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Si tu vois le Wendigo
Christophe Lambert
Syros, roman (France), fantastique, 331 pages, janvier 2021, 16,95€

David Jones, 13 ans, ne sait pas encore que ces vacances de l’été 1959 marqueront la fin de son enfance. Lui qui regarde Bonanza, construit des cabanes dans les bois avec son ami Bobby Lee qui vit dans le même lotissement des Arpents Verts. Les choses commencent à dérailler avec la voisine, Ruth Bannerman, que son pote et lui découvrent hagarde et la bouche en sang. Son mari, héros de guerre, chute radicalement dans l’estime du garçon, qui réalise que ce n’est pas la première fois qu’il la frappe.
Puis David surprend des gros bras flanquer une raclée à Bannerman. Il découvre aussi son père avec une robe de sa mère. Son grand-père, en maison de retraite, annonce qu’il épouse son infirmière. Enfin, c’est la petite sœur de Bobby qui raconte des histoires à propos du wendigo, une bestiole mythique des bois qui serait venue la voir dans ses rêves et qui exaucerait les vœux....



Christophe Lambert signe ici un très bel hommage à Stephen King. On retrouve dans la trame, dans l’âme de « Si tu vois le wendigo » tout ce qui fait le charme des romans du Maître de Bangor, mais aussi ses techniques d’écriture, que Lambert, qui est aussi scénariste, a parfaitement assimilées.
Vous ai-je déjà dit ma préférence, dans les dernières œuvres de l’Américain, pour ce petit bijou qu’est « Joyland » ? L’auteur reprend ici la forme du récit a posteriori. David, devenu un auteur à succès, revient sur sa jeunesse, quand il écrivait ses premières histoires, et ce fameux été qui lui aura fait vivre de quoi remplir une bibliothèque entière. Ce procédé d’écriture permet quelques effets d’annonce, remarques anticipatrices et des jeux plaisants de « si j’avais su » et autres « comme je le comprendrais plus tard » qui nouent une autre relation avec le lecteur, plus seulement spectateur des événements mais déjà dans la connivence.

Vient ensuite la peinture de l’Amérique de la fin des années 50 (on est en 1959, la m^me année que dans « Stand by me »), encore marquée par la Guerre, avec des vétérans partout. Mike Bannerman est rentré d’Europe avec de sérieux traumatismes, ce qui d’après Ruth justifie ces accès de violence, tandis que le père de David s’était retrouvé dans des bureaux. Héros contre planqué, deux figures masculines radicalement opposées. Kennedy n’est pas encore élu, la Guerre Froide s’annonce plus sûrement que l’hiver. Mais cela, le jeune David n’y attache pas encore trop d’importance.
Ce qui le captive, c’est Ruth Bannerman. En petit jeune homme, il s’imagine le protecteur de sa voisine, son rempart contre un mari violent. Premier amour, pour une femme de l’âge de sa mère, mais aussi une femme qui n’est pas une mère. Cela donne des scènes cocasses, lorsqu’il tombe d’un arbre avec ses jumelles, que l’auteur intrique parfaitement avec la tension autour des brutes qui viennent tabasser Mike. Ruth le met dans la confidence : son mari a des dettes de jeu et pour les rembourser, il est devenu complice de contrebande de cigarettes. Elle lui demande de se taire, car tout devrait s’arranger. Il accepte, car il ferait tout pour elle, pour être avec elle, pour ce frisson dès qu’il la regarde. Mais malgré tout, son côté chevalier servant va le pousser à vouloir la sauver malgré elle, malgré sa promesse...

Et arrive enfin, maintenant que la situation est à point, le wendigo, créature à tête de cervidé mort, et son « interprète », un lapin échappé de « Bambi » avec une forte appétence pour les clopes. L’auteur soulage la terreur d’un fantastique horrifique avec de l’humour très décalé, et ça marche du tonnerre. Et arrive le moment du vœu, pacte faustien contre lequel on aura mis David en garde, mais à cet instant, le grand garçon pense, forcément, bien faire... sans se douter que la magie du wendigo peut prendre des voies détournées, et les vœux au pied de la lettre. La situation va donc empirer, mettant en danger Ruth et David, jusqu’au climax final, sous l’orage, comme dans « Joyland », une symbolique forte.

On pourra parler des nombreuses références musicales ou télévisuelles qui émaillent le texte et l’ancrent dans une époque que les lecteurs n’ont pas connue, et dont la plupart parleront davantage à la génération au-dessus (nous les vieux). Mais là aussi, l’emploi d’un récit a posteriori permet au narrateur de pointer, pour le lecteur d’aujourd’hui, toutes ces choses si modernes en 1959 et disparues aujourd’hui, marquant ce passé comme définitivement révolu, presque hors du temps, quasi fictionnel.

On appréciera enfin que David ait accompli son rêve de devenir écrivain, un parcours pas toujours évident, une reconnaissance qui prendra du temps, puis le succès. Un procédé qu’affectionne King, qui permet de confondre le narrateur et l’auteur, sa réalité et la fiction.

« Si tu vois le wendigo » fait clairement partie des livres que j’ai laissé patienter sur mon étagère, craignant la déception pour d’obscures et irrationnelles raisons, et que je savoure plus d’un an après sa sortie en culpabilisant de ne pas l’avoir lu plus tôt, tant il contient tout ce que j’aime, tout ce qui fait ces grands romans où tout est intriqué, rien n’est là au hasard, chaque promesse littéraire est tenue, et où le fantastique, pourtant pas mon Imaginaire de prédilection, magnifie un roman d’apprentissage bourré d’humanité et d’émotions sincères. C’est bien simple, je n’ai interrompu ma lecture à chaque fois qu’à regret, impatient d’avoir 15,10, 5 minutes même pour la poursuivre. Retrouver David, sa passion impossible et inavouable pour Ruth, et ces épées de Damoclès au-dessus de leurs têtes à tous.
Dans ce roman, Christophe Lambert dose à la perfection événements historique, relation amoureuse (à sens unique), aventures adolescentes, thriller, fantastique et même une pointe de nature writing, car il est impossible de ne pas confronté les lotissements alignés au carré avec la beauté sauvage des forêts alentour. Le tout dans un roman très accessible pour les 13-15 ans, qui se retrouveront dans David, et suffisamment riche pour satisfaire les plus âgés.


Titre : Si tu vois le Wendigo
Auteur : Christophe Lambert
Couverture : Nicolas Vesin
Éditeur : Syros
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 331
Format (en cm) : 22 x 15 x 2,5
Dépôt légal : janvier 2021
ISBN : 9782748527254
Prix : 16,95 €



Nicolas Soffray
12 avril 2022


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