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Ceux qui ne peuvent pas mourir, tome 2 : L’Affaire Prometheus
Karine Martins
Gallimard Jeunesse, roman (France), enquête fantastique, 346 pages, mai 2021, 17€

Deux ans ont passé. Deux ans de cavale pour Rose et Grégoire, le prêtre renégat de la Sainte-Vehme. Deux ans de cachot pour Gabriel Voltz, au fond de la forteresse allemande de la Confrérie.
Mais quand des meurtres au fort caractère ésotérique font scandale durant l’Exposition Universelle de Paris, le Comte décide de relâcher Gabriel pour l’envoyer enquêter, sous la surveillance de Rostand, l’ancien bras droit de Varga.
L’immortel, affaibli par la détention et des injections quotidiennes de verallona vitae, compte bien en profit pour s’affranchir de ses maîtres et retrouver sa protégée.



Pour cette seconde aventure (sur trois prévues), les héros de Karine Martins délaissent la Bretagne pour un théâtre tout aussi apte à déchaîner l’imaginaire : l’Exposition Universelle, sous la Tour Eiffel, avec ses pavillons des différents pays, le show de Buffalo Bill... Rajoutez à cela une population d’Egarés en proportion de la population, des vampires et d’autres bêtes plus folkloriques, et terminez par des meurtres bien étranges : des personnalités de l’Exposition ont été retrouvées nues, éventrées, le foie retiré, et quelque peu... mâchouillées.
La Sainte-Vehme envoie Gabriel, qui jusqu’à l’affaire de Porte-Vent était leur agent parisien : il connaît les lieux et les forces en présence, et saura avancer là où la police, en la personne de Philippe de Beaumont, franc-juge de la Confrérie, piétine. Tout cela en gardant l’existence des créatures surnaturelles secrète. Mais il s’avère que le rituel qui entoure les cadavres n’évoque rien à Gabriel, aussi envoit-il son chaperon faire des recherches, pour mieux retrouver ses amis.

Comme dans le volume précédent, on avance à l’aveuglette dans cette enquête particulièrement complexe. La profusion de suspects, de partis en présence nous plonge dans le même brouillard que Gabriel et ses compagnons : on suit l’affaire, à la merci de leurs découvertes. Mais la recherche du criminel n’est pas la seule trame de ce volume. Loin s’en faut ! Plongée dans les sous-sols de Paris comme les collections des musées, mais aussi au plus profond d’eux-mêmes...

Pour Voltz, c’est un moment de rupture : deux ans de réflexion sont venus à bout de sa crainte d’affronter son propre passé. Dessillé quant à la nocivité de la Sainte-Vehme et de ses dirigeants, il ne veut plus être leur outil. Mais surtout, il est prêt à affronter son passé, à retrouver la mémoire, et pour cela il doit se sevrer de la drogue qu’on lui injecte pour inhiber ses pouvoirs, au prétexte de lui en donner le contrôle. Très affaibli par son interlude carcéral, c’est un Gabriel très diminué qui arrive à Paris. Pas le meilleur jour pour refaire le tour des factions d’Égarés ni rasseoir une autorité amoindrie par sa très longue absence !
Les vampires, notamment, montrent les crocs. Il apprend d’Eve, leur reine, que Reginald, son second, a les dents qui poussent, et qu’elle a besoin de son aide pour le remettre à sa place, comme il l’a déjà fait. Car une menace plane sur les Occultes : en cas de trouble, la Confrérie pourrait renvoyer ses troupes et faire du nettoyage par le vide, sans distinguer les créatures inoffensives des vrais monstres.
Mais Gabriel a bien d’autres projets que reprendre son rôle de médiateur surnaturel. Il obtient d’Alma, la nécromancienne, une solution pour se passer de verallona. Le produit est si efficace que l’Immortel reprend des forces, et en retrouve d’anciennes oubliées, changeant la donne dans son enquête et son double jeu avec la Sainte Vehme. Il en retrouve son ironie mordante, mais aussi ses sentiments pour la jeune Rose.

Rose, qui est devenue une femme. Mais toujours aussi bornée, impatiente, parfois vulgaire, et garçon manqué. En deux ans de cavale à ses côtés, le père Grégoire en a vu de belles. Et son pouvoir de voir et entendre les fantômes, qui s’était déclenché au pire moment en Bretagne, n’est pas encore bien contrôlé. On découvre peu à peu que la jeune femme en sait plus qu’elle ne veut bien le dire à son mentor retrouvé. Comme lui, elle n’a qu’une hâte, qu’il s’affranchisse de sa dépendance et fuit la Confrérie. Et pour cela elle le force à affronter ses contradictions, tout comme il le fait pour elle en la confiant à Alma. Déterminée, autoritaire et indépendante, Rose en fait voir de toutes les couleurs aux deux hommes qui l’accompagnent (s’habillant même en homme pour une soirée mondaine !) et pourraient imaginer qu’elle leur obéisse. Grégoire y a renoncé, se contentant d’être un soutien fidèle, comme pour expier son engagement passé. Mais la relation qui se développe avec Gabriel est plus complexe, et le développement des pouvoirs de Rose rééquilibre encore davantage leur relation, qui passe de mentor & pupille à partenaires égaux. Cela ne résout pas tout, bien au contraire, et les échanges souvent violents entre les deux sont lourds de non-dits. Mais aussi assez cocasses, tant les deux personnages sont entiers et peinent à faire la moindre concession, quitte à s’en mordre souvent les doigts.

Enfin, Karine Martins mêle adroitement tout son univers et ses personnages forts à une intrigue complexe, teintée de politique et d’influence. Plus qu’à Primel-Trégastel, l’adversaire de la vérité sera l’ambition folle des hommes et les moyens qu’ils déploient pour la satisfaire. Des actes parfois bien plus meurtriers que les monstres qui rôdent la nuit, et qui dans ce cadre historique très bien documenté prennent toute leur ampleur. On apprécie de voir Paris sous son jour moderne, portée aux nues par ce grand événement. Mais nos héros pointent très vite l’envers du décor : des peuples « primitifs » arrachés à leur pays, montrés comme des animaux dans un zoo.

Un cadre historique très riche, une intrigue aux multiples nœuds, pleine de fausses pistes, des personnages aux destinées fortes et au parcours semé de rebondissements, ce second tome de « Ceux qui ne peuvent pas mourir » se révèle une nouvelle fois une lecture surprenante, qui se plat à nous égarer pour mieux nous emporter. Bien vite, on est autant intrigué par la résolution du mystère que par les découvertes intimes des deux personnages, et des conséquences qu’elles déclencheront. L’autrice répond à toutes nos questions, ne laissant en suspens que ce qu’il faut de révélations pour nous faire languir en attendant la conclusion, qui devrait paraître en 2023.

« Ceux qui ne peuvent pas mourir » a reçu le prix Chimère 2021, une très bonne chose puisqu’il passera ainsi entre les mains de nombreux ados dans les CDI. Avec du fantastique du calibre de « L’Affaire Prometheus », difficile de ne pas aimer l’Imaginaire !


Titre : L’Affaire Prometheus
Série : Ceux qui ne peuvent pas mourir, tome 2
Autrice : Karine Martins
Couverture : Riff Reb’s
Éditeur : Gallimard Jeunesse
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 346
Format (en cm) : 22,5 x 15,5 x 3
Dépôt légal : mai 2021
ISBN : 9782075156011
Prix : 17 €


Ceux qui ne peuvent pas mourir :
1- La Bête de Porte-Vent
2- L’Affaire Prometheus
3- (2023)


Nicolas Soffray
8 novembre 2022


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