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Enfants des Otori (Les), tome 1 : Les Guerriers Orphelins
Lian Hearn
Gallimard Jeunesse, roman (Grande-Bretagne), saga fantastico-historique, 385 pages, mars 2021, 18,50€

Deux ans après la mort de Takeo Otori, les Huit Îles sont en proie aux troubles. Le général Saga, représentant de l’empereur, fait régner la terreur et traque les anciens soutiens de son rival.
Kaede s’est retirée au monastère de Terayama, où sont cachés d’autres fidèles de son défunt époux, mais aussi des enfants comme Sunaomi, fils de Zenko Araï et neveu d’Otori, et son petit frère, mais aussi Hisao, le propre fils de Takeo, bien déterminé à réclamer son héritage, par tous les moyens.



C’est un temps difficile : les fils des alliés des Otori qui n’ont pas déjà été tués sont pourchassés et pris en otage par Saga, les filles mariées à ses enfants ou ceux de ses généraux. Le nouveau dirigeant des Huit Îles a semble-t-il sombré dans une folie vengeresse et destructrice, pour effacer le nom de son rival de l’histoire impériale.

Au monastère, on explique au jeune Sunaomi qu’il doit cacher son identité et il devient Kasho. Autour de lui, il observe d’autres orphelins, de maître ou de père : Hiroshi, l’ancien intendant de Takeo, qui est amoureux de sa fille Shigeko, mariée à l’immonde Saga ; Hisao, le fils ainé qui s’estime légitime ; Masao, qui se dit fils de guerrier, mais est en fait le petit-fils de Saga qui a fait assassiné son père qu’il soupçonnait de trahison. Ainsi, comme dans la saga originale « Le Clan des Otori » et son préquel « Shikanoko », on retrouve ce qui fait la force des romans de Lian Hearn : dans ce Japon féodal fantastique, les familles sont étroitement liées, et le code d’honneur fait autant de ravages que la jalousie.

Pour qui n’aura pas lu les deux saga précédentes, « Les Guerriers Orphelins » peut presque se lire indépendamment : quelques références vous échapperont, sans toutefois nuire à la compréhension générale de l’intrigue ni au crescendo de la tension. Une fois maitrisé l’arbre généalogique de tout ce petit monde, intervient derrière la trame politique la dimension fantastique : la Tribu, communauté extra-familiale dont les membres maitrisent certains pouvoirs occultes, entrent en scène. Hisao se révèle un maître des fantômes, pouvoir rare et dangereux, puisqu’il peut asservir des défunts, ce qui inquiète ses rares soutiens, conscient que son ambition dévorera tout. Kasho, pour sa part, est aussi capable de « petits miracles », ce qui lui vudra d’être réclamé et utilisé par tous les camps. Difficile, à 10 ans, de faire le tri entre ses modèles d’adultes et le Bien et le Mal. C’est pourtant ce qu’il apprendra tandis que tous vont à Miyako, la capitale, où Saga compte bien exécuter en public les frères Miyoshi : Gemba, le moine qui a protégé Kasho, et Kahei, le général des Otori.

Une nouvelle fois, l’autrice nous plonge dans un tourbillon vertigineux de politique, de passions et de magie noire. En nous plaçant à hauteur d’enfant, elle nous montre avec de moins en moins de naïveté la violence des passions des adultes, et on voit l’inconstance de certains et la folie d’autres. Ainsi, Saga semble avoir un remords sincère d’avoir fait tuer son fils aîné, mais cela se met pas fin à ses projets d’exécution. Kahei, apprenant la filiation de Kasho, commence par reporter sur lui les crimes de son père, avant d’être ramené à la raison et vouloir l’adopter. Est-ce pour mieux le manipuler, et bénéficier de son pouvoir, ou est-ce sincère ? Il n’y a bien qu’avec les jeunes que Kasho a davantage confiance, mais les ados, aux portes de l’âge adulte, entrent eux aussi dans cette spirale.
Le cas d’Hisao est révélateur : comme Kasho, on le voit au début comme un futur héros, l’héritier légitime au parcours semé d’embûches en raison de ses actes passés et de leurs conséquences. Jugé par les fidèles des Otori, il passe à une voix de la mort, grâce à son petit cousin, qui s’en mordra les doigts en découvrant combien l’ambition pousse Hisao aux pires actes de magie noire et de traitrise.

La magie est très présente dans ce volume, au travers de pouvoirs de chacun, du faux loup Gen et du crâne de joyaux, créés dans « Shikanoko » (ce qui achève de boucler la boucle) et nous confirme bien que l’engouement mondial pour la saga est aussi une reconnaissance de la littérature de l’Imaginaire. Ce tome est particulièrement sombre, pas seulement mélancolique mais parfois assez terrifiant, avec un petit Kasho balloté entre forces militaires toutes plus avides de châtier les traitres et membres de la Tribu aux pouvoirs dangereux. Le pouvoir d’Hisao est annoncé dès le début comme particulièrement nocif : tous s’accordent à dire que les maîtres des fantômes ont toujours mal tourné, et l’héritier des Otori le confirme en malmenant les défunts qu’il invoque, les contraignant à le servir, tandis qu’au contraire Kasho cherche à les apaiser, une attitude plus respectueuse des ancêtres. Mais Hisao est prêt à tout pour conquérir le pouvoir, acquérir des pouvoirs, et n’écoute pas lorsqu’on lui rappelle le prix à payer. Kasho, innocent, désintéressé, n’a pas à subir ce contre-coup karmique.

La tension monte à l’extrême jusqu’au climax final, qui mêle guerre et magie, et qui coûte la vie à nombre de protagonistes. On est presque surpris par le quasi happy end qui suit, mais il est normal : la paix et l’ordre naturel ont été rétablis, les cieux ne sont plus en colère. On serait presque tenté d’en rester là, et de fait, on ne reste pas sur sa faim.
Mais bon, va-t-on bouder le tome 2, « La Révolte Invisible » qui sort ces jours-ci ? Certainement pas !

Drames familiaux, identités secrètes, magies ancestrales, mais surtout des personnages attachants et émouvants, même les plus sombres, la recette de Lian Hearn accomplit encore une fois son petit miracle.


Titre : Les Guerriers orphelins (Orphan warriors, 2020)
Série : Les enfants des Otori, tome 1
Autrice : Lian Hearn
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Philippe Giraudon
Couverture : Olivier Charpentier
Éditeur : Gallimard Jeunesse
Collection : Littérature grand format
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro :
Pages : 388
Format (en cm) : 22,5 x 16 x 3,5
Dépôt légal : mars 2021
ISBN : 9782075138789
Prix : 18,50 €



Nicolas Soffray
30 mars 2022


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