel et Aurélie Raphaël, les cheffes de projets avec qui j’ai collaboré, m’ont inclus dans toutes les étapes de la conception, ce qui était d’autant plus appréciable qu’il s’agissait de ma première expérience éditoriale.
Pour l’illustration de couverture, elles ont fait appel à Claude Davancens, un illustrateur que je leur ai présenté. Claude est un artiste de talent, originaire du même village que moi. Auparavant, il m’avait gracieusement dessiné des petites illustrations pour les protos « Hikers » et « Bonne Presse ». Donc pour moi, c’était un juste retour des choses de voir apparaître son nom sur la vraie boîte de « Bonne Presse » !
Ce qui d’entrée est drôle dans le jeu, ce sont les couvertures et titres des magazines choisis pour lesquels il faudra écrire. Comment se sont faits ces choix ?
Les Unes des magazines étaient le support idéal pour donner ce ton décalé et humoristique au jeu. Donc on s’est bien amusé, oui ! Et petit secret de fabrication, au passage, certains titres sont inventés mais d’autres sont authentiques. Par exemple, « Il fait de la musique électro avec des saucisses », « Pourquoi les gâteaux mous deviennent durs et les gâteaux durs deviennent mous ? », et bien d’autres.
Quant à l’aspect visuel des couvertures, Marianne et Monsieur L’œil, le graphiste, ont veillé à respecter les codes graphiques de chaque genre de magazine. Ils ont aussi opté pour un format et un aspect « papier glacé » qui donnent une chouette présence sur table.
On marque des points selon la cohérence du titre avec le thème du magazine, son caractère humoristique, et le nombre de mots-clés utilisés. Comment as-tu réfléchi à l’équilibrage de ce scoring afin de ne pas bloquer les futurs journalistes autour de la table ?
L’idée était effectivement de récompenser tout autant l’efficacité du titre, sa cohérence avec le thème, mais aussi l’inspiration humoristique, et cela même si le titre est hors-sujet. Le scoring s’est posé ainsi, assez naturellement.
Le choix du plus drôle ou du meilleur est assez subjectif. Le but est-il vraiment de marquer des points ou de faire discuter justement autour de la table pour aboutir à une bonne partie de rigolade ?
Oui, tout ça reste éminemment subjectif ! C’est un avis personnel, mais je trouve que pour un party-game, c’est un ingrédient intéressant. J’imagine que dans une vraie salle de rédaction, la subjectivité du rédac’chef guide les débats et c’était amusant de caricaturer cela autour d’une table de jeu. Dans certaines parties, ça générait parfois un effet roleplay drôlement intéressant. Et puis évidemment, comme dans tout jeu d’ambiance qui se respecte, l’idée est de rigoler, le scoring étant secondaire.
Penses-tu que ton jeu puisse servir de jeu d’atelier d’écriture ? Devrait-il être imposé dans les écoles de journalistes ?
Effectivement, plusieurs personnes m’en parlent comme d’un support d’atelier d’écriture. Des enseignants, des animateurs sociaux culturels, notamment. Une journaliste de Sud-Ouest m’expliquait aussi qu’elle l’utilisait quand elle présentait son métier auprès du jeune public dans des écoles. J’en suis ravi ! Mais de là à l’utiliser en école de journalisme… à la limite en entretien de sélection, ce serait drôle !
Lors de tes présentations en festivals, n’est-il pas arrivé que certains titres proposés soient proches de certains vrais titres de la presse malgré leur côté pastiche ?
Oui, c’est arrivé, notamment quand le magazine People sortait. Les noms de Pierre Palmade et du Prince Harry sont pas mal revenus, j’avoue.
Es-tu un lecteur de presse ?
Je ne trouve plus trop le temps mais je balaye quand même les titres de la presse régionale en quête de pépites. Et puis je reste attaché à une revue de montagne, Pyrénées Magazine.
As-tu écrit toi-même dans de la presse ?
Non, jamais.
Ton jeu est parodique. Mais que penses-tu du traitement de l’information aujourd’hui ? De sa pertinence ? Des fake news ? De la réception faite par les lecteurs ?
Le jeu n’a pas vocation à passer quelque message que ce soit. Pour autant, l’accès totalement dérégulé à l’information est un phénomène qui me questionne.
Notre cerveau a tendance à se nourrir des informations qui lui plaisent, quitte à en perdre son sens critique. C’est très compliqué aujourd’hui de faire le tri et de hiérarchiser les informations auxquelles on accède. Certains médias nous y aident plus que d’autres heureusement.
À une autre période, je m’étais amusé à faire une petite vidéo Youtube sur le sujet, que j’avais intitulé « Regarder TF1 nuit gravement à la santé ». Bon, c’était une époque où j’étais plus énervé que maintenant.
Que penses-tu des médias ludiques aujourd’hui ? Quel serait ton média ludique idéal ?
Je trouve qu’il y a des contenus de qualité, avec parfois beaucoup de créativité et d’humour. J’aime particulièrement celui de Es-tu game. J’étais un adepte de Tric Trac et j’écoute pas mal de podcasts, comme 63/88, La Radio des Jeux, le Dé Faussé...
Quant au média ludique idéal selon moi ? Difficile… peut-être qu’il mettrait moins le focus sur l’actualité ludique que sur la culture et l’histoire des jeux de société modernes. Et bien entendu, ce serait aussi un média qui défendrait l’idée que les jeux de production d’écrit ne sont pas forcément des jeux clivants pour intello !
N’hésitez pas à suivre les pas de Vincent dans « Voyage Ludique avec Vincent Miramon – Épisode 2 ». Bientôt en ligne sur la Yozone…