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Monstres (Les), tome 1 : Seul un Monstre...
Vanessa Len
Lumen, roman (Australie), romance & fantastique, 486 pages, août 2022, 16€

Joan est une Hunt par sa mère, et appartient donc à un des 12 familles de monstres de Londres. Elle a peu à peu perdu son pouvoir familial, sans que cela soit bien grave. Mais voilà qu’un jour, au musée où elle est bénévole, des gens apparaissent de nulle part (comme) par magie, ils veulent la tuer car ils sont d’une famille rivale, les Oliver, mais surtout Nick, son charmant collègue et petit ami, se change en tueur redoutable et décime Oliver comme Hunt venus à sa rescousse.
Contrainte de fuir avec Aaron Oliver, vilain petit canard (mais beau gosse) du clan, Joan va devoir surmonter son deuil, sauver sa vie et apprendre en accéléré tout ce que sa grand-mère ne lui a pas enseigné, comme voyager dans le temps.



Le premier roman de Vanessa Len, début d’une trilogie, a de quoi effrayer, tant l’autrice semble, dans la création de son univers, vouloir accumuler les sujets glissants (les voyages dans le temps) et les poncifs.
Commençons par ceux-là : Joan, son héroïne, est à moitié asiatique (cela fait de la diversité) mais surtout elle n’a pas été initié plus que cela aux pouvoirs de sa famille maternelle, à savoir l’escamotage magique, ni au pouvoir des monstres, voyager dans le temps. C’est une ado toute gentillette, avec des cousins un peu différents. Elle a craqué sur le beau gosse mystérieux avec qui elle fait du bénévolat, c’est leur premier baiser, tout ça, quand tout va dérailler et que chacun va révéler son vrai visage. Bien sûr toute sa famille meurt, tuée par son (ex-)petit ami, et elle doit fuir avec un autre beau gosse qui la déteste par principe, puisque élevé dans le mépris de son clan. Mais même si c’est une tête à claques et un je-sais-tout, il va veiller sur elle et p’têt ben tomber un peu amou... Bref. En avançant dans l’histoire, bien sûr que Joan est spéciale, c’est elle qui va sauver le monde, et toute novice qu’elle soit, elle va pousser les autres à se dépasser, mieux comprendre leurs pouvoirs qu’eux-mêmes et dévoiler un complot dangereux dont elle est la clé. Pfiuu... rien que ça.

L’originalité, c’est que l’héroïne est le monstre, donc devrait être la méchante, celle qui s’en prend aux humains... et que l’histoire deviendrait, en partie, celle des prédateurs devenus proies. Sauf que cela échoue, puisque la principale intéressée était une petite innocente qui subit son héritage, et que la situation l’oblige à l’utiliser. On retombe vite dans le schéma usé à la corde de « une fille qui fuit son ex mais l’aime encore mais leur amour est impossible mais ils sont liés par le destin... » Il va falloir mettre un truc original autour. Et c’est là que cela devient glissant aussi, car à trop faire original, encore faut-il que ça tienne debout et que les lecteurs suivent.

Sur le fond, sachez donc que des monstres, des clans entiers, vivent à Londres (et sans doute ailleurs) et, d’un simple contact sur la nuque d’un humain, peuvent vous prélever du temps de vie, leur carburant pour changer d’époque. Mais attention, il y a des règles, et c’est là que l’autrice joue avec le feu (et se brûle) : on ne vole que quelques jours à chacun sinon on prend le risque de se faire repérer (quand tout le monde fait un infarctus dans vos bras, c’est louche) et surtout la grande force de l’univers, la Chronologie, vous empêche d’être deux fois à la même époque en même temps (vous ne pouvez pas venir à votre rencontre). Les amateurs de fiction temporelle sentent déjà leurs poils se hérisser. Attendez, il y a mieux ensuite : plutôt que des mondes parallèles, il y a ici une vraie chronologie qui refuse les modifications et empêche qu’on la « torde » pour changer le cours des choses. Joan le constate lorsque, cachée en 1993, elle veut s’envoyer une lettre en 2022 pour empêcher le massacre : sa lettre tombe du sac de la poste temporelle.
Bon, là où on rit jaune, c’est à s’imaginer comment se déroule la vie de chacun, les réunions de famille comme celle du début, quand tout le monde navigue d’un temps à l’autre, passé, présent (pour ce que cela voudrait dire) et avenir. Joan retrouve sa cousine le lendemain de sa fuite, mais pour Ruth il s’est passé deux ans de cavale temporelle. Idem, on croisera Conrad, le connétable du roi des monstres sur un demi-millénaire, dont on imagine les maux de tête. Il ne faut pas qu’il arrive deux problèmes la même semaine, faute de pouvoir être présent deux fois en même temps...
Je le disais d’entrée, Vanessa Len se met beaucoup de bâtons dans les roues. C’est autant de risques d’incohérences dans son écriture. Par exemple, lors de leur fuite, Aaron apprend à Joan à prélever du temps sur les humains. Ils vont à la « Fosse », c’est-à-dire dans une foule de touristes : devant Buckingham à l’heure la relève de la Garde. Sauf de Joan ne sait pas faire, elle tâtonne, et que rapidement ils doivent filer. Sauf qu’au début, Aaron explique qu’il ne faut voler que 10 jours à chaque proie. Et ils veulent retourner 20 an en arrière, soit, j’arrondis, 7000 jours. Ce qui veut dire, petite division, 700 prélèvements chacun, 1400 proies. Alors qu’ils se font vite remarquer... En fin d’ouvrage, Joan se souvient qu’ils y ont passé du temps, ce n’est pas du tout le sentiment à la lecture de la scène. Pire, ils font un bon de 30 ans finalement, donc c’est qu’ils ont réussi à moissonner le carburant nécessaire...
Les 200 premières pages, le temps de prendre nos marques, comme Joan, dans cet univers, sont truffés de ces petits détails bancals qui frappent notre seuil d’incrédulité avec un marteau-piqueur. C’en est douloureux. Chaque règle temporelle va à l’encontre d’à peu près tous nos présupposés, certains paradoxes qu’on a appris à reconnaître comme évidents n’existent pas du fait de la chronologie... Il faut un temps d’adaptation.

