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Lëd
Caryl Férey
Pocket, Thriller, roman (France, 2021), policier, 544 pages, juin 2022, 8,75€

En Sibérie, il ne fait pas bon être à Norilsk, ancien goulag, aujourd’hui cité minière broyant ses habitants : conditions climatiques extrêmes et pollution crevant tous les records. En plein hiver, une tempête arrache la toiture d’un ancien immeuble, révélant alors le cadavre d’un nenet, un éleveur de rennes. Que faisait-il là ? Et que lui est-il arrivé ? L’affaire est confiée à Boris Ivanov, la cinquantaine ventripotente qui prend le défi à bras le corps.



À la demande de son éditeur, Caryl Férey, l’écrivain voyageur, s’est rendu à Norilsk en compagnie d’un ami, la « Bête », séjour relaté dans « Norilsk » paru chez Paulsen en 2017. Le lecteur a ainsi déjà pu se familiariser avec cette ville définie comme « la plus pourrie du monde », dixit l’auteur. Le polar sans concessions et engagé « Lëd » est l’occasion d’y retourner et de l’appréhender d’une autre façon.
Après la Nouvelle-Zélande (« Haka » et « Utu »), l’Afrique du Sud (« Zulu ») et l’Amérique du Sud (« Mapuche », « Condor » et « Paz »), Caryl Férey pose ses bagages dans la ville la plus septentrionale de Russie, une cité minière usant prématurément ses habitants du fait d’une pollution maximale et d’un hiver des plus rigoureux durant 8 mois.
Norilsk est un personnage à part entière de par son contexte mais aussi par son passé. L’ombre de Staline plane toujours sur les immeubles délabrés, une chape de plomb coiffe la ville, quasi fermée sur elle-même et n’offrant guère d’espoir. Il ne fait pas bon y vivre, il faut se contenter de peu, voire de moins, ne pas quitter son rôle, rester dans les clous. Les années soviétiques sont loin, mais les habitudes demeurent. Travailler à la mine revient à risquer chaque jour sa vie dans l’attente du week-end, la seule échappatoire étant de se noyer dans l’alcool pour oublier des lendemains sans horizon. Gleb est de ceux-là, Dasha lui fait les yeux doux, se réservant pour celui qu’elle aime depuis l’enfance. Pourtant il reste insensible, comme s’il ne la voyait pas. Rien d’étonnant, car Gleb est homosexuel et l’avouer reviendrait à se condamner dans la société russe. Autour de Boris Ivanov, Gleb et Dasha gravite tout un ensemble de personnages : famille, collègues de travail, compagnons de beuverie...
La trouvaille du cadavre du nenet entraîne toute une suite d’événements lourds de conséquences. Ivanov sait que ce sera compliqué de mettre toute la lumière sur les différents faits, il ne se fait guère d’illusion, car il a été déjà broyé par une précédente affaire lui ayant valu sa mutation disciplinaire à Norilsk. La corruption est omniprésente, les puissants s’en tirent toujours, jouissant d’une impunité malsaine. À qui faire confiance ? Que peut Boris s’inquiétant pour sa femme aux bronches fragiles ? Un peu comme lui, le lecteur assiste impuissant aux tragédies qui se succèdent. La détresse de Dasha s’avère touchante, Gleb reste impassible, fidèle à la persona qu’il s’est construite pour se protéger d’une société sans pitié. Les forts peuvent si vite redevenir des enfants... Norilsk n’est plus un goulag, mais détruit toujours les hommes et femmes. « Lëd » est émaillé de portraits magnifiques, d’instantanés dressant le portrait de ce coin reculé de la Russie entre magouilles et débrouilles.
Ceux qui connaissent l’auteur avancent en craignant le pire, se doutant que cela ne peut que se finir mal ou dans un happy end en demi-teinte. Comment les choses pourraient-elles aller autrement ? La lecture est vraiment immersive, chaque personnage apporte sa pierre à l’édifice, chaque détail affine le contexte, transporte un peu plus au-delà du cercle polaire. Caryl Férey a aussi le sens de la formule, il écrit très bien. À la force des images, il rajoute celle des mots. La lecture des romans de Caryl Férey constitue toujours une expérience pour le lecteur, car l’auteur forge ses récits à partir du réel, à partir de choses vues et d’expériences vécues au cours de ses propres voyages.

Avec « Lëd », Caryl Férey immerge les lecteurs dans une ville lointaine, inhumaine, un peu hors du temps avec le présent qui côtoie toujours le passé stalinien. Les habitants ne peuvent que subir, vivre au mieux, prendre la vie comme elle est et sans penser aux lendemains. Des personnages magnifiques traversent les pages de ce roman très fort, un polar très noir mais aussi engagé à travers le portrait de la Russie d’aujourd’hui.
Après « Norilsk », « Lëd » parachève le tableau et il est de toute beauté, sans concessions mais fascinant.
Indubitablement, Caryl Férey est un des tous meilleurs auteurs de policier français. Chaque nouvelle parution en apporte la preuve.


Titre : Lëd
Auteur : Caryl Férey
Couverture : Nicolas Caminade
Éditeur : Pocket (1ère édition : Les Arènes, 2021)
Collection : Thriller
Site Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 544
Format (en cm) : 10,8 x 17,7
Dépôt légal : juin 2022
ISBN : 9782266320054
Prix : 8,75 €


Caryl Férey sur la Yozone :
- Les nuits de San Francisco
- Plus jamais seul

Pour écrire à l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
21 juin 2022


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