Avant de devenir libraire et auteur, à l’image de son Renard, Mickaël Brun-Arnaud travaillait en milieu hospitalier, au service des malades d’Alzheimer. Il n’est donc pas surprenant qu’il ait fait de la mémoire, et surtout celle enfuie, le cœur de ce premier roman.

On trouve dans les « Mémoires de la forêt » la douceur d’un monde d’animaux anthropomorphes qui vivent en harmonie au milieu des bois, dans de pimpantes maisons parfois nichées dans les arbres. Les magnifiques illustrations de Sanoe, en couleurs, immergeront les plus jeunes avec bonheur. On a la joie de découvrir un monde sans violence : les carnivores ne dévorent pas les autres espèces, car tout le monde est végétarien (on notera quand même les tartines Cocotte avec un œuf dessus). L’ouvrage s’inscrit dans la lignée des petits bijoux de douceur du genre, depuis Le Vent dans les saules de Kenneth Grahame (1908) ou Winnie l’ourson d’A.A. Milne aux plus récentes et excellentes « Fables du Bois de Burrow » de Thibault Guichon et Frédéric Pillot.

S’il y a quelques touches d’humour dans ce volume, c’est l’émotion qui domine tandis qu’on voit Ferdinand perdre régulièrement le fil de ses pensées, et jusqu’à la raison de sa quête : sa femme Maude a disparu. Les plus grands devineront sans doute la vérité rapidement, mais un autre rebondissement viendra éclairer le voyage d’une lumineuse conclusion.
Photos de sa jeunesse en main, Ferdinand entraîne Archibald dans des lieux emblématiques des bois : un salon de thé, une salle de concert haut perchée, une brocante, une résidence d’auteurs. Des lieux où, trente ans plus tôt, Maude et lui ont laissé un vif souvenir. Et c’est là le message positif du roman : si la taupe perd la tête, si son passé lui échappe, il n’en ait pas disparu pour autant, puisque d’autres se souviennent. Et même une fois disparu, on vit toujours dans le cœur, sinon la mémoire, des gens qui nous ont aimés, et qui nous célèbrent au travers d’une recette de pâtisserie ou d’un morceau de musique.

« Les Souvenirs de Ferdinand Taupe » est une très belle histoire pour se confronter à un Mal plus réel que les dragons : l’Oublie-tout, cet maladie d’Alzheimer qui frappe nos grands-parents et ronge leur tête, les laissant déboussolés, terrorisés et parfois agressifs, comme Ferdinand qui en vient à crier sur son ami Renard. Au travers de la bienveillance du libraire, on apprendra à accompagner, à soutenir, à pardonner les écarts dont les anciens sont plus victimes que réellement coupables.
S’il n’y a ni monstres ni dragons, les révélations sont nombreuses, distillées goutte à goutte. L’émotion et les larmes, de tristesse ou de joie, seront souvent au rendez-vous.

Au risque de trop en révéler, ce roman est aussi une très belle histoire d’amour, puisque on découvre, au travers de complices de Ferdinand, un stratagème qu’il avait mis en place pour son épouse. Le mystère est savamment entretenu, car alors qu’on n’a pas encore levé le voile sur le devenir de Maude, le comportement de Ferdinand s’éclaire peu à peu, jusqu’à la révélation de son objectif, louable. Toutes les pièces du mystères s’emboîtent à la perfection.

Loin de la fantasy batailleuse ou des dystopies angoissantes, ce roman nous emporte dans une enquête en apparence difficile à résoudre, un cold case, dans un univers qui semble dépourvu de méchanceté et de dangers, mais pas de drames. Ces derniers suffisent à générer d’intenses émotions, et la construction du récit, remontant un chemin parcouru une vie plus tôt, achève d’instiller la tension nécessaire pour en faire une histoire à la fois tendre, triste et palpitante.

Un second tome, dédié aux souvenirs de Cornélius Renard, est annoncé pour le printemps 2023. N’oubliez pas !

Titre : Les souvenirs de Ferdinand Taupe
Série : Mémoires de la forêt, tome 1
Auteur : Mickaël Brun-Arnaud
Couverture et illustrations : Sanoe
Éditeur : L’Ecole des Loisirs
Collection : Neuf
Page roman : site éditeur
Pages : 300
Format (en cm) : 20,5 x 13,5 x 3
Dépôt légal : octobre 2022
ISBN : 9782211313155
Prix : 14,50 €