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Galaxies n°75 (Nouvelle Série)
Directeur de publication : Pierre Gévart
Revue, n°75, SF - nouvelles - articles - critiques, janvier 2022, 192 pages, 11€

L’uchronie revient à modifier un événement du passé, ce qui entraine une histoire différente de la nôtre. Typiquement, si Napoléon avait gagné la bataille de Waterloo, comment notre présent en serait-il affecté ? En première partie de l’imposant dossier consacré aux uchronies, plusieurs intervenants définissent ce genre, à savoir Bertrand Campeis, Karine Gobled et Jean-Guillaume Lanuque. Pierre Gévart réalise aussi un interview d’une sommité en la matière, Éric Henriet. L’ensemble ne manque pas d’intérêt et se révèle éclairant sur le domaine. Il apparaît notamment que l’uchronie peut servir d’outil de recherches universitaires en interrogeant le passé. Quel élément revêt une importance fondamentale, à un point tel que le changer modifie toute la suite, impactant le fil de l’Histoire ?
Des exemples dans les domaines des séries télévisées, de la bande dessinée et de la littérature sont encore donnés afin de se faire une idée plus précise, avant de passer au gros morceau, les nouvelles.



En lançant l’appel à textes, l’équipe de « Galaxies » était loin d’imaginer le succès rencontré : 154 textes soumis ! Ce qui a nécessité une organisation spéciale pour traiter cette masse et surtout choisir. À ce titre, ce numéro comporte 9 nouvelles dans la version papier, avec 5 supplémentaires dans la version numérique. Mais les choses sont loin d’en être restées là, car des numéros bis et même ter ont été montés, chacun connaissant une souscription pour la version papier.
Il est clair que l’uchronie intéresse les auteurs, le passé possède un côté fascinant. On ne peut changer le nôtre, mais s’interroger sur son déroulement, sur ses éléments déterminants et pourquoi pas imaginer un cours différent.
Dans les neuf nouvelles publiées, les points de bascule ne sont pas toujours faciles à identifier, ce qui constitue un des écueils de l’exercice qui s’adresse ici avant tout à de simples lecteurs et non à des férus d’Histoire, pour ne pas dire des universitaires. Parfois je me suis même demandé s’il s’agissait vraiment d’uchronie. La perception n’en est pas forcément la même pour chacun, les limites peuvent être souples parfois. Je pense ici à “Lorsque la mécanologie dominait le monde” d’Éric Vial-Bonacci qui s’apparente à du steampunk avant l’heure, avec un point de divergence qui échappera à beaucoup à mon sens. Un texte inventif, mais a-t-on affaire à une uchronie ?

Jean-Pierre Andrevon imagine une trame où Staline a été évincé par Trotski pour prendre la succession de Lénine. “Mort et apothéose de Joseph Vissarionovitch Djougachvili, dit Staline” nous présente donc le dictateur sous un autre jour, plus humain, victime du parti, exilé et écrivant sur les dérives du régime.
“Dans le mariage de Robespierre” de Raymond Iss, le révolutionnaire a échappé à son destin et est mis à la tête du pays qui prend une toute autre direction.
Pour Bruno Pochesci, la France accepte l’aide de Garibaldi pour s’opposer aux Prussiens, ce qui change la donne. Pour autant, la destinée du héros varie peu, il mourra le même jour au même endroit. “Pour Anita” contient même un zeste de fantastique, ce qui n’était pas forcément nécessaire. Ici, la distinction invention / réalité n’est pas toujours immédiate, car les deux sont mêlées.
Le fait que le massacre de Tian’anmen n’ait pas eu lieu a entrainé la Chine sur une toute autre voie. Pas d’industrialisation à tout-va, mais la religion a pris de l’importance. Je dirais que Pauline J. Bhutia opère des développements osés et que “Retour sur place espoir” ne convainc pas forcément.

Certains auteurs se sont attaqués à un passé plus lointain et si la brève introduction de chaque nouvelle ne donnait pas le point divergent, certains m’auraient échappé.
Dans “Vesta Aeterna”, Émilie Beltane nous plonge dans la Rome d’aujourd’hui où le culte de Vesta existe toujours. Le feu sacré est veillé par les Vestales, de jeunes vierges. Une journaliste jeune et dynamique de son temps interviewe la grande prêtresse. C’est l’occasion de revenir sur la condition des femmes, tout aussi sensible dans cette société différente.
Dans “Nuovo Mundo” de Thierry Schultz, Cortès a trouvé un adversaire à sa mesure, moins naïf, moins ancré dans les traditions que dans notre trame. Il est à remarquer que l’auteur situe son récit au point de divergence et n’explore donc pas le futur engendré.
En 1484, l’armée des rois catholiques n’a pas réussi à bouter les Musulmans hors de la péninsule ibérique. “Ichbiliya, 1206 A.H” de Lati Babeni reste ancré dans le quotidien en suivant le personnage de Jédiaël avec ses interrogations.

Et puis ma nouvelle préférée, la dernière du lot en plus : “La Scientifiction, un miracle français” dans laquelle un incident a bloqué Hugo Gernsback en France lors de son voyage vers l’Amérique. Alain Rozenbaum montre comment le genre s’est développé chez nous et comment le paysage