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Fiction, Tome 4,
automne 2006
Anthologie périodique de fantasy et de science-fiction, 368 pages, Les Moutons Électriques, 23€


Instinctivement méfiante face aux clones comme « le Retour de l’Univers-bis », « La renaissance du Sélénite à puces » ou « La Vengeance de la Mer rouge », nous nous étions sagement tenue à l’écart de la revue « Fiction », ressuscitée d’entre les morts par Les moutons électriques.
Erreur ?
« Sans doute », sommes-nous tentée de répondre, suite à la lecture, ou plutôt, la dévoration goulue du tome 4 de la nouvelle “anthologie périodique de Fantasy et de Science Fiction”.

À moins que (on se console comme on peut) ce numéro ne soit le plus abouti, après deux années d’existence. On verifiera.

L’objet, d’aspect agréable et sérieux, s’orne d’une couverture signée Mœbius, annonçant la teinte dominante « bande dessinée et mathématique » de la sélection.

Les nouvelles, tout d’abord, constituent un ensemble extrêmement varié par les thèmes abordés, le ton des auteurs, le style et la taille des textes.

Voici, pour chacune d’elles, quelques mots, livrés dans le sens inverse de lecture :

« L’Autel des enfants perdus » de Poul Anderson surprend un peu de la part de l’auteur des « Patrouilles du temps ». À mesure qu’elle se rapproche de l’autel des enfants perdus, la narratrice nous livre, par couches successives une peinture de ce qui semble le nœud, ancien, de ses difficultés de femme adulte. Qui est cette Jenny qui parle dans sa tête ?

À quoi pensent les auteurs de Fantasy quand ils lancent leurs héros, épisode après épisode, dans des batailles sanglantes et au dénouement prévisible ? Sûrement pas aux états d’âme de ceux-ci, à leur envie d’autre chose ou à leur sensibilité. Marie, secrétaire du prolifique et irrascible Ashmolean a peut-être l’occasion d’y changer quelque chose. C’est ce que raconte Jeffrey Ford dans « L’auteur de Fantasy et son assistante », un texte inspiré auquel il reconnaît une grande part autobiographique.

Étrange parmi des étrangetés, le texte de David Calvo, « Instruction au sosie », laisse un sentiment de malaise. Comment devenir encore moins que glandeur ? L’étudiant lymphatique et laboriphobe va l’apprendre progressivement, après avoir accepté de participer à des expériences rémunérées au labo des sciences cognitives.

Les dessinateurs de talent ont des images dans la tête. S’ils pouvaient leur donner forme en les peignant sur la toile tendue du ciel ? Que se passerait-il si une poignée de ces dibujantes pouvaient intervenir, rassemblés sous la bannière de Lorca, en pleine guerre d’Espagne ? Xavier Maumejean crée pour ce texte, « Notre dame d’Heisenberg », une impossibilité si bien liée à la réalité des sentiments humains, qu’on le croit, qu’on le suit, jusque dans les nuages.

Edwin, fils de fermier, appelé à reprendre l’activité familiale ne rêve que d’étoiles. Quand, enthousiaste, il entre en apprentissage chez le Grand Astronome, il est donc certain d’avancer vers son destin. Sur place, Forth, le fils du maître et son successeur désigné ne semble pourtant pas réaliser sa chance de pouvoir non seulement observer, mais aussi régler, avec des appareillages complexes, la course des corps célestes. Tout s’expliquera au cours d’une longue « Veillée d’astres » qui donne son titre à ce texte de James Stoddardà la fois rond et irréel comme un songe d’enfant, et cruel comme la vie.

« Terre promise »de Steven Utley est un récit empreint d’émotion. Dick, vieux paléontologue grincheux, peste sur son lit de mort. Il lui aurait été plus facile de partir s’il ne venait d’apprendre la nouvelle de la plus grande découverte scientifique de tous les temps. Alors ses collègues ont l’idée de lui faire un dernier cadeau.

Sapho, qui porte bien son prénom, est un des meilleurs agents de la Fondation. Elle intègre l’équipage du malhonnête prospecteur Cankar, réputé pour son sex-appeal. Sa mission : l’empêcher de prendre possession d’un système susceptible de l’enrichir et de renforcer son pouvoir politique.
Daphnis le gardien de chèvres observe volontiers le ciel et se livre à des expériences qui confortent sa vision de l’univers conforme au paradigme des grecs anciens. Il ne peut s’empêcher d’opposer ses théories au modèle officiel, à base de chaos, de hasard et de complexité et se voit accusé d’hérésie.
Quel rapport entre ces deux histoires ? Elles sont les deux facettes du texte que signe Rhys Hugues, « Le Cosmos de cristal ». Le plus long et certainement le plus extravagant de tous. À lire.

