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Mondes de Christomanci (les), tome 1 : Ma Soeur est une Sorcière
Diana Wynne Jones
Gallimard Jeunesse, Folio junior, roman (Grande-Bretagne), fantasy, 300 pages, mai 2022, 8,95€

Après la mort tragique de leurs parents, Gwendoline et son frère Eric, dit Chat, dont confiés à une sorcière de village de Wolvercote, Mrs Sharp. Gwendoline, qui est aussi une sorcière, prend des cours de magie auprès d’un voisin, M. Nostrum. Mais elle a davantage d’ambition, et elle décide d’accepter, pour elle et son frère, l’invitation de M. Chestomanci, autrefois déclinée par leurs parents.
Les deux enfants déménagent dans un grand château, et suivent des cours avec les enfants de leur hôte, magicien à la fois froid et très extravagant. Si Chat, qui n’a pas de pouvoirs, apprécie de vivre avec d’autres enfants, d’avoir sa propre chambre, sa sœur peste : on refuse qu’elle poursuive ses cours de magie ! Elle décide donc de braver l’autorité des professeurs du château et de Chrestomanci, en déployant tous les talents appris de Nostrum, y compris des magies interdites. Chat, attachée à elle car elle est sa seule famille, est trop effrayé pour la convaincre d’arrêter. jusqu’au jour où Gwendoline parvient à changer de place avec son reflet d’un autre monde !



Ce roman de la grande dame de la fantasy anglaise qu’était Diana Wynne Jones date de 1977 (comme le premier Star Wars), et c’est toujours un vrai plaisir de le lire presque 50 ans plus tard. C’est de ce terreau fertile qu’a pu pousser la saga Harry Potter, dont les premiers tomes feraient presque pâle figure en comparaison.

En France, on n’arrête pas de redécouvrir Diana Wynne Jones, grâce aux déclinaisons animées de son œuvre par les réalisateurs japonais (« Le château Ambulant », « Aya »...) qui voient rééditer les textes depuis chez Le pré aux clercs, Gallimard (Baam !) et dernièrement Ynnis. S’il vous faut encore un argument, signalons que Neil Gaiman l’a saluée comme une fondatrice de la fantasy anglaise, dans la filiation de Lord Dunsany, et qu’un de ses plus grands regrets était de ne pas l’avoir lue quand il était encore enfant.

Dès les premières lignes, l’autrice nous impose comme une évidence la présence des sorciers et de la magie dans le quotidien. Et si son jeune héros en est dépourvu, il baigne dedans. Et c’est aussi un point de vue très rafraîchissant, celui d’un enfant (Chat a une dizaine d’années) qui prend la vie comme elle vient, sans se lamenter sur ce que d’autres jugeraient comme un manque. Par contraste, Gwendoline apparaît assez vite comme une petite peste adolescente, qui estime que tout lui est dû, du fait de son pouvoir. Elle prend plaisir à tyranniser son petit frère, et on découvrira que ce n’est pas si « innocent » que cela.

On est émerveillé par la fantaisie très anglaise de l’univers magique mis en place par l’autrice. Loin d’effets spectaculaires, c’est une magie subtile, faite d’illusions, de déformation des perceptions (le jardin merveilleux qui recule plus on avance dans sa direction) et souvent un peu loufoque (le violon changé en chat, le pain changé en cent autres aliments, les gens qui apparaissent spontanément...) . On la découvre au fil des expérimentations de Gwendoline, mais aussi de leur exploration du château. Mais la magie peut avoir une part plus sombre, dans laquelle l’ado ne se prive pas de puiser.

Pour les jeunes lecteurs, il y a une part d’humour immédiat à lire les farces tantôt loufoques tantôt terrifiantes que Gwendoline : elle a décidé d’excéder les professeurs et les adultes jusqu’à ce qu’ils reconnaissent qu’elle ne doit plus être traitée comme une enfant. Hélas (pour elle), ils font preuve d’une patience presque infinie, qui la pousse à faire toujours pire... jusqu’à ce qu’ils réagissent enfin, et qu’elle se prenne une sacrée correction ! (oui, en 1977, on avait encore le droit d’écrire qu’on collait une fessée à une ado qui le méritait). Et c’est la première leçon de cette histoire, où Chat est puni également : assumer les conséquences de ses actes... ou de son silence.

Car Chat, par crainte autant que par fidélité, ne va pas dénoncer sa sœur, ni n’a le courage de s’opposer à elle, et se fait son complice. De même, lorsqu’elle change de monde avec Janet, il aide sa pseudo-soeur à faire illusion, plutôt qu’alerter les adultes, de crainte d’être puni. On voit bien, à ses côtés, cet engrenage dans lequel il s’est enferré : plus il tarde à tout avouer, pire risque d’être la punition. C’est sans compter sur le sens de la justice de Christomanci et la pédagogie des professeurs.
Les choses dégénèrent franchement dans les derniers chapitres, obligeant Chat à faire des choix et les assumer. On découvre davantage ce que les adultes préparaient en coulisses, et de nombreuses révélations viennent éclairer des choses mystérieuses survenues au château. Tout se termine sur un climax classique mais efficace : Chat apprend sa véritable nature, et son quotidien va beaucoup changer. Lui qui s’imaginait quantité négligeable est en fait un puissant personnage en devenir. Mais c’est cette modestie, cette humilité initiales qui lui permettront, comme un autre petit garçon orphelin 20 ans plus tard, de venir un grand magicien.

La réédition de ce grand classique anglais est une très bonne chose. La nouvelle couverture signée Sophie Barocas est bien plus aguicheuse que celle de Marcelino Truong, un peu tristounette, pour l’édition de 2007, et saura attirer les jeunes lecteurs vers cette pépite.

Notons enfin que le cycle de Chrestomanci compte 6 volumes, le dernier inédit en français, et que le second, « Les 9 vies du magicien », qui ressort ces jours-ci, n’est pas la suite directe de « Ma sœur est une sorcière » mais une préquelle sur la jeunesse de l’actuel Christomanci.


Titre : Ma sœur est une sorcière (Charming life, 1977)
Série : Les mondes de Chestomanci, tome 1/3 ? 1/6 ?
Autrice : Diana Wynne Jones
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Florence Seyvos
Couverture : Sophie Barocas
Éditeur : Gallimard jeunesse
Collection : Folio junior
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 778
Pages : 300
Format (en cm) : 18 x 12 x 1,5
Dépôt légal : mai 2022 (précédente édition : 2007)
ISBN : 9782075171618
Prix : 8,95 €



Nicolas Soffray
22 octobre 2022


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