Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Mickey7
Edward Ashton
Bragelonne, science-fiction / thriller, traduit de l’anglais (États-Unis), 347 pages, juillet 2022, 20€


Il se nomme Mickey, il vit sur la planète Midgard. Plusieurs problèmes : il a choisi la profession d’historien à un endroit où l’on n’en a pas besoin, la planète n’offre pas vraiment grand-chose qui l’intéresse, et son désœuvrement l’a conduit à accumuler les dettes auprès d’un créancier sans aucune pitié. Une seule solution : quitter Midgard. Une seule opportunité : trouver un poste sur le vaisseau qui s’en va tenter de coloniser la lointaine planète Niflheim. Il signe donc, les yeux fermés, pour le seul poste pour lequel il n’y a eu aucun autre candidat. Il n’aurait pas dû.

Il n’aurait pas dû, parce que ce poste est celui de consommable. En d’autres termes, de jetable, de sacrifiable. Pas une seule fois, mais à l’infini. Le corps, l’esprit, la mémoire de Mickey sont sauvegardés en cuve dans un double organique que l’on peut réveiller lorsque le besoin s’en fait sentir. C’est-à-dire lorsque le Mickey original est mort. Ou lorsque le second, sorti de cuve et lui aussi sauvegardé, est mort. Ou lorsque le troisième est mort. Et ainsi de suite à l’infini, puisque Mickey est là uniquement pour mourir. Ce qui tombe bien parce qu’entre les travaux dans l’espace à haut risque, les brèches dans la coque à réparer, les tâches exposant à des rayonnements létaux ou à de nouveaux types de microbes, et les explorations d’un nouveau monde abominablement dangereux, les opportunités de mourir ne manquent pas.

Mickey est donc devenu immortel. Le revers de la médaille, c’est aussi qu’il est devenu bien plus mortel que ses compagnons de voyage. Entre de longues périodes d’inactivité, il ne cesse pas vraiment de mourir. Autre problème, la plupart des membres du vaisseau sont des natalistes, c’est à dire qu’ils considèrent que ce genre de double humain ne devrait pas exister. Ils tueraient bien les deux exemplaires simultanés de Mickey, celui qui se sacrifie et celui qui est en cuve, pour en finir à tout jamais avec cette abomination. C’est dire que le jour où un exemplaire du Mickey considéré comme mort survit miraculeusement et retourne à la base, alors que les colons ont déjà tiré son double de la cuve, il a sérieusement intérêt à se cacher. Et les deux ont sérieusement intérêt à dissimuler le fait d’être devenus jumeaux. S’ensuivront, dans une petite colonie de moins de deux cents personnes où tout le monde se connaît, une succession d’aventures et de péripéties, agrémentées d’une pointe de vaudeville, où les deux Mickey chercheront à la fois à sauver leur peau et à éviter que le commandement ne commette l’irréversible en détruisant une espèce extra-terrestre – ou en poussant cette espèce à liquider les colons.

Si la tonalité quelque peu désabusée du discours du narrateur évoque à la fois les personnages d’Andy Weir (le Mark Watney de « Seul sur Mars » ou le Ryland Grace de « Projet dernière chance »), et le Bob Johansson de Dennis E. Taylor (« Nous sommes Légion », « Nous sommes nombreux », « Tous ces mondes » ), on établira plutôt un parallèle avec l’excellent « Lune fourbe » de l’écrivain américain d’origine lituanienne Algys Budrys (Rogue Moon, 1963) peut-être trop méconnu malgré plusieurs éditions en France (Presses de la cité 1975, Pocket 1977, Milady 2016). Dans «  Lune fourbe », l’exploration d’un labyrinthe extra-terrestre jalonné de pièges mortels est effectuée par les versions successives d’un même individu, qui ne cesse de se sacrifier pour l’accomplissement de sa tâche. Si ce thème du double organique, fabriqué, n’avait alors rien de nouveau (il avait même déjà diffusé hors du genre stricto sensu, voir par exemple l’aventure de Bob Morane, « Le Retour de l’Ombre jaune », écrite en 1960 par Henri Vernes), la brièveté et l’âpreté psychologiques de « Lune fourbe » lui donnaient ses lettres de noblesse.

