Nous sommes dans l’univers des imprimeurs, celui de Gutenberg, comme son nom l’indique, que l’on considère comme le père de l’imprimerie. Gutenberg a réussi à combiner des techniques existantes, celle des caractères mobiles, celle de la presse, celle de l’encrage et inventa ainsi l’imprimerie dans sa forme la plus moderne. La vie personnelle de l’imprimeur ne fut pas un long fleuve rhénan tranquille, il mourut endetté et fit non sa fortune mais celle de son usurier, lequel le temps d’un procès se transforma définitivement en associé contraint.
Les livres étaient alors écrits entièrement à la main, réservés à une élite non seulement lettrée mais prospère car les livres atteignaient des coûts prohibitifs. Gutenberg, grâce aux procédés qu’il métissa, permit de diffuser la culture et le savoir de son temps.
L’éditeur Polonais Granna a publié ce jeu réalisé par deux auteurs Katarzyna Cioch, Wojciech Wiśniewski et illustré par Rafał Szłapa. Atalia vient de l’éditer en français.
Ce jeu propose une totale immersion dans l’univers de l’imprimerie. Vous pourrez à votre tour de jeu prendre des commandes, disposer des encres de couleur nécessaire, développer vos compétences professionnelles comme la composition, la gravure, la reliure ou l’enluminure, améliorer les techniques de votre atelier à l’aide d’engrenages qui s’emboîteront et tourneront à chaque tour, faire appel à des mécènes… et aussi acheter des caractères d’imprimerie !
Ce qui est subtil et étonnant dans le gameplay, c’est qu’il correspond non seulement à ce que l’on peut imaginer d’une imprimerie avec la résolution et l’enchaînement des actions logiques, mais également à la vie du célèbre imprimeur qui dut faire appel au mécénat pour maintenir ses affaires à flot. Une partie du mécénat permet de récupérer des avantages immédiats (recueillir une commande supplémentaire, accroître une compétence, prélever de l’argent ou des encres). L’autre consiste à capter des mécènes qui seront d’un indéfectible soutien. C’est en fin de partie que cela se comptabilisera et parfois… vous pouvez avoir de mauvaises surprises lors du comptage des points. Parier sur un avenir prospère n’est pas toujours chose aisée.
La mécanique qui opère et apporte une différence avec d’autres jeux de gestion et d’optimisation se cristallise dans les choix d’action et des enchères d’initiative. Les joueurs possèdent chacun un plateau minimaliste où sont répétées les 5 actions possibles. Caché.e.s derrière leur paravent, ils posent des cubes noirs devant les actions qu’ils anticipent, et surtout, ils peuvent en miser le nombre souhaité. À la divulgation des paravents, les actions s’effectuent dans l’ordre du plateau, en débutant par les prises de commandes.
Parmi les joueurs qui ont choisi cette action (on peut ne pas avoir posé de cubes et donc ne pas effectuer l’action) on va regarder celui qui est majoritaire sur sa pose de cubes. C’est ce joueur qui a l’initiative et qui s’empare en premier sur le plateau de ce qu’il juge nécessaire à son atelier. Mais alors à quoi sert d’être premier joueur ? Surtout qu’il a 7 cubes, donc moins que le deuxième qui en a 8, que le troisième qui en a 9 et que le quatrième qui en a 10 ? Et bien en cas d’égalité de pose de cubes sur une action, il est prioritaire.
Ce raffinement crée des surprises impromptues. L’on enrage parfois d’avoir parié de nombreux cubes pour une action non choisie pas les autres joueurs, et l’on se retrouve à la traîne sur une action suivante. Petite frustration de voir les commandes/encres/compétences/engrenages/mécènes tant attendu.e.s nous passer sous le nez ! Ce subtil système d’enchères procure sa dosette de frissons et offre des interactions intéressantes entre les joueurs.
Vous pouvez aussi ajouter à votre plateau personnel une des tuiles de personnages importants de l’époque, de Gutenberg à Peter Schöffer en passant par Aldo Manuzio et bien d’autres encore, qui vous permettent de bénéficier d’habiletés spécifiques qui peuvent orienter votre stratégie.
