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Bifrost n°109
La revue des mondes imaginaires
Revue, n°109, nouvelles - articles - entretiens - critiques, janvier 2023, 192 pages, 11,90€

Pour qui l’a croisé, impossible d’oublier la grande silhouette vêtue de noir de Valerio Evangelisti. Barbe courte, physique sec, mais le sourire aux lèvres. Un Transalpin parlant très bien le français, très abordable, tout le contraire de son personnage le plus connu : l’inquisiteur Nicolas Eymerich. Alors que le dossier était en cours, il est décédé le 18 avril 2022. L’ensemble tient à présent de l’hommage et deux personnes qui l’ont très bien connu, Serge Quadruppani et Doug Headline, son premier éditeur en France, partagent leur tristesse.



Richard Comballot explique en quoi l’entretien avec l’auteur diffère des autres : il s’est fait par mail et non lors d’une rencontre tirant sur des heures, ce qui retire une part de spontanéité et empêche un vrai échange. Les questions s’appuyant souvent sur d’anciens interviews sont en général plus longues que les réponses parfois laconiques, confirmant à l’occasion juste les anciens propos. Cela donne un entretien assez haché, les questions donnant souvent les réponses. Il ne s’en révèle pas moins instructif, dressant le portrait d’un écrivain engagé, écrivant à la croisée des genres comme en témoignent les livres de Nicolas Eymerich flirtant aussi bien avec le roman historique, la SF, le fantastique que l’horreur. Après que Valerio Evangelisti en ait expliqué la genèse, notamment la part sombre de lui que recèle l’inquisiteur, Erwann Perchoc présente cette partie la plus connue de l’œuvre (12 romans, hélas la plupart en grand format). L’inquisiteur appartient à cette classe de personnages que l’on n’oublie pas. Le guide de lecture, ainsi que la bibliographie dressée par Alain Sprauel, permettent de découvrir la richesse des publications de l’auteur et la large palette abordée. Réjouissons-nous, une bonne partie a été traduite. En Italie, Valerio Evangelisti était un fervent défenseur de la science-fiction et dans les années 2000, il a permis à la SF hexagonale de découvrir celle venant d’Italie, notamment à travers l’anthologie « Fragments d’un miroir brisé ». Malheureusement, on ne peut pas dire qu’il reste grand-chose de cet héritage.
Sa nouvelle “Cicci di Scandicci” est courte et percutante, elle se déroule dans un petit village reculé aux habitants voyant d’un mauvais œil l’arrivée des touristes. Le personnage central n’épargne rien aux lecteurs.

Elly Bangs se révèle décidément très inspirée. “Pissenlit”, c’est l’histoire d’un objet trouvé en Antarctique. Il est d’abord pris par les Américains pour une capsule spatiale soviétique très en avance sur eux, mais une fois daté, l’objet n’en est que plus dérangeant. Des scientifiques tentent d’en tirer des enseignements, de trouver la technologie cachée qui lui a permis d’arriver là. Et s’il n’y avait rien à comprendre, en-dehors d’un effroyable constat que certains ne veulent pas envisager ? Sur fond d’une famille tiraillée par l’étude de l’objet, une nouvelle magnifique et intelligente.

Mourir est à présent un droit pour ceux qui souffrent sans espoir de rémission. Ceux qui les aident à en finir ne ressemblent pas à la mort vêtue de haillons et tenant une faux, mais arborent une sobre livrée grise. “L’homme gris” Marceau commence sa journée par un vieillard acariâtre, avant de passer à une jeune femme qui ne le laisse pas insensible. Christian Léourier s’appuie sur le débat autour de la fin de la vie, imagine comment les médecins seraient déchargés de cette responsabilité écrasante. Qui pour ce faire ? Un texte d’une belle sensibilité et d’actualité par sa thématique.