L’autrice se débarrasse assez vite de tout moyen d’alerter les victimes avec cette résistance de la Chronologie. Mais elle lui oppose l’idée d’une Vraie Chronologie, oubliée de tous, façonnée par un roi des Monstres invisible mais à la Garde royale redoutée, mais dont une famille, les Liu, dont le pouvoir est de se souvenir, garde des traces. Joan, obéissant à un instinct juvénile, va tenter de renverser le cours des choses, et donc dévoiler un complot bien plus grave. Poursuivie par les Gardes mais aussi par Nick, qui a obtenu le pouvoir temporel, la petite troupe de jeunes gens, rejointe par un Hattaway lui aussi mis au ban de son clan, va vivre en quelques jours, sur l’échelle d’Aaron et Joan, une course-poursuite à couper le souffle. Et le lecteur, derrière eux, d’aller de surprises en découvertes sur les possibilités de chacun et les contraintes de cet univers.

Et bien sûr, il y a une histoire d’amour tragique et de destin. Nick est le Héros des contes pour enfants des Monstres, leur némésis qui pourrait les décimer. Sauf que... sauf que plein de trucs : chaque clan a sa version de l’histoire, qui sert sa propre morale, sauf qu’il est dit dans l’une qu’une femme à demi-monstre peut tous les sauver, qu’elle et les héros sont liés par-delà le temps... Et nos fuyards, dans leur enquête, découvrent aussi que ce héros n’est pas une créature spontanée, naturelle, et que quelqu’un (mais qui ?) le manipule. Voilà pour la grande histoire, pour la petite Nick et Joan s’aimaient, mais il a décimé sa famille et promis de la tuer si elle volait du temps aux humains. Pas facile de pardonner. Donc ça se hait et ça s’aime en même temps, ça va se mentir pour leur bien, se trahir quand ça s’avoue mutuellement ses sentiments. Les scènes intimistes sont très bien écrites, tragiques à souhait et aussi mémorables qu’on peut l’attendre d’une trilogie romantique YA de bonne facture.

Cela s’est peut-être senti, j’ai eu du mal au début... mais on finit par se laisser porter, fermer à demi les yeux sur les mécaniques temporelles pour s’éviter des maux de tête, tout comme on passe sur les clichés habituels (tous les héros ont entre 16 et 20 et sont très beaux...). C’est pourquoi je suis curieux de la suite, même si ce premier tome a un côté conclusif qui permet de ne pas se sentir trop insatisfait à en rester là. Il reste cependant beaucoup de questions en suspens, et tellement de pièges que l’autrice s’est elle-même tendus que cela ne manquera pas de piquant. Pensez donc, il nous reste des familles à découvrir, il y a aussi des clans français...

Beaucoup d’émotions fortes, amour, passion, danger & révélations fracassantes au menu d’une lecture-détente qui cherche à se démarquer dans la production actuelle et tombe, de fait, dans l’excès et les approximations. Ce n’était pas désagréable, parce que sans temps mort, mais il ne faut pas se poser trop de questions.

Si vous voulez lire deux belles histoires d’amour et de voyage dans le temps, je ne saurais trop vous conseiller « Les Oiseaux du temps » ou encore « Grain de sable », qui utilisent ce concept de manière plus « traditionnelle », et très bien écrits.


Titre : Seul un monstre... (only a monster, 2022)
Série : Les Monstres, 1/3
Autrice : Vanessa Len
Traduction de l’anglais (Australie) : Mathilde Tamae-Bouhon
Couverture : Eevien Tan
Éditeur : Lumen
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 486
Format (en cm) : 23 x 15 x 4
Dépôt légal : août 2022
ISBN : 9782371023512
Prix : 16 €



Nicolas Soffray
18 janvier 2023


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