Jeune auteur lauréat de quelques prix reconnus, Gaëtan B. Maran nous propose avec « Pyramide » un solide thriller fantastique sur le mode de la battle royale, très en vogue chez les ados depuis la trilogie « Hunger Games » : cette métaphore de la société capitaliste, qui couronne « le meilleur », celui qui aura écrasé tous les autres, est un très bon format pour les auteurs qui peuvent mettre en lumière toutes les alternatives, comme la solidarité, le travail d’équipe, les alliances temporaires... et la rupture des règles (pensée spéciale pour Katniss).
Ici, nous avons affaire à une source de pouvoir à la fois millénaire et très très actuelle : l’eau. Sans elle, pas de vie. Le cadre désertique, la symbolique forte de la pyramide plantent le décor extérieur et ses contraintes : économie de la ressource, des aliments... Dans l’ombre de la pyramide et du pouvoir, pour beaucoup le quotidien se résume à la survie. L’épreuve heptannuelle est autant perçue comme un espoir qu’une délivrance.
Des 64 concurrents initiaux, nous en suivons 4 : Saël, Naia, Celma et Vadim. Saël a été entraîné par le Disciple, il est costaud et apparemment solide psychologiquement, il a toutes ses chances. Naia est une fille du quartier du Crépuscule, une citoyenne de seconde zone que la Famille (la caste des notables) a recrutée pour remplir son quota. La plus éduquée par son père, mais sans doute la plus faible et craintive. Celma est une Mouvante : issue des bas-quartiers, elle fait partie de l’opposition active à l’Oasis, et elle et les autres concurrents de son secteur sont organisés pour réussir à rafler le pouvoir détenu jusqu’ici par la Famille. Enfin Vadim est un laissé-pour-compte, élevé encore plus à la dure que les autres, habitué à ne compter que sur lui-même.
Pyramide, siège du pouvoir de l’inaccessible Oasis, est un monument gigantesque, au point que toutes les communautés troglodytes qui vivent autour ont peu de contacts entre elles, unies par leur asservissement à l’Oasis en échange de l’eau qui remplit les bassins au pied du monument, mais scindées par l’éloignement, la peur et les contraintes de survie. Par les stratégies qui se mettent en place à l’intérieur, on sait que certaines informations sortent, que les Oasis transmettent des indices à la Famille pour garantir la transmission du pouvoir. La vérité est un peu plus complexe. Dans le même ordre d’idée, Celma nous apprend que les concurrents Mouvants précédents ont laissé des signes codés pour faciliter le parcours des suivants : une stratégie de conquête du pouvoir sur le très long terme, à la hauteur de leur absence de moyens.
Pour ajouter une bonne dose de fantastique magique, la pyramide est une sorte d’immense sablier, qui se remplit peu à peu pour pousser les concurrents vers le haut. Mais les Hauteportes, magiques, n’apparaissent que si le quota de sang a été versé. L’auteur entremêle donc le stress des éliminations, qu’il redouble d’une minute d’obscurité totale à chaque mort, à un espoir d’une échappatoire magique. Les pièges sont aussi nombreux, donnant lieu d’inventifs néologismes : la Catatombe s’ouvre sous vos pieds, l’Impassience est un cul-de-sac dont les mur se referment derrière vous... Il faut donc être vigilant vis-à-vis de tout, environnement comme concurrents. Enfin, il y a des Coffrages (ça sonne comme coffre et sarcophage) qui contiennent vivres et équipement qui peuvent changer la donne.
Dans la veine initiée par le film de Kinji Fukasaku, on espère une victoire d’un des « gentils » que l’on suit, on croit qu’il ou elle pourrait s’en sortir les mains propres, laissant les tueries aux autres ou aux pièges... non, bien sûr : tuer, laisser mourir ou échouer à sauver fait partie du processus, jusque dans les derniers étages.
L’auteur enchaine les points de vue en chapitres très courts, non pas numérotés, mais donnant le compte des survivants : démarré à 64, il va donc en se réduisant, jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un ou une...
Cette alternance permet de bien suivre la stratégie mais aussi l’état d’esprit de chacun, et de doucement reconstituer l’histoire et la vie au-dehors par le prisme de ces regards croisés. On s’attache à ces quatre-là, on croit à leur espoir de ne pas tuer pour l’emporter, de gagner et de changer les choses. Jusque dans le dernier carré, on hésite à avoir un champion, on espère une pirouette pour partager la victoire, mais la règle est la règle. Bien au contraire, on apprécie la sournoiserie des dernier étage, qui laisse croire au vainqueur qu’il l’a emporté, pour le confronter davantage à la difficulté de sa tâche. L’auteur fait le choix, légitime en littérature jeunesse, de changer les choses, mais nous apprend pourquoi elles ont pu perdurer. Une bonne leçon de ce qu’est la nature humaine.
Avec « Pyramide », Gaëtan B. Maran ne révolutionne pas le genre, ce n’est pas le but. Il préfère bâtir une solide psychologie à ses protagonistes, une réflexion nuancée sur le pouvoir, sa conquête et son exercice, et la cruauté inhérente à la nature humaine dans un thriller fantastique toujours sous tension, qu’on image sans trop de mal transposé à l’écran.
Titre : Pyramide
Auteur : Gaëtan B. Maran
Couverture :
Éditeur : Syros
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 300
Format (en cm) : 21 x 14 x 2,5
Dépôt légal : mai 2023
ISBN : 9782748537024
Prix : 17,95 €