Les mathématiciens, bien qu’ayant la tête dans des concepts inaccessibles au commun, vivent aussi dans notre monde bien concret, ses contraintes et ses dangers. C’est ce qu’illustre Martin Gardner avec le récit des incidents liés à la démonstration de l’existence des surfaces non latérales, fruits d’une radicalisation des propriétés du “ruban de Mœbius”.
Cette amusante nouvelle de vulgarisation scientifique parue sous le même titre, « L’homme non latéral », dans le « Fiction » de 1957 serait à l’origine du pseudonyme de Jean Giraud/Mœbius.

« Les peluches » est une nouvelle courte et sympathique de Laurent Herrou qui montre ce qu’il advient quand, parfois, on se laisse aller à regarder les objets, intensément, autrement. Les adultes ont-ils peur des peluches ?

Lorsqu’une scientifique passionnée par la mer trouve sur la plage une créature mi-homme, mi-poisson, s’affrontent en elle le désir avide de connaissances et la compassion pour un être coupé des siens et de son milieu. Nous avouons une tendresse pour le récit de Delia Sherman : « Miss Carstairs et le triton » qui s’aventure dans les territoires imaginaires avec un réalisme impressionnant.

Un immense sourire du début à la fin du « Dernier de la file », tout doré de la magnificence des légendes et du sacré, mais livré avec une décontraction moderne et iconoclaste, dans le style et dans la langue. Un conte très drôle signé Esther M. Friesner.

« Adagio pour un reflet » est un texte qu’on aurait envie de rapprocher de celui de Poul Anderson, qui lui ressemble par le ton et la possibilité d’une lecture psychanalytique. Mais le doute est un élément de plus apporté par Frédéric Jaccaud. Délires d’un malade mental ou cri de douleur d’un être différent, incompris, qui ne demande qu’à prouver sa vraie nature ? Entre la réalité et son reflet, on se perd, avec plaisir.

Alex Irvine ouvre le bal en invitant le lecteur à partager une tranche de la vie d’une usine qui fabrique des Golems à la chaîne. Au delà du récit, vivant, plaisant, « Les Golems de Détroit » montre comment, dans une certaine forme de division du travail, des exécutants, simples et limités, peuvent contribuer à une œuvre des plus terrifiantes, sans en mesurer ni l’horreur, ni la portée.

Entre ces textes de qualité, on trouvera des intermèdes BD de Marion Gired, Alexis Segarra, James, Grégory Elaz, des planches extraites du « Corriere dei Piccoli » et des croquis d’Ashley Wood qu’il serait malaisé de dépeindre ici, mais qui valent assurément le détour.

Francis Valéry, dans ses « Carnets Rouges », fait une large place à la Fantasy, rendant un hommage particulier à Thomas Burnet Swann, tandis que Laurent Queyssi propose un retour en arrière sur le contenu rédactionnel de la revue mythique « Métal Hurlant ».

Enfin, l’article présenté dès l’éditorial comme central pour ce « Fiction », tome 4 : l’Étude de Thierry Smolderen sur l’origine supposée du pseudonyme de Mœbius et sa probable influence sur le travail de l’artiste.
Il s’agit d’un essai d’analyse très érudit qui décortique jusqu’au niveau inconscient le matériau censé confirmer l’hypothèse de départ. À grand renfort de métaphores (tout est ruban) et d’extraits signifiants de bandes dessinées, on nous montre un Mœbius engendré par chacun des mots de la nouvelle de Martin Gardner. On en apprend ainsi un peu sur les intentions conscientes du père de « Blueberry », et beaucoup sur les passions de l’auteur de l’essai, et sur son talent à donner corps à ses plus belles intuitions.
Ce papier permet en outre, par une savante contorsion façon ruban de Mœbius, de relier « Fiction », l’ancienne formule, à la toute nouvelle version que l’on tient entre ses mains.

Finalement, ce « Fiction, N°4 » est un volume plaisant dont la richesse fait oublier ses inconvénients légers comme les quelques coquilles qui demeurent dans certains textes et le fait qu’on retrouve en entête des textes, le nom de leur auteur et pas leur titre.

« Fiction, tome 4 », c’est la promesse de longues heures de lecture sans une seule minute d’ennui.

Titre : Fiction
Numéro : 4
Ouvrage collectif : revue (anthologie)
Éditeur : Les moutons électriques
Couverture : Mœbius
Format (en cm) : 21 x 17
Pages : 368
Parution : 27 octobre 2006
Diffusion : CED
Distribution : Les Belles Lettres
ISBN : 978-2-915793-22-0
ISSN : 0223-4742
Prix : 23€

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  • Ketty Steward
    31 octobre 2006


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