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Solaris n°224
L’anthologie permanente des littératures de l’imaginaire
Revue, n°224, science-fiction / fantastique / fantasy, nouvelles – articles - critiques, automne 2022, 210 pages, 13,95$ CAD

Voilà 125 ans paraissait le roman « La guerre des mondes » d’H. G. Wells. Un chef-d’œuvre, rien de moins, qui a marqué des générations de lecteurs, sans compter ceux qui ont vu une de ses adaptations au cinéma. À bord de leurs tripodes, les Martiens ont débarqué dans la campagne anglaise, semant la terreur et la destruction sur leur passage à force utilisation du rayon ardent. Ce n’est pas l’armée qui parviendra à les arrêter, mais les bactéries qui auront raison de leur organisme.
Pour cet anniversaire, « Solaris » prend de l’embonpoint, une bonne cinquantaine de pages, avec dix nouvelles inspirées par le roman et la chronique du futurible en chef, Mario Tessier.



Après sa disparition des radars, Enyo, un vaisseau/IA, revient de Mars sans ses passagers. Sa coque arbore d’étranges coulées rouges. Julie, Shana et Enyo tentent d’en percer le mystère. Clin d’œil à « 2001, l’odyssée de l’espace », mais surtout référence aux fameux tripodes d’une manière inattendue pour un résultat qui l’est tout autant. “Démons de plastique”, un texte de Josée Bérubé, loin de tout esprit guerrier, plus orienté ouverture sur autrui à travers l’art. Une entrée en matière tout en douceur.

Dans “Le monde de l’après-guerre”, l’invasion martienne avortée a sclérosé la société britannique. 125 ans plus tard, les femmes n’ont toujours pas le droit de vote, entre autres privations, ce contre quoi s’insurge une des rares journalistes féminines, Rioux. Geneviève Blouin a trouvé un très bel angle pour son histoire pleine d’enseignements quant au combat que les femmes doivent toujours mener pour l’égalité. Et Mars ne représente-t-elle vraiment plus aucun danger ? Un très beau texte.

À l’invitation de Jhansi, Zain se rend sur la planète Singh à Luminescence, ville célèbre pour ses champignons libérant des spores interagissant avec les humains. Qui est Zain, défini par æl en lieu et place de il, elle ou encore iel et par le pronom læ ? Je n’ai jamais réussi à comprendre cet emploi et ce qu’il implique. De plus, cette bizarrerie hache la lecture. “Souvenirs de Luminescence” de Célia Chalfoun est un récit intimiste valant plus pour son cadre que pour son histoire statique et sans relief, sans oublier que le rapport avec « La guerre des mondes » semble inexistant.

Vingt années après la guerre des mondes, l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo débouche à nouveau sur la guerre. Aucune leçon n’a été tirée du précédent conflit où l’humanité a été sauvée grâce à l’invention du sérum Vidar infectant les Martiens. La surface de Mars a aussi été bombardée pour éradiquer toute menace future. Les hommes peuvent à nouveau s’adonner à leur passe-temps favori : se détruire. Chaque camp voit dans la technologie martienne un moyen de prendre le dessus. Avec “Accords de principe”, Sébastien Chartrand présente un récit fascinant, une superbe uchronie découlant d’une guerre des mondes un peu revisitée.

Pour Christian Léourier, d’une chroniques des événements, « La guerre des mondes » s’est transformée en roman comme si le conflit n’avait jamais eu lieu. Pourtant l’avenir en a été profondément changé par une prise de conscience collective. Mais pour combien de temps ? “Puis vint le silence” détourne habilement l’œuvre originale, lui conférant un statut différent. Une nouvelle uchronie bien vue, construite à partir du postulat Et si la guerre des mondes avait bien eu lieu ?

“Chroniques d’exil” de Josée Lepire semble s’appuyer sur la nouvelle de Sébastien Chartrand quant au futur de Mars, dont le bombardement a rendu la surface blanche. Retranchés sur des astéroïdes, des Martiens ayant pris la fuite auparavant observent tout changement à la surface, espérant le retour de la couleur rouge. Un texte plat de 3 pages à chute, un exercice toujours périlleux qui n’est guère convaincant ici.

