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Kasso
Jacky Schwartzmann
Seuil, Cadre noir, roman (France), roman noir, 213 pages, février 2021, 18€

Jacky Toudic est le sosie parfait de Mathieu Kassovitz. Grâce à cette ressemblance, il escroque des gogos se rêvant producteurs. Lui rêve, avec son magot, d’une retraite dans les îles, loin de sa vie d’arnaqueur, sans cesse entre deux villes, seul.
Lorsque sa mère déclare un Alzheimer, Jacky revient à Besançon, retrouve la ville de sa jeunesse, ses potes d’alors. Au hasard d’un rendez-vous Tinder, il rencontre Zoé, une avocate qui ne se laisse pas prendre à son numéro comme toutes les autres et le plante à la sortie du resto. Lot de consolation, Jacky a été remarqué par un chef d’entreprise local, profil type du pigeon.
Mais alors qu’il revoit Zoé, pour qui il en pince vraiment, celle-ci le pousse à abandonner ses petites arnaques. Au profit d’un grand coup : monter La Haine 2, rien que ça !
Bien entendu, tout ne va pas aller comme sur des roulettes...



Bon, c’est mon 4e roman de Jacky Schwartzmann, il va devenir difficile de ne pas répéter les mêmes compliments.

Jacky, son (anti-)héros éponyme, est une nouvelle fois en marge de la société, refusant de se couler dans le moule, préférant la (relative) facilité d’abuser de la faiblesse de la société. En l’occurrence, cette attraction incroyable des stars de cinéma, nouvelles idoles, portées aux nues par le commun. Pour Jacky, dans l’ombre de son double célèbre, c’est l’assurance de femmes faciles, de petits passe-droits qui mettent de l’huile dans les rouages, et donc son gagne-pain à pigeonner les gogos, modèle principal : gros beauf chef d’entreprise, pas forcément honnête, et prêt à lâcher gros de sa compta occulte pour déjeuner, voire plus, avec une inaccessible actrice. Jacky leur vend du rêve, comme le reste de la société. Et la honte de s’être fait avoir lui épargne toute plainte. Et arnaquer des naïfs lui épargne toute culpabilité. Voilà pour la critique sociale et l’acceptabilité du personnage. Ne ferions-nous pas pareil à sa place ?

Bien sûr, il y a le revers de la médaille, la solitude, la vie dans l’ombre, le travail réel nécessaire pour parfaire l’illusion, ne pas se faire remarquer no démasquer. Les rencards faciles de Tinder, il le sait, se partagent entre celles qui y croient et celles qui veulent y croire, pour une nuit. Jouer Kasso, c’est l’être quasi tout le temps, réduire ses vrais amis, les gens avec qui on peut être soi, à peau de chagrin.

Avec Zoé, c’est quasi le coup de foudre parce qu’elle ne rentre pas dans les cases habituelles ; Démarre une histoire d’amour, un autre rêve pour Jacky, celui de mettre fin à cette vie qui n’en est pas une. Et la belle lui offre de quoi y parvenir : passer à la vitesse supérieure, rafler la mise en une seule fois. Elle a les compétences qui lui manquent pour monter un plan pareil, un bagou professionnel qui complète son numéro d’acteur. Pour Jacky, les astres s’alignent. Le lecteur attend forcément le désastre. Et quand on change d’échelle dans le pognon détourné, les conséquences grimpent aussi de quelques barreaux... Entre un crocodile et deux banquiers russes, on voit le mur se rapprocher à toute allure.

Il y a aussi beaucoup de tendresse, comme toujours, dans « Kasso ». Si Jacky gère la confusion fréquente avec Mathieu, l’Alzheimer de sa mère lui porte un coup violent. Elle le prend pour son médecin, croit que Nagui est son fils. Le voilà obligé de jouer la comédie à sa mère, alors que la fin est proche, qu’il aurait voulu qu’enfin ils se parlent. Jacky Schwartzmann mélange cette peine à un humour forcené, madame Toudic, ex-prof de philo, jurant comme une charretière et réclamant de la beuh dans sa chambre d’Ehpad. Sa bouffée de lucidité finale nous fera écraser quelques larmes.

Mais ce sont surtout des larmes de rire que provoque « Kasso », émaillé comme les romans précédents de Schwartzmann d’un humour noir féroce, qui n’épargne personne. Le coup des viagers page 149 est particulièrement truculent, prenant le contrepied de ce cliché rendu célèbre par le film de Pierre Tchernia avec Serrault et Galabru. On tremble à voir Jacky s’associer avec Elder, un pote de bar complètement perché, qu’il présente comme son scénariste pour La Haine 2. On anticipe avec délectation les scènes ubuesques qui en découlent, entre la sidération des protagonistes encore maîtres de leurs facultés et les aléas d’une situation où plus c’est gros, plus ça passe. Ou pas.

Enfin, n’oublions pas le portrait de Besac, cette ville qui n’a pas changé depuis qu’il en est parti, sauf par petites touches. Les bars crades ou étudiants devenus repaires de bobos et inversement. Sans oublier l’invasion des librairies, avec de très bonnes adresses distillées au passage.

En conclusion, je tiens à confesser que j’ai encore péché, dévorant « Kasso » entre le soir et le lendemain matin, sans aucun respect pour tout le travail que demande un tel roman ciselé dans les moindres détails, de l’intrigue à la langue, des rebondissements à la toile de fond, sans oublier la petite promesse finale qu’on aura pas vu venir, emporté par le tourbillon.
Tendre et noir, amoral et terriblement humain, sarcastique à souhait, ça ferait un très bon film. Reste à trouver un acteur pour le rôle-titre...


Titre : Kasso
Auteur : Jacky Schwartzmann
Couverture : Virginie Perrollaz d’après Malte Mueller / getty Images
Éditeur : Seuil
Collection : Cadre Noir
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 213
Format (en cm) : 20,5 x 14 x 2
Dépôt légal : février 2021
ISBN : 9782021453966
Prix : 18 €



Nicolas Soffray
9 septembre 2022


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