Ce questionnement existentiel, métaphysique, n’est pas occulté dans « Mickey7 », et l’on ne peut s’empêcher d’y réfléchir en frémissant à plusieurs reprises, tout particulièrement à la fin du chapitre huit, mais, s’il est constant, il est là à bas bruit, en toile de fond, et tend à s’effacer devant les péripéties. La dimension ludique du roman l’emporte, mais le récit laisse au lecteur l’opportunité de considérer « Mickey7 » comme un roman de science-fiction qui pose bien des questions sur l’identité, un thème qu’Algys Budrys avait développé dans « Lune fourbe » et qu’il avait également abordé dans un autre roman « Qui  » (Presses de la Cité, 1975).

Questionnement sur l’individu, mais aussi sur le genre humain et sur l’Histoire, car la curiosité du narrateur et sa formation d’historien le poussent (quand il n’est pas occupé à mourir d’une manière ou d’une autre) à plonger dans les archives informatiques et à étudier les rapports et relations des colonisations spatiales et des tentatives de terraformation d’exoplanètes. Tentatives réussies ou avortées, heureuses ou dramatiques, mais toujours pleines d’enseignement et fortement révélatrices des qualités et des limites de l’espèce humaine.

Récit divertissant, histoire d’une rencontre de troisième type, « Mickey7 », tout comme le «  Projet dernière chance » d’Andy Weir, apparaît comme un récit de science-fiction optimiste où l’astuce du narrateur offre à l’espèce humaine l’opportunité d’un « premier contact » réussi. Justement calibré à trois cents pages, « Mickey7 » fait donc partie de ces bons romans de science-fiction qui, sans faire preuve de prétention excessive, parviennent à mêler la distraction et la réflexion. À noter que ce roman, qui présente un potentiel cinématographique certain, doit être adapté au cinéma par Bong Joon Ho, avec Toni Colette, Robert Pattinson et Mark Ruffalo. On a appris à se méfier de ces effets d’annonce, même s’il a été précisé que le film est en pré-production chez Warner Bros. Autre annonce, un second volet des aventures de Mickey7, « Antimmater blues », devrait être publié en langue originale courant 2023.


Titre : Mickey 7 (Mickey 7, 2022 )
Auteur : Edward Ashton
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Benoît Domis
Couverture : Jean-Charles Pasquer / Shutterstock
Éditeur : Bragelonne
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 347
Format (en cm) : 21 x 14
Dépôt légal : juillet 2022
ISBN : 9791028114138
Prix : 20 €



La science-fiction Bragelonne sur la Yozone :

- « Seul sur Mars » par Andy Weir
- « Projet dernière chance » par Andy Weir
- « Thin air » par Richard Morgan
- « New York 2140 » par Kim Stanley Robinson
- « Gunpowder Moon » par David Pedreira
- « Exploration » par D. Nolan Clark
- « Salvation tome I : Les Portes de la Délivrance » par Peter F. Hamilton-
- « Salvation tome II : Les Chemins de l’exode » par Peter F. Hamilton
- « Salvation tome III : Le Signal des saints » par Peter F. Hamilton
- « La grande route du Nord Tome I » par Peter F. Hamilton-
- « La grande route du Nord Tome II » par Peter F. Hamilton
- Le Cycle de Pandore tome I « Pandore Abusée » par Peter F. Hamilton
- Le Cycle de Pandore tome II « Pandore menacée » par Peter F. Hamilton
- Le Cycle de Pandore tome III « Judas déchaîné » par Peter F. Hamilton
- Greg Mandel tome I « Mindstar » par Peter F. Hamilton
- Greg Mandel tome II « Quantum » par Peter F. Hamilton
- Greg Mandel tome III « Nano » par Peter F. Hamilton
- « Manhattan à l’envers » par Peter F. Hamilton
- « Dragon déchu » par Peter F. Hamilton



Hilaire Alrune
3 août 2022


JPEG - 27.6 ko



Chargement...
WebAnalytics