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Requiem en Catastrophe Majeure
Olivier Gechter
Mnémos, roman (France), fantastique, 319 pages, juillet 2020, 20€

Evariste Cosson est consultant en occultisme industriel, le seul sur Paris voire en France, mais son commerce n’est guère prospère. Or voilà que plusieurs contrats tombent en même temps : le directeur de l’Opéra Bastille l’engage pour chasser un fantôme peut-être invoqué par un compositeur licencié (déjà croisé ici), et l’agent de Jimi Hendrix, fraichement décédé, veut faire la lumière sur la mort de l’idole des Français(es). Enfin, Gidéon Bomba, sorcier chimbu et l’équivalent de son plus proche ami, l’embarque nuitamment à Jussieu voler un vieux PC dans les bureaux de la faculté.
C’est le début d’une semaine riche en embêtements en cascade, en bleus divers et en menaces paranormales niveau apocalypse...



Si vous avez lu « Evariste », le premier roman d’Olivier Gechter, disponible en poche chez Helios dans une édition fortement revue, vous êtes déjà familier avec le héros et narrateur, sa chérie Nadine à la tête d’une agence de voyance, et leurs mères respectives, d’une envahissante, l’autre morte mais toujours prête à aider son fiston depuis l’Abîme, cet autre côté du Voile où le temps et l’espace coulent différemment.
Et si non, vous allez vite vous familiariser. L’expédition nocturne à Jussieu permet de s’immerger en douceur dans les codes qui régissent le quotidien de l’occultiste, ses nombreuses limites, tout autant que le style à la fois léché et fréquemment mordant de l’auteur.

Difficile, en fait, de ne pas penser, dans la même veine, à la série de « La Laverie [1] » de Charles Stross. Mais Gechter ne puise pas dans la matière lovecraftienne, et lui préfère un mélange moins horrifique et plus digeste pour le lecteur, saupoudré de mythes mélanésiens lorsqu’il passe la parole à Gidéon, d’un sens de la formule plus franchouillard et d’une dimension plus burlesque du déroulement des événements. Bref, imaginez Bob Howard en plus drôle et moins stressant (mais pas moins stressé) (surtout sur la fin).

De fait, la réalité initiale est déjà déviante, puisque Jimi Hendrix ne s’est pas suicidé en 1970. Au contraire, il est venu s’installer dans le Sud de la France pour le plus grand bonheur de ses fans, au rang desquels Nadine mais surtout sa mère, qui fut président de son fan-club, avant de voir la place ravie par une pimbêche du nom de Gergovine Tronc. Pimbêche toujours présidente, mieux conservée que la future belle-mère d’Evariste, et que l’agente du fraichement défunt Hendrix (et cliente d’Evariste, suivez, merci) accuse de licenciement abusif, voire de meurtre, avant d’être elle aussi retrouvée morte !

Tiraillé entre une dette due à Gidéon, la vieille rancune de Belle-maman envers Gergovine et un directeur d’opéra prompt à l’accuser de charlatanisme, Evariste doit faire usage de tous ses sorts et ses gadgets pour démêler le vrai du faux, séparer les apparences des véritables phénomènes paranormaux. Il a toute une panoplie, dont un stylo quatre couleurs presque aussi efficace qu’une baguette magique.

Olivier Gechter nous livre un roman haut en couleur et en rebondissements, une aventure aux intrigues entremêlées qui pourrissent la vie de son héros, et des personnages secondaires truculents, dont l’humanité (et ses petits travers) ajoute une dose de complications aux moindres décisions : Gidéon refuse d’infiltrer l’opéra parce que la couverture proposée est de se mêler à l’équipe d’entretien, et qu’il trouve cela raciste. Lepigeon, le flic préposé aux affaires tordues, rôde toujours autour d’Evariste mais reste hermétiquement fermé à ses histoires. Nadine, encore secouée des événements d’« Évariste », a bien du mal à accepter le côté obscur de l’occultisme, mais tous deux ne rechignent jamais à quelques câlins passionnés (la vie est courte !), quand bien même une de leurs mères s’arrange toujours pour débouler durant leurs ébats.

On se demande un temps où tout cela est censé nous emmener, lorsqu’on délaisse Hendrix pour le mystère de l’opéra, puisqu’on suit Bomba jusqu’en petite couronne (un passage pas forcément indispensable à l’intrigue mais très drôle), mais le roman est, vous vous en doutez, très bien ficelé, et tous les fils se rejoignent jusqu’au gros nœud final où on frôle la fin du monde (ou pas loin) durant le très attendu concert posthume de Jimi au Stade de France. Si, si, c’est possible ! car il y a pire que les forces démoniaques, il y a les idées marketing des maisons de production. Alors si vous mélangez potentiellement les deux...

L’auteur joue avec la narration, les citations apocryphes en exergue des chapitres, les notes de bas de page. Les jeux de mots fleurissent, l’humour noir irrigue le tout, entre le pessimisme d’Evariste vis-à-vis de sa clientèle peu encline à payer ses services, le manque d’enthousiasme de Gidéon à lui filer le moindre coup de main, la logique comptable très stricte des esprits et forces naturelles et la main invisible de l’Univers qui le pousse toujours vers les ennuis.

C’est drôle, malin, fluide. On savoure de suivre un héros maladroit mais pas totalement manche, loin de tout héroïsme, souvent attachant, rarement maître de son destin, bref furieusement français.

Et dans un registre différent, très steampunk, n’hésitez pas à découvrir « le Baron Noir », chez Mnémos également


Titre : Requiem en Catastrophe Majeure
Auteur : Olivier Gechter
Couverture : Diego Tripodi / Atelier Octobre Rouge
Éditeur : Mnémos
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 319
Format (en cm) : 21 x 15 x 3
Dépôt légal : juillet 2022
ISBN : 9782354089740
Prix : 20 €



Nicolas Soffray
7 octobre 2022


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