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Rocaille
Pauline Sidre
Projet Sillex, roman (France) fantasy, 487 pages, février 2020, 25€

Assassiné, le roi Gésill est tiré de la mort par les Funestrelles, une bande mafieuse qui écume le royaume, et un vieux parchemin enchanté. Amnésique, le roi découvre qu’il a perdu le pouvoir de sa lignée : faire naître et grandir les plantes d’un simple toucher, et par là assurer la prospérité, ou au moins la subsistance de ses sujets. Car Rocaille est une terre quasi stérile, moribonde, ravagée par une météo infâme qui alterne chaque jour de la semaine entre gel, orage et pluie, laissant le paysage rincé, la végétation pourrissante ou chétive, et la population de même.
Seul espoir pour faire illusion et revendiquer son trône à nouveau : trouver un Magistre, dont le pouvoir pourrait faire illusion. Problème : son aïeul s’est chargé de les pourchasser jusqu’au dernier. Et pourtant, à la faveur d’une expédition contre une bande rivale, les Funestrelles mettent la main sur le joyau perdu : un jeune homme à la peau brillante, capable de quelques miracles...



Pour son premier roman, Pauline Sidre frappe très fort. « Rocaille » est un petit bijou à de nombreux points de vue.
Tout d’abord, côté narratif, l’autrice joue très bien de l’alternance des personnages dans un point de vue externe, nous laissant voir juste ce qu’il faut de leur psychologie pour aborder des thèmes forts avec beaucoup de justesse : Gésill s’interroge face à sa nouvelle immortalité, qui s’accompagne de certaines pertes de sens ; Iliane la Funestrelle, sans doute le personnage le plus complexe de l’histoire (et l’un des rares féminins), sur sa relation avec Ardan, le chef de la bande ; enfin Luèlde le Magistre, enfant ballotté par les adultes, victime régulière de la voracité des puissants, et qui a appris à ployer avec le vent. On s’attarde davantage sur son histoire, avec des chapitres flash-back sur les moments-clés de sa courte existence.

Ensuite, l’univers de Rocaille, qui déroute tandis qu’on en brosse le tableau. La cour est décadente, le palais semble une enclave où s’est réfugié le gouvernement, et très vite on découvre les ministres avides de cueillir, au sens propre, les fruits de la proximité royale : Gésill a un vague souvenir de sa façon de gouverner, et ne se remémore que l’interdit ancestral de quitter le château. Coupé de son peuple, il ne le découvre vraiment qu’à la faveur de sa résurrection, en accompagnant les brigands.
Au fil des souvenirs des jeunes années de Luèlde, on découvre d’autres lieux plus urbains que la campagne moisie qui environne le château. Certains cadrent parfois mal avec les conditions météo qui s’abattent sur tout le pays, une malédiction si totale qu’elle heurte parfois notre seuil d’incrédulité.

Cette histoire est une quête, et même plusieurs : quête du dernier Magistre, quête des reliques et de leur mémoire, quête d’un passé effacé par l’Histoire officielle, quête du meurtrier du roi. Le voyage nous plonge dans des décors ravagés, nous laisse entrevoir un âge d’or révolu, nous éclaire sur le point de bascule grâce à certaines vieilles magies. L’autrice s’autorise un audacieux paradoxe temporel, qui apporte une touche de légèreté dans la dramaturgie générale. Et c’est tant mieux, car sans la lumière qu’apporte Luèlde (à tous les sens du terme), on serait dans de la dark fantasy la plus totale. La tension est permanente, et certaines scènes sont assez violentes, frôlant un grand-guignol cruel et malsain (chaque scène avec Ardan, le retour sur le trône...)

Mais « Rocaille » vaut surtout pour la cohabitation de trois personnages très forts : Gésill, Iliane et Luèlde. Le roi, traumatisé par sa résurrection autant que par le mystère de son meurtre, est d’abord touchant, bien plus humain mort et libéré du carcan royal qu’il ne l’aura été de son court règne. Néanmoins, à la faveur des événements, la jalousie et la soif de pouvoir, de revanche vont reprendre le dessus, le poussant au despotisme lorsqu’il entrevoit que Luèlde lui échapperait.
Iliane nous apparaît comme la lieutenante des Funestrelles, une bande violente derrière son allure de joyeux compagnons de Robin des Bois. Sèche et hautaine pour se faire respecter de son frère Bathesme, le savant de la bande, elle est plus protectrice envers le cadet, force de la nature mais esprit faible, que les autres se plaisent à embêter. On réalise peu à peu, l’autrice le distillant à merveille, que le cœur de la bande est une fratrie. Que le dissident qu’Ardan, le chef, est allé recadrer.... Et qu’Ardan lui-même, son amant, est son frère, décidé à reproduire un schéma royal de pureté de la lignée en forçant ses soeurs. Iliane a toujours réussi à éviter les grossesses, mais quand Luèlde entre dans l’équation, les choses se compliquent. En parallèle de la quête des Magistres perdus, Pauline Sidre fait monter la tension sur le rapprochement entre le Magistre désinvolte et la Funestrelle, faisant coïncider l’explosion de leur amour mutuel avec le retour annoncé d’Ardan. Le climax final est double : tandis que Gésill s’appuie sur Ardan pour récupérer son trône et châtier les coupables, Iliane et Luèlde cherchent à échapper à leur emprise. Mais tant de choses ont mal tourné précédemment qu’on serait surpris par un happy end, aussi la tension est-elle à son comble jusqu’à l’épilogue.

Si on accepte donc quelques petites incohérences de fond au prétexte de la magie, Rocaille fourmille de qualités, de trouvailles scénaristiques, de rebondissements, de mystères. Très noir, il évoque des thèmes très durs (l’esclavage, l’inceste, l’emprise, la violence omniprésente) en filigrane d’une quête de fantasy mâtinée d’une énigme policière. L’autrice sait émouvoir aussi bien que tenir en haleine, et son histoire tient toutes ses promesses, jusqu’aux révélations finales, à la hauteur de l’ensemble.

Un très bon roman rehaussé par la qualité matérielle de l’ouvrage proposé par Sillex, très peu de scories éditoriales (quelques alinéas douteux) et un très belle couverture de Cindy Canévet.


Titre : Rocaille
Autrice : Pauline Sidre
Couverture : Cindy Canévet
Éditeur : Projet Sillex
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 487
Format (en cm) : 22 x 15,5 x 3,5 (hardcover)
Dépôt légal : février 2020
ISBN : 9782490700035
Prix : 25 €



Nicolas Soffray
9 juillet 2022


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