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Sorcière des Ombres
Pascaline Nolot
Gulfstream, Echos, roman (France), fantastique, 470 pages, février 2023, 18,90€

Timide niveau olympique, Cass (pour Cassiopée) est inscrite par ses parents à un stage théâtre pour tout l’été, dans la petite ville au doux nom d’Agonie, où vit son cousin Clarence. Cerise sur le gâteau, ledit cousin est son exact opposé, un jeune excentrique toujours à l’aise en société, il fait du théâtre depuis des années, et c’est avec sa bande que se retrouve Cass, car le niveau « spécial timides » vanté sur le site n’existe pas faute de participants.
Contrainte de surmonter sa phobie panique de s’exprimer en public, ses crises de somnanbulisme, Cass apprend en plus qu’un étrange fait divers a marqué Agonie une trentaine d’années plus tôt, à cause d’une pièce du théâtre et de la légende d’une sorcière d’ombre, la Sorcière du Rével. Et le groupe semble décidé à remettre le texte en scène, mais les incidents se multiplient...



S’il semble que l’autrice s’est appuyée sur son propre ressenti de timide pour cette histoire, elle n’en a pas moins tissé un conte fantastique terrifiant.

C’est avant tout l’histoire de Cass, une ado maladivement timide que ses parents espèrent « guérir », refusant de voir dans sa phobie une réelle maladie mais quelque chose qui se soignerait par un déclic, ce que la principale intéressée réfute. Confrontée à ses pires angoisses, les étrangers, la prise de parole en public, être centre d’attention... Cass va les maudire, comme elle maudit son cousin d’être si à l’aise avec ses amis. Mais bien vite, elle trouve en Clar une oreille attentive et compréhensive, et si tous ses potes ne sont pas aussi bienveillants, la benjamine du groupe (elle a 14 ans au milieu de lycéens), elle s’intègre à peu près. Les exercices sur scène la paralysent, malgré les efforts de leur prof.

Vient ensuite la légende de la sorcière et la pièce maudite. L’autrice fait naître l’une de l’autre, nourrissant la légende. La pièce, à l’auteur inconnu, parle d’un enfant qui passe de l’autre côté, dans le Rével et rencontre une sorcière qui veut le garder auprès d’elle. Le conte est ambigu, et la sorcière fait partie du folklore local, on lui attribue les malheurs et le mauvais œil. Le groupe de Clarence, qui n’a pas connu le drame survenu à la première représentation, propose d’exorciser cette superstition. Mais les incidents se multiplient : un début d’incendie, des accessoires grouillants de vers. Le technicien du théâtre, très croyant, les met en garde, cela n’est pas une bonne idée de réveiller la sorcière.
Une autre qui y croit dur comme fer, c’est la petite sœur de Clarence, qui observe sa cousine chaque nuit et la voit jouer avec les ombres... et s’en faire obéir ! Elle la sait donc capable d’affronter et vaincre la sorcière.

Il arrive quelques mésaventures à Cass, mais seule ou avec un petit coup de main, la jeune fille ne se laisse pas paralyser par la timidité ni par la peur, et elle va mener sa petite enquête, découvrant par un aveu -un peu brutalement amené- qui est Silence, l’auteur de la pièce, et son histoire tragique dont il s’est inspiré. Attaquée par l’ombre à plusieurs reprises, Cass fait le vide autour d’elle pour l’affronter et la renvoyer d’où elle vient pour qu’elle cesse de faire du mal : les blagues de mauvais goût se sont en effet muées en crimes sanglants en ville.

Le roman qu’on croyait fortement réaliste, jouant sur les croyances et les phobies, opposant la peur collective d’un mythe à la peur intime de Cass, prend alors des accents franchement fantastique. Si le doute demeure quelques chapitres, où on se demande si les personnages ne voient pas ce que leur frayeur leur dit de voir, comme une hallucination malsaine, les duels de Cass contre l’ombre achèvent de nous convaincre. Quand l’ado décide d’aller dans le Rével, on a totalement basculé. La dernière partie relève quasi de la dark fantasy, et malgré les nombreuses zones d’ombre laissées par la narration à la première personne, elle est fortement alléchante sur les capacités de Pascaline Nolot à nous proposer des univers hors des sentiers rebattus du genre. Ce dernier passage est aussi l’occasion pour elle de bousculer tous nos présupposés et de nous faire adopter un point de vue totalement différent sur les événements, loin de celui de Cass qui a été forgé par les dires de ses proches. Un de ses personnages du Rével, pas très sympathique -mais il a ses raisons, suffisamment pour un roman- dit qu’il n’y a pas histoire plus drôle que racontée par quelqu’un qui n’y a rien compris. Et cela résume bien « Sorcière des Ombres » : un bout d’histoire à rattacher à un ensemble plus large, un bout vu par le mauvais côté de la lorgnette.

Et c’est aussi cela qui est fantastique : d’une histoire sur la timidité, l’autrice ne se contente pas dun texte avec un début un milieu et une fin (enfin, si, un peu, rassurez-vous) mais en fait un satellite de quelque chose de bien plus grand, une petite histoire sans grande importance en marge d’une plus grande.
Mais pour Cass, ce n’est pas rien, c’est aussi le cheminement initiatique qui la conduit à ce fameux déclic, cette prise de conscience de toutes ses autres qualités masquées par sa timidité, et du trop d’importance qu’elle donne à cette dernière. Une thérapie fantastique, à haut risque, pour un procédé littéraire classique.

« Sorcière des ombres » s’avère donc un thriller fantastique atypique, prenant son temps pour se mettre en place autour de son héroïne-narratrice, installant lentement son atmosphère malsaine, jouant en permanence avec l’avalanche d’émotions contradictoires qui assaillent Cass, de son refus de se mettre en avant à ses réflexes de protéger sa petite cousine. Sous des aspects de roman d’apprentissage adolescent, le fantastique finit par percer, bien sombre et terrifiant. Et si quelques passages sont un peu gros ou faciles, tout s’imbrique à la perfection pour nous bombarder d’informations et de fausses pistes, retardant au maximum la conclusion que tout cela n’est pas naturel. Mais, on le verra, tout n’est pas non plus du fait de la sorcière... La leçon finale rappelle les dégâts causés par les peurs irrationnelles de l’espèce humaine.

Bref, c’était sinueux, tordu, très immersif dans la peau d’une ado mal dedans, et bien flippant jusqu’au bout. Pour les plus grands qui n’ont pas froid aux yeux.


Titre : Sorcière des ombres
Autrice : Pascaline Nolot
Couverture : Jessica Heran
Éditeur : Gulfstream
Collection : Echos
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 470
Format (en cm) : 22 x 14 x 3
Dépôt légal : février 2023
ISBN : 9782383491248 / 9782383491453
Prix : 18,90 € / ePub : 10,99€



Nicolas Soffray
28 mai 2023


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