Avec “Père”, Ray Nayler a remporté le Prix des lecteurs de Bifrost 2022. Une arrivée remarquée, suivie d’une seconde nouvelle (“Sarcophage”), avant la présente, “L’hiver en partage”. De plus, un recueil est déjà annoncé pour la fin d’année dans la collection Quarante-Deux. Inconnu par chez nous il y a un an encore, l’auteur franchit les étapes à toute vitesse. Pourtant le texte du sommaire est pour moi le moins bon des trois, même s’il ne manque pas d’intérêt. Trop de choses sont éludées ou pas assez explorées pour donner un ensemble cohérent. Deux femmes, du moins elles l’étaient, se retrouvent chaque hiver à Istanbul le temps de quelques semaines de vacances. Les deux occupent des corps de vacants, c’est là où ce n’est pas vraiment clair. Elles seraient mortes mais vivraient toujours dans des corps laissés libres ! Une joue dans des reconstitutions historiques à des fins d’études, alors que l’autre occupe un haut poste dans l’analyse. D’ailleurs elle est mise à contribution plus d’une fois, disparaissant du récit, sans que le lecteur en sache plus. Il y a beaucoup de zones d’ombres, des idées lancées en pâture sans être vraiment développées, laissant chacun combler les vides. Là où Peter Watts réussit très bien à le faire, Ray Nayler reste à la peine, diluant trop son propos et restant trop elliptique. La prochaine révélation comme Rich Larson que l’on a vu venir ? J’attends de voir...

La Maison des Acacias est une maison de repos spécialisée dans le traitement des peaux défectueuses. D’entrée de jeu, Émilie Querbalec déstabilise les lecteurs avec un étonnant concept qui n’est pas sans relever du bizarro. En effet, quand elle parle de peau, ce n’est pas notre vulgaire peau d’humain, mais une peau permettant à chacun de dépasser sa simple condition. Une pensionnaire passablement dérangée et qui rêve d’évasion nous fait la visite. Elle a reçu sa première peau à l’âge de 8 ans, c’était une peau de mésange... “Skin”, un texte étrange et dérangeant, mais prenant.

Dans “Scientifiction”, Roland Lehoucq rebondit sur le film « Moonfall ». Comment peut-on encore s’inspirer aujourd’hui d’un postulat daté et faux comme démontré depuis ? La Lune creuse donne surtout l’occasion d’un bon article sur nos astres proches.
Au rang des chroniques en tout genre, on remarquera celles des anthologies et des revues, les premières sous la férule de Philippe Boulier et les secondes sous celle de Thomas Day, toutes hautes en couleurs et droit au but.
Erwann Perchoc interviewe David Meulemans à la tête des éditions Les forges de Vulcain qui se sont constituées un beau catalogue au fil des années.
Le premier « Bifrost » de l’année abrite aussi les résultats du Prix des lecteurs de Bifrost 2022 : “Père” de Ray Nayler, catégorie nouvelle étrangère, et “Encore cinq ans” d’Audrey Pleynet, catégorie nouvelle française. Bravo aux lauréats !

Un « Bifrost » placé sous la haute silhouette du regretté Valerio Evangelisti, un écrivain italien engagé, original, sympathique, tout le contraire de son personnage incontournable de Nicolas Eymerich. Tout feu, tout flamme, comme le contenu de ce numéro vraiment très bon.


Titre : Bifrost
Numéro : 109
Rédacteur en chef : Olivier Girard
Couverture : Florent Bossard
Illustrations intérieures : Maxime Osti, Olivier Jubo, Matthieu Ripoche, Franck Goon, Bruno Letizia et Frasier
Traductions : Gilles Goullet (Pissenlit), Henry-Luc Planchat (L’hiver en partage) et Jacques Barbéri (Cicci di Scandicci et articles du dossier)
Type : revue
Genres : SF, études, critiques, nouvelles, entretien, etc.
Sites Internet : le numéro 109, la revue (Bifrost) et l’éditeur (Le Bélial’)
Dépôt légal : janvier 2023
ISBN : 9782381630717
Dimensions (en cm) : 15 x 21
Pages : 192
Prix : 11,90€



Pour contacter l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
16 février 2023


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