Les créations littéraires « La guerre des mondes » de Wells et Barsoom de Burroughs ont donné dans le futur naissance à un parc d’attractions au Mexique. Une visite se passe mal, le garçon d’une famille disparait dans la boutique de souvenirs. Yves Meynard met beaucoup de choses dans “Rêves de Mars” qui semble s’inscrire dans un projet plus vaste avec l’évocation de la grande catastrophe. Même si depuis que les sondes martiennes la sillonnent, la planète a perdu de son aura de mystère, l’auteur alimente le doute sur nos connaissances en la matière. Toutefois l’ensemble n’est pas vraiment satisfaisant, trop confus quant à la lutte autour d’un enfant.

Après la guerre des mondes, l’humanité s’est scindée en deux : l’une tendant la main aux Martiens pour les accueillir et l’autre allant les combattre sur Encelade. Des décennies plus tard, le fossé est définitivement creusé, les deux parties irrémédiablement irréconciliables. “L’envol des narcissiques” d’Andréa Renaud-Simard offre une très belle divergence de départ pour donner à voir une terre martianisée qui se détourne de ses enfants. Une intéressante réflexion.

Dans “La guerre des mots” de Jean-Louis Trudel, l’invasion a bien eu lieu, mais plus insidieuse. Des aliens passés par Mars ont apporté leur technologie bienfaitrice à laquelle les Terriens ont facilement cédé. Un Inter, un croisement entre ces Martiennes et les humains, écrit le livre « La guerre des mondes » vu comme une critique, un appel à la révolte contre le nouvel ordre établi. C’est une belle idée que d’en faire un livre écrit bien plus tard et dans un contexte très différent au vu de l’arrivée des extraterrestres en 1923 après l’épidémie de grippe espagnole. Un détournement particulièrement bien vu.

Élisabeth Vonarburg prend le contrepied de Wells avec “Les chevaux de Troie”. Une mission terrienne sur Mars est infiltrée par un organisme local. L’auteure use d’une narration perturbante au début, mais dont la richesse se révèle au fur et à mesure. La mission n’est composée que de femmes, plus ouvertes d’esprit, et la seule entité « mâle » surnommée Hector est l’IA de bord, qui doit veiller à l’intégrité de la mission et, à ce titre, est susceptible de tout détruire pour qu’aucune infection n’atteigne la terre. Un récit très subtil et enthousiasmant.

“Les carnets du Futurible” achèvent ce numéro. “La troisième guerre mondiale, ou les mondes en guerre” débute par de la géopolitique, ce qui n’est pas un luxe en ces temps troublés. Mario Tessier dresse un portrait de la littérature d’invasion. En la matière, l’homme n’a besoin de personne et bien des livres s’en font l’écho. Mais les extraterrestres peuvent y contribuer, accélérer la chute ou pousser les nations à se regrouper derrière une seule et unique bannière pour le bien commun. Une très belle conclusion, toujours aussi instructive.

La couverture signée Tomislav Tikulin, un habitué, annonce la couleur, « La guerre des mondes » s’invite dans « Solaris » qui lui rend hommage à travers dix récits et un article. Certains auteurs se sont emparés du sujet à bras le corps, lui faisant suite, y faisant référence ou détournant le roman. L’uchronie est bien sûr omniprésente, mais pas que... Dans la grande majorité, les auteur.e.s se sont très bien tiré.e.s de l’exercice, nous offrant des retours réussis dans l’univers de « La guerre des mondes ».
Et si elle avait bien eu lieu...
Un numéro augmenté au prix habituel, une thématique connue de tous, des nouvelles bien tournées, un illustrateur pour chaque texte... autant de raisons pour s’y plonger sans hésiter.

Les lecteurs ne manqueront pas de noter le coup de gueule de l’éditeur Jean Pettigrew en présentation, s’insurgeant contre l’augmentation jugée abusive du prix du papier.


Titre : Solaris
Numéro : 224
Direction littéraire : Jean Pettigrew, Pascal Raud, Daniel Sernine, Francine Pelletier et Élisabeth Vonarburg
Couverture : Tomislav Tikulin
Illustrations intérieures : Adeline Lamarre, Laurine Spehner, Émilie Léger, Al Droleb, François Pierre-Bernier, Marc Pageau, Julie Ray, Sagana Squale , Mario Guiguère et Suzanne Morel
Type : revue
Genres : nouvelles, articles, critiques
Site Internet : Solaris ; numéro 224
Période : automne 2022
Périodicité : trimestrielle
ISSN : 0709-8863
ISBN : 9782924625842
Dimensions (en cm) : 13,3 x 20,9
Pages : 210
Prix : 13,95 $ CAD



Pour écrire à l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
26 novembre 2022


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