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Remnant Chronicles (the), tome 1 : The Kiss of Deception
Mary E. Pearson
La Martinière, Fiction J, roman (USA), fantasy, 475 pages, septembre 2021, 20€

Le jour de son mariage (politique), la princesse Lia de Morrighan s’enfuit et va se terrer dans un petit village portuaire, avec Pauline, sa domestique. Les deux jeunes femmes trouvent à se faire engager dans une taverne. La princesse préfère une vie de labeur que le destin qui l’attendait, mariée à un inconnu contre son gré.
Mais cette fuite a des conséquences politiques, bien sûr. Lia l’ignore, mais dexu hommes sont à ses trousses : le prince de Dalbrek, et un assassin de Venda, l’empire qui se réjouit de la situation.
Mais voilà, les deux hommes, en arrivant au village, ne dévoilent pas leur identité, et commencent à tourner autour de la princesse... Une rivalité s’amorce, jusqu’à ce que les événements mettent fin à ce petit jeu.



Dans ce premier volume, Mary Pearson fait preuve d’un usage très maitrisé de la narration à la première personne. Si cela nous permet de suivre les pensées de Lia, de comprendre ses motivations, ses sentiments, c’est avec les deux garçons que le procédé fait merveille.
En effet, lorsqu’elle délaisse le point de vue de Lia le temps d’un chapitre, l’autrice nous précise qui prend la parole, le prince ou l’assassin. Mais quand les deux hommes se présentent, donne un prénom (pas forcément le vrai : Rafe et Kaden), et que s’engage aussi le triangle amoureux, elle utilise les prénoms... en se gardant bien de nous donner plus d’indices ! Bon sang, que ces 300 premières pages sont délectables ! Les deux jeunes hommes tombant amoureux de Lia, l’un cachant son identité de peur d’être rejeté, l’autre parce qu’il sait qu’il est censé la tuer. Tout cela est très bien écrit, et on appréciera la puissance de l’écrit, des œillères que le texte peut nous imposer, un procédé qui serait bien plus difficile à l’image.

La seconde moitié, lorsque le voile est levé, est plus classique. Enlevée par l’assassin, qui semble pris à son propre piège sentimental et fait tout pour éviter de devoir la tuer, Lia joue la carte de la survie, de la résistance. On voit se développer l’histoire, son pouvoir qu’elle croyant faible voire inexistant, à son insu elle prend la stature de princesse qu’elle rejetait quelques semaines plus tôt. Le prince, de son côté, n’a pas renoncé à la sauver, la suit à la trace, lui aussi bien amoureux. Si les identités sont levées, on conserve une symétrie des récits et cet aspect d’aveuglement d’une partie des protagonistes aux actes d’un autre. Ce qui est bien normal, puisqu’ils ne peuvent pas se savoir poursuivis tant qu’ils ne sont pas rattrapés... Mais pour le lecteur, la juxtaposition des sentiments de Lia avec son ignorance de la ténacité du prince à ne pas l’abandonner est appréciable, jusqu’à la scène finale de leurs retrouvailles et cette explosion émotionnelle là aussi classique, mais efficace : « non seulement il ne m’a pas abandonnée, il a risqué sa vie pour moi, et en plus c’est le prince ! ». Un procédé qui met un peu à mal, je trouve, tout le message féministe du livre, présentant une héroïne forte, libre de ses choix... pour retomber dans le cliché de la princesse sauvé par le prince. Et de se dire, en tant que lecteur, que si elle avait pris le risque de le rencontrer avant de s’enfuir, au lieu de fantasmer un vieux barbon, tout aurait été plus simple... et il n’y aurait pas eu d’histoire. Sur cette question des illusions des mariages d’amour et de raison, on relira « La Maison du Chat-qui-Pelote », de Balzac, une nouvelle qui a bientôt 200 ans.

A la clôture du premier tome, on serait bien en peine de deviner quels procédés originaux l’autrice pourra déployer pour rendre ses deux autres volumes aussi captivants, et ne pas tout miser sur une trame fantasy très classique ou un triangle amoureux déjà bien mis à mal, puisque le cœur de Lia a fait son choix (à moins de miser sur une rédemption de l’assassin ?). Le troisième tome venant de paraître en français, on aura très vite la réponse.

Quelques trucs m’ont fait tiquer : du détail pointu (on ne ferre pas les ânes), une maladresse (Lia cache un livre format poche dans sa... lingerie, sous une robe décrite comme fluide, donc ce n’est pas discret du tout), mais surtout Venda, l’empire où l’assassin la conduit et qui prépare la guerre contre Morrighan et Dalbrek, est à 50 jours de voyage. Si ce temps permet des développements de l’intrigue, il n’est pas du tout cohérent avec la trame politique : dans un univers de fantasy, sans moyen de communication magique, comment envisager un conflit sur de tels temps et distances ? Imaginez la latence entre le pouvoir central et le champ de bataille, la logistique...
Se pose même la question : pourquoi Venda s’en prend à des pays si éloignés ? Réponse : c’est religieux, vieille prophétie, tout ça, dont Lia est bien sûr la clé. Vous me direz, nous sommes dans de la fantasy/romance young adult, ce n’est pas le point central. Mais c’est tout de même un peu dommage.

Un habile jeu de dupes, agréable à lire, qui renouvelle le triangle amoureux, et une trame de fond certes classique mais bien exploitée, j’en lirai la suite avec plaisir, espoirs et curiosité.


Titre : The Kiss of deception (the kiss of deception, 2014)
Série : The Remnant Chronicles, livre 1/3
Autrice : Mary E. Pearson
Traduction de l’anglais (Etats-Unis) : Alison Jacquet-Robert
Couverture : Clémence Courot
Éditeur : La Martinière
Collection : Fiction J
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 475
Format (en cm) : 21,5 x 14,5 x 3,5
Dépôt légal : septembre 2021
ISBN : 9782732499048
Prix : 20 €



Nicolas Soffray
16 mars 2023


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