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Rose / House
Arkady Martine
J’ai lu, Nouveaux Millénaires, traduit de l’anglais (États-Unis), science-fiction, 126 pages, novembre 2023, 11,90€

« Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie », affirmait Arthur C. Clarke au début des années soixante. Dans le futur proche imaginé par Arkady Martine, cette affirmation prend pleinement son sens. Mais le futur décrit par l’auteur n’est pas vraiment celui des lendemains qui chantent. En arrière-plan, le monde que nous connaissons commence à s’effondrer, et la technologie semble bien plutôt s’y rapprocher du maléfice.



Dans un futur proche où le manque d’eau se fait sentir, à China Lake, du côté du désert de Mojave, l’inspectrice Maritza Smith est contactée par une célébrité. Inhumaine. Il s’agit de Rose/House, l’ultime création de l’architecte mythique Basit Deniau : une maison perdue au bord du désert qui est également une intelligence artificielle. Que l’on s’entende : il ne s’agit pas d’une maison dont la domotique serait pilotée par une IA. Rien d’aussi simple. La maison toute entière est une IA, et l’IA est la maison. D’où le surnom de maisons hantées que l’on donne aux œuvres de l’architecte. Celle-ci est sa toute dernière, et la plus aboutie.

Parmi les règles auxquelles doit se conformer l’IA : informer les autorités de tout corps humain retrouvé dans son périmètre. Tel est donc le motif de son appel. Or, depuis la mort de Basit Deniau, une seule personne est autorisée – par la maison elle-même – à pénétrer dans les lieux : Solène Gisil, une de ses anciennes étudiantes, qui aurait autrefois dénoncé les travers de Deniau – on ignorera toujours lesquels. Mais à laquelle Deniau, par estime ou par perversité, aurait donné le privilège de travailler sur ses documents après son propre trépas. Or Solène Gisil n’est pas sur place, mais dans un autre pays. L’enquête s’annonce donc particulière, et ceci d’autant plus qu’après l’arrivée de Gisil, qui est la seule à connaître Rose/House mais n’a jamais été capable d’y rester plus de quelques jours, apparaissent d’autres personnages : une inquiétante journaliste qui en sait trop, vraiment beaucoup trop, et le soi-disant représentant d’une société d’architectes, lui aussi quelque peu inquiétant.

« La collection de Basit Deniau à Rose House est le plus grand référentiel architectural de notre hémisphère. Il y a à l’intérieur des plans de palais perdus. Des endroits que personne n’a jamais construits. Des grandes villes qui rêvent éveillées. Une Brasilia qui aurait pu vivre…  »

Une célébrité défunte dont l’esprit rôde peut-être encore dans sa création architecturale, un crime en lieu clos sans coupable, un cadavre qui logiquement ne peut être sur place et dont on ignore tout, des lieux métamorphiques, incompréhensibles, somptueux, carcéraux, à la fois vivants et hantés par une entité trouble et sans doute perverse, tels sont les éléments de cette novella mi-policière mi-cyberpunk, déclinaison moderne, voire futuriste, de l’immortelle thématique de la maison hantée.

De fait, c’est bien plus sur le plan de l’ambiance que sur celui de la logique pure que ce « Rose/House » fonctionne. Les amateurs de mystère en chambre close seront sans doute déçus sur le plan cérébral, car ce que l’on peut considérer comme une série de failles logiques ou tout au moins de cadre de réflexion trop flou vient grever la fluidité de lecture. Le lecteur ne peut que se demander pourquoi diable l’IA est contrainte par cette obligation de signaler tout cadavre entre ses murs (de surcroît non pas immédiatement mais dans un délai de vingt-quatre heures) alors qu’elle n’a aucune autre obligation en termes de respect de la loi, pas même de règles minimales à la façon des trois lois de la robotique d’Asimov. Même si l’on comprend que le but est de générer la malaise concernant la personnalité artificielle ou la perversité, évoquée mais jamais précisément décrite, de celui qui l’a créée, cette obligation ne semble là que par facilité, pour permettre à l’histoire de se développer. Le passage où Rose/House demande à Maritza si elle a un mandat apparaîtra rétrospectivement comme une maladresse : si un mandat peut permettre à Rose / House de laisser une tierce personne entrer, pourquoi donc trouver par la suite un autre artifice pour que l’inspectrice puisse investiguer ? (réponse : pour les besoins de l’histoire, mais dans ce cas il était inutile de mentionner une possibilité bien plus simple). Le subterfuge par lequel l’intrus s’est introduit dans Rose/House n’est pas crédible une seule seconde (l’auteur essaie bien de donner le change en précisant que l’IA n’y croit pas, mais il est impossible que quiconque, intrus compris, ait pu y croire une seule seconde, et les détails de type biopunk n’ajoutent hélas aucune vraisemblance). Le lecteur pourra également s’étonner que Maritza Smith ne pose pas les bonnes questions d’emblée et attende longtemps, très longtemps, pour vraiment interroger l’IA. Et sans vouloir trop en révéler, que la maison puisse être circonvenue par une commande accessible qui arrive un peu trop – et ici presque au sens propre – comme un deus ex-machina, c’est là une facilité déjà lue et vue bien des fois dans les récits et les films de robots et d’IA.

« Pour la première fois, Maritza entendit rire Rose House. Un bruit qui n’était pas humain, un carillon, une cascade sonore, du sable soufflé sur du métal. Inhumain, et pourtant indéniablement amusé. »

Il faudra donc passer sur la facette « récit policier » pour apprécier ce qui est sans doute le véritable propos de l’auteur : remettre au goût du jour les vieux thèmes fantastiques de la maison hantée, de la maison vivante. L’instillation progressive du malaise par la répétition de petites touches fonctionne parfaitement. La personnalité déviante de l’IA – de Rose /House – donne rapidement le frisson et chacune de ses nouvelles interventions ne fait qu’accroître le trouble. Nul besoin, il est vrai, d’être de nature claustrophobe ou paranoïaque pour se sentir au plus mal dans cette demeure à la fois splendide et incompréhensible, à la fois métamorphique et labyrinthique, où l’on est partout observé, écouté, scruté, par une IA désincarnée, distante, étrangère, inhumaine.

Bilan en mi-teinte, donc, pour ce « Rose/House » auquel Arkady Martine parvient toutefois à donner un final à la fois inquiétant et cryptique. On comprend très bien ce qu’a essayé de faire Martine. Si l’auteur parvient à donner à Rose/House un caractère morbide, et à en faire une variante à la fois du trésor maléfique et du cauchemar panoptique, il y a toutefois dans « Rose/House » trop de facilités ou de failles pour pleinement convaincre. Pour l’amateur de littératures de genre, impossible de ne pas songer à l’intensité qu’un auteur comme Lucius Shepard, toujours à l’aise sur la frontière entre science-fiction et fantastique, et grand virtuose sur ce format de type novella, aurait pu donner à un tel récit.


Titre : Rose / House (Rose/House, 2023)
Auteur : Arkady Martine
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Gilles Goullet
Couverture : Studio J’ai lu d’après David Curtis
Éditeur : J’ai lu
Collection : Nouveaux Millénaires
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 126
Format (en cm) :13 x 20
Dépôt légal : novembre 2023
ISBN : 9782290394526
Prix : 11,60 €



Hilaire Alrune
19 novembre 2023


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