Paul Di Filippo est rarement traduit en France, ce qui est dommage, car les lecteurs de « La Trilogie Steampunk » et de « Pages perdues » ont compris le talent de l’auteur à imaginer des histoires différentes et surprenantes. « Un an dans le Ville-Rue » répond parfaitement à ce constat, cette ville-monde défie l’imagination : une rue visiblement sans début ni fin, limitée d’un côté par la nature, le fleuve, et de l’autre par la voie ferrée, la technologie acheminant ce qui ne peut être obtenu sur place. Et ces êtres éthérés visibles par tous !
Tout est aussi subtilement décalé : David Patchen écrit de la Cosmos-Fiction, de la CF, dans laquelle il imagine des mondes différents du sien, parfois proches du nôtre. Paul Di Filippo en profite pour assener quelques piques, car la CF y est décriée, considérée comme une sous-littérature ne pouvant être qualifiée de sérieuse, pourtant elle se vend très bien et c’est elle qui fait vivre l’éditeur de Patchen. C’est justement pour son aptitude à se projeter dans l’inconnu qu’il est choisi pour participer à l’expédition dans un autre quartier. Sa compagne, bien plus grande que lui, en impose, attire tous les regards par son physique et son exubérance. Le couple se fréquentant ressemble aux deux faces d’une médaille.
Le langage est aussi contourné avec l’utilisation de mots différents, mais tout de suite compréhensibles, apportant une touche d’exotisme supplémentaire. Toujours ce décalage, cet ailleurs différent mais non sans points communs empêchant de le balayer d’un revers de la main en se disant que c’est impossible. L’auteur donne vie à sa création si originale. Les adresses donnent le tournis, Diego habite dans le quartier de Vilgravier du côté du 10 394 850e bloc. Il a beau être auteur de CF, la question de l’existence du bloc 0 le laisse sans voix. Y a-t-il un début et une fin ? Ou la ville est-elle enroulée sur elle-même ? Paul Di Filippo donne des éléments de réponses au détour d’une chasse lucrative dans les sous-sols de la ville. D’ailleurs qui l’a construite ?
L’auteur joue aussi des références, la plus immédiate étant celle au « Monde du fleuve » de Philip José Farmer par la géographie linéaire si particulière. Par la propension à imaginer d’autres mondes se rapprochant du nôtre, « Le maître du Haut-château » de Dick vient aussi à l’esprit et n’y aurait-il pas une influence Lucius Shepard ? Le génie de l’auteur repose justement sur ces nombreuses ouvertures, sur cette volonté de disséminer des indices pouvant suggérer des explications à l’existence de la Ville-Rue. Sont-elles vraies pour autant ? En effet, rien ne lève vraiment le mystère, des pistes mais rien ne levant le voile.
« Un an dans la Ville-Rue » nous transporte ailleurs, à la fois très loin et si près de notre monde, dans une improbable ville tout en longueur, personnage à part entière de ce court roman décalé à de nombreux points de vue et apportant un dépaysement de tous les instants. Paul Di Filippo se rappelle ici à notre bon souvenir, nous laissant avec quelques regrets : on aurait aimé que cela dure plus longtemps et quand le lira-t-on à nouveau ?
En une heure, la lumière nous amène très loin. De même, en un an Paul Di Filippo nous amène très loin le long de la Ville-Rue suivant les méandres d’une imagination fertile et si stimulante.
Voilà un auteur qui mérite vraiment d’être découvert, tant sa voix s’avère originale.
Titre : Un an dans la Ville-Rue (A Year in the Linear City, 2002)
Auteur : Paul Di Filippo
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Pierre-Paul Durastanti
Couverture et conception graphique : Aurélien Police
Éditeur : Le Bélial’
Collection : Une Heure-Lumière
Numérotation dans la collection : 37
Directeur de collection : Olivier Girard
Site Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 122
Format (en cm) : 12 x 18
Dépôt légal : mai 2022
ISBN : 9782381630434
Prix : 9,90 €
Autres titres de la collection :
1. « Dragon » de Thomas Day
2. « Le nexus du Docteur Erdmann » de Nancy Kress
3. « Cookie Monster » de Vernor Vinge
4. « Le choix » de Paul J. McAuley
5. « Un pont sur la brume » de Kij Johnson
6. « L’homme qui mit fin à l’histoire » de Ken Liu
7. « Cérès et Vesta » de Greg Egan
8. « Poumon vert » de Ian R. MacLeod
9. « Le regard » de Ken Liu
10. « 24 vues du mont Fuji, par Hokusai » de Roger Zelazny
11. « Le sultan des nuages » de Geoffrey A. Landis
12. « Issa Elohim » de Laurent Kloetzer
13. « La ballade de Black Tom » de Victor LaValle
14. « Le fini des mers » de Gardner Dozois
15. « Les attracteurs de Rose Street » de Lucius Shepard
16. « Retour sur Titan » de Stephen Baxter
17. « Helstrid » de Christian Léourier
18. « Les meurtres de Molly Southbourne » de Tade Thompson
19. « Waldo » de Robert A. Heinlein
20. « Acadie » de Dave Hutchinson
22. « Abimagique » de Lucius Shepard
23. « Le temps fut » de Ian McDonald
24. « La Survie de Molly Southborne » de Tade Thompson
25. « Les Agents de Dreamland » de Caitlin R. Kiernan
26. « Vigilance » de Robert Jackson Bennett
27. « La Fontaine des âges » de Nancy Kress
28. « La Chose » de John W. Campbell
29. « Ormeshadow » de Prya Sharma
30. « À dos de crocodile » de Greg Egan
31. « Toutes les saveurs » de Ken Liu
32. « Le livre écorné de ma vie » de Lucius Shepard
33. « Symposium Inc. » de Olivier Caruso
34. « Sur la route d’Aldébaran » de Adrian Tchaikovsky
35. « Simulacres martiens » de Eric Brown
36. « La Maison des Jeux, tome 1 : Le serpent » de Claire North
38 « Opexx » de Laurent Genefort
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francois.schnebelen[at]yozone.fr