Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Vers un ailleurs meilleur
Johan Heliot
Seuil Jeunesse, roman (France), anticipation, 273 pages, mars 2022, 14€

Le monde est en piteux état, ravagé par la sécheresse, la pollution, les conflits. En France, dans la mégapole de France-Nord, les citoyens coupables d’incivilités, comme Maya, lycéenne rebelle, perdent des points et à zéro, on les condamne à l’effacement mémoriel pour mieux les réinsérer dans la société. Son père a subi ce lavage de cerveau, et Maya ne veut pas abandonner Max, son petit frère, aussi décide-t-elle de devenir hors-la-loi, de fuir à travers les bidonvilles de la périphérie, d’affronter le Grand Désert jusqu’au Mur qui sépare le pays en deux. Là, ils paieront un perceur pour les faire passer de l’autre côté, puis ils rejoindront l’Afrique, paradis épargné.
A 18 ans, Arno a déjà été « effacé ». repris à chaparder de l’alcool, il semble bon pour le camp de redressementis il est recruté par Justin, un cadre en costard qui lui promet 1000 points de Bon Citoyen s’il participe à un programme spécial durant une semaine. Son boulot : traquer et capturer les fuyards sous l’œil des caméras...



Sous une couverture qui n’augure rien de bon avec son mur, son désert, ses drones et son ciel rouge, Johan Heliot nous livre une bonne anticipation jeunesse, très en phase avec les préoccupations actuelles.
Le monde est ravagé par les catastrophes écologiques. Immergé dès la première page dans le système judiciaire qui broient les « mauvais citoyens » rebelles ou fauteurs de troubles, on le découvre durant la fuite de Maya et Max : autour de l’ancienne capitale, avec un quartier réservé aux très riches, des zones périphériques de moins en moins bien dotées s’étendent jusqu’au désert aride, pollué. La sécurité n’y est pas forcément assurée, la survie se fait par tous les moyens, les trafics prolifèrent. Maya, une fois sa décision prise, comprend que sa vie d’avant n’était pas la pire.
Le chemin qui l’attend est semé de dangers, pour son petit frère et pour elle. Obligé de négocier avec Tarkus, le jeune caïd de la bordure, elle échappe à une première tentative de viol avant de prendre la fuite avec l’aide d’un petit chauffeur de taxi-scooter. Dans le désert, le périple est aussi dangereux, et ils rencontreront des passeurs dés de tout scrupule, échapperont à la mafia qui tient les conduits sous le mur...

Mais la meilleure chance de Maya, c’est Arno. Ils se sont croisés devant le juge, mais le garçon, costaud et débrouillard, a donc accepté ce pacte : on efface ses erreurs plutôt que son cerveau, et même on lui offre un avenir meilleur, s’il traque les fuyards. Avec un couple de reporters et deux autres volontaires, de l’équipement ultra-moderne, les voilà en chasse, croisant le convoi de Tarkus bien décidé à se venger de l’humiliation infligée par Maya.
Mais parce qu’il n’aime pas ses compères, ni l’idée de chasser de pauvres gens, et malgré l’épée de Damoclès que Justin fait peser au-dessus de sa tête, Arno laisse filer Maya, avant de trahir son groupe, peu après. Se condamnant à une mort à brève échéance, certes, mais résolu à mourir en faisant quelque chose de bien pour autrui.

Je ne vous détaille pas toutes les péripéties : Johan Heliot a mis à profit des décennies de post-apo, « Mad Max » en tête, pour paver cette odyssée des pires épreuves, qui feront frémir les plus jeunes. J’insisterai plutôt sur les très bons éléments d’anticipation qu’il donne à lire à la jeunesse :
- une société ultra-sécuritaire, très hiérarchisée, oppressive, déshumanisée, qui m’a rappelé l’excellent film « Time Out » d’Andrew Niccol, entre autres. Maya sait que son père, ancien activiste, a été réduit au silence tout comme on veut la « traiter » parce qu’elle tient tête aux figure d’autorité dans son lycée.
- une histoire de migration forcée. A l’instar des malheureux qui fuient la guerre ou les persécutions dans leurs pays, Afrique ou Europe de l’Est, Maya doit fuir si elle veut vivre. L’auteur fait un pied de nez à l’Histoire en faisant de l’Afrique, aujourd’hui la laissée-pour-compte du monde, oubliée des luttes contre la faim ou les épidémies, le nouvel Eden, terre de vie et de liberté. Mais sur leur route, les migrants trouveront un Mur, monté par la France-Sud pour se protéger de l’afflux. Bien plus haut et infranchissable que celui que Trump a fait dresser pour « protéger » les USA des migrants mexicains. L’auteur ne s’étend pas sur sa construction, tout comme il laisse dans le flou l’enchainement des événements qui ont conduit le monde à ce stade. Il faudra l’accepter et l’admettre.
Maya et Max croise donc des passeurs, et on voit que leur fuite n’est qu’une parmi des dizaines, et qu’une organisation malhonnête s’est montée pour en profiter, rançonnant les fuyards à toutes les occasions, menaçant de les laisser crever dans le désert sinon. Tout au long du roman, même en l’absence de dangers futuristes, l’auteur nous fait ressentir la peur, la mort omniprésente.
Le pire, pour Maya, c’est la séparation. elle a promis de prendre soin de Max, et elle n’hésite pas à se sacrifier plusieurs fois pour permettre à son petit frère d’être sauvé. Si nous n’étions pas dans un roman, elle serait sans doute morte plusieurs fois, torturée, violée...

La narration, au présent et à la première personne, alterne entre Maya et Arno, ce qui nous permet, en parallèle de la fuite, de suivre les prémices de ce programme qu’on a présenté au jeune homme. On y retrouve les éléments SF qui fleurent bon là aussi les délires nauséabonds les conservateurs et racistes de nos jours : donner l’illusion d’un cadre légal à une procédure-spectacle pour éviter les débordements, éviter les initiatives individuelles et les milices paramilitaires dont les excès et les crimes finiraient par avoir des effets néfastes, voire de réveiller une opinion qu’on aura tout fait pour garder docile. On découvre, en seconde partie de voyage, que les plus riches, réfugiés en Suisse, se donnent bonne conscience en expédiant quotidiennement du matériel humanitaire. Là encore, dans l’espace du roman et de la narration interne, pas de place pour le détail, ni pour chipoter sur quelques incohérences légères, mais encore une fois le propos du texte n’est pas là. L’auteur introduit également de la nuance, ses personnages à de rares exceptions sont ambivalents, et ceux qui essuient le fiel légitime de Maya, trafiquants, passeurs, lui rétorquent qu’ils sont un moindre mal, que sans eux les fuyards mourraient sans espoir d’atteindre la côte méditerranéenne. De quoi faire réfléchir les lecteurs, sur la question des crimes acceptables ou non.

Et éveiller les consciences sur ce qui a déjà lieu chaque jour, sans ce vernis SF.
Un roman facile à lire, très prenant, mais violent, sans gants, à l’image du monde qui les attend malheureusement.


Titre : Vers un ailleurs meilleur
Auteur : Johan Heliot
Couverture : Aline Bureau
Éditeur : Seuil
Collection : Jeunesse
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 273
Format (en cm) : 20,5 x 14 x 2
Dépôt légal : mars 2022
ISBN : 9791023512540
Prix : 14 €



Nicolas Soffray
14 mai 2022


JPEG - 23.4 ko



Chargement...
WebAnalytics