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Sentinelles du Royaume Sauvage, tome 1/2
Alexandra Ott
Seuil, Jeunesse, roman (USA), fantasy, 408 pages, mars 2023, 15,90€

Bryn, 12 ans, rêve de devenir une des 5 Sentinelles qui veillent sur le Royaume Magique. Mais à la rude compétition pour la place à prendre, s’ajoute le fait qu’elle est une fille. Malgré les traditions, et au prix de quelques mensonges et omissions, Bryn va tenter sa chance.



« Sentinelles du Royaume Sauvage » s’adresse aux plus jeunes, dès 9-10 ans. L’intrigue est très classique, et son message martelé : dans une société patriarcale traditionaliste, une jeune héroïne va faire de son mieux pour prouver qu’elle vaut autant sinon plus que les garçons. Quitte à désobéir à toutes les autorités au passage : ses parents, les Sentinelles qu’elle rêve de rejoindre... Deux rebondissements viennent provoquer des dilemmes : Ari, un garçon encore moins bien considéré qu’elle, lui demande de prendre soin d’une jeune dragonne en secret, et enfin les Vondurs, un peuple agressif et menaçant les créatures magiques, ont refait leur apparition au village, annonçant un mauvais coup, avec la complicité d’une Sentinelle !

Alexandra Ott tisse autour de sa jeune héroïne un réseau dense de problèmes : elle ne peut pas dévoiler aux adultes de confiance une partie de la vérité sous peine d’avouer ses propres entorses aux règlements, et donc risquer une punition qui mettra fin à tous ses rêves. Mais plus elle se tait, plus le danger et les risques augmentent. Rien de très original là-dedans.
Ce qui l’est davantage, c’est la conscience aigüe que son alliance avec Ari, garçon chétif et laissé-pour-compte comme elle, ne pourra pas durer. Tôt ou tard, à l’issue de la dernière épreuve de sélection, ils devront s’affronter. Leur collaboration est donc régulièrement entachée de marques de défiance, ou en tout cas pas d’une confiance totale. Bryn le suspecte de ne pas tout lui raconter de l’entrainement auquel ont droit les garçons, et Ari se doute que la jeune fille ne lui apprend pas tout ce qu’elle tient de son père, ancienne Sentinelle. L’autrice insiste sans finesse dessus, via la narration à la première personne, mais du coup on en ressent que davantage quand ce n’est plus qu’un discours creux et que les deux ados sont réellement déchirés à l’idée qu’un seul puisse devenir ce dont il rêve. Bien sûr, l’intrigue conduit à ce que les choses s’arrangent presque naturellement : le traitre étant dévoilé (pas de surprise non plus sur son identité), une nouvelle place de Sentinelle se libère. Et tout finit bien.

En tant qu’adulte, il m’a fallu un effort pour accepter que tout ceci n’est qu’un décor pour parler inégalité fille/garçon et féminisme aux plus jeunes. Car enfin, rien dans cette société de fantasy ne tient debout : tout le monde dispose d’un pouvoir, mais on ne privilégie pas les plus talentueux-ses pour les postes de Sentinelle ? Pas d’école pour apprendre à s’en servir ? Le talent d’Ari, l’Empathie, très rare et subtil, et manquant parmi les 5 Sentinelles, ne le qualifie pas d’office ? La meilleure amie de Bryn, Runa, est une excellente soigneuse, mais là encore c’est une fille donc peu importe ? Mais d’un autre côté on sonne l’alarme avec les Vondurs, le rôle primordial des Sentinelles dans l’équilibre du monde ? Régulièrement, on a envie de leur dire qu’ils ont les solutions sous les yeux.

Le pire étant sans doute la maladie de la sœur de Bryn (elle fait de l’asthme) qui nécessite une pommade à base de plantes que seules les Sentinelles peuvent aller cueillir au Royaume magique. C’est aussi un moteur de l’ambition de Bryn. Mais là encore, sauf à plaquer les pires travers de notre société capitaliste et égocentrique sur de la fantasy, comment on peut imaginer une petite communauté aussi peu solidaire, si peu protectrice de ses membres les plus fragiles ? C’est que c’est donc intentionnel.

Niveau péripéties, les épreuves de qualification ressemblent à l’arène d’« Hunger Games », et on se dit que les Sentinelles gaspillent bien leurs pouvoirs pour rien... Les passages avec la dragonne, Lilja, font immanquablement référence aux films « Dragons » de Dreamworks. Il faut en mettre plein les yeux.
On appréciera les dialogues, nombreux, à la syntaxe et au vocabulaire cohérents pour des enfants de 10-12 ans, de même que les espoirs et les préoccupations.

Bref, pour peu qu’on ait moins de 12 ans, la magie opérera, et donnera aux jeunes lecteurs et lectrices des modèles de leur âge qui refusent de renoncer, de se laisser faire quand le monde des adultes leur dit que c’est interdit ou impossible à cause de règles arbitraire qui n’attendent que d’être remises en question. Et c’est bien, les jeunes ont besoin de ça.
Pour les plus grands, et sauf à le voir comme une parodie de notre société, tout cela paraîtra bien bancal, un peu facile, et vu et revu avec de moins gros sabots.

C’est un diptyque, la seconde moitié (qui verra sans doute Bryn s’opposer aux Vondurs et asseoir la place des filles dans la société) est prévue pour l’automne.


Titre : Sentinelles du Royaume Sauvage (seekers of the wild realm, 2020)
Série : Sentinelles du Royaume Sauvage, tome 1/2
Autrice : Alexandra Ott
Traduction de l’anglais (USA) : Christophe Rosson
Couverture : Cathleen McAllister
Éditeur : Seuil Jeunesse
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 408
Format (en cm) :
Dépôt légal : mars 2023
ISBN : 9791023518887
Prix : 15,90 €



Nicolas Soffray
26 mars 2023


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