Le jeu est fluide, logique, particulièrement bien « designé ». Le plateau est agrémenté d’enluminures, les caractères d’imprimerie sont en bois et gravés en miroir comme de véritables lettres gothiques moulées. Tout le matériel se range dans des boîtes en carton sur lesquelles une simple icône induit au premier coup d’œil ce qui se glisse à l’intérieur. La mise en place du jeu se fait rapidement et aisément car chaque élément a été pensé avec beaucoup de minutie. Si vous ôtez la totalité du matériel de la boîte principale, vous découvrez un atelier d’imprimerie en illustration de fond de boîte. Chaque détail est charmant, rien n’est laissé au hasard pour une immersion et une méticulosité appliquée, laquelle à la lumière du thème du jeu, pouvait sembler un pari hasardeux.
Au final c’est une réussite totale jusqu’à la règle de jeu claire et soignée, illustrée avec un esthétisme raffiné. Les points importants sont soulignés avec des encarts précis sous la houlette de manicules illustrées (petites mains) qui soulignent les éléments de jeu à ne pas laisser passer. Ces manicules étaient présentes dans les manuscrits médiévaux et les intégrer à la règle fait partie de ces petits détails de direction artistiques bien travaillés qui apportent une valeur ajoutée à l’immersion du jeu.
Vous retrouvez également un abrégé sur les personnages des tuiles vous révélant des éléments de biographie et leurs liens et apports à l’imprimerie. Une source d’informations qui permet de s’imprégner davantage dans cette période de la renaissance et de ses apports culturels indéniables à tracer l’histoire du monde.
« Gutenberg » est un jeu de planification que vous prenez très vite en main car la logique des actions régit le gameplay. Le choix secret des actions au départ et les enchères sur l’initiative sont une véritable valeur ajoutée au plaisir de jeu. Vous pouvez axer votre stratégie de jeu en choisissant des chemins différents, en honorant des commandes à votre guise, en augmentant vos compétences qui vous rapportent des bonus et des points en fin de partie, en accroissant les capacités de votre atelier afin de bénéficier de bonus immédiats, attirer beaucoup de mécènes…
L’important sera de trouver l’équilibre ingénieux qui enchâssera à votre score des points de renommée. Une partie peut être gagnée en invitant de nombreux mécènes, mais pas que. Choisir d’autres voies en conjuguant les moyens mis à disposition peut s’avérer rentable.
Au bout du compte, « Gutenberg » est un véritable plaisir ludique, aux règles abordables, au gameplay varié et réflexif, grâce auquel vous découvrez les prémices des secrets des débuts de la typographie et la vie des fondateurs.trices de l’impression moderne.
Un énorme coup de cœur pour lequel nous souhaitons de devenir un classique.
Gutenberg
Type : gestion, enchères, programmation
Âge : 10 ans et +
Nombre de joueurs : 1 à 4
Durée d’une partie : 60 à 120 min
Auteur(s) : Katarzyna Cioch, Wojciech Wiśniewski
Illustrateur(s) : Rafał Szłapa
Éditeur : Granna Games & Atalia
Format de la boite (en cm) : 29,5 x 29,5 x 7
Date de sortie : 4 mars 2022
Prix public conseillé : 50€
Contenu de la boite :
1 plateau principal double face
4 plateaux Atelier
4 plateaux Initiative
4 Ecrans
10 tuiles Personnages
50 cartes Impression
50 cartes Finitions
10 cartes Compétences
16 cartes Mécénat
14 cartes Automa
40 caractères en bois
8 jetons de rechange
48 jetons Encre
2 jetons William Caxton
8 disques Joueur
12 cylindre gris
32 tuiles Engrenages
12 marqueurs Engrenage utilisé
20 marqueurs Joueur
34 marqueurs Initiative
1 marqueur Compte Tour
1 jeton Premier Joueur
57 pièces (Florins)
1 sac
Illustrations © Rafał Szłapa & Granna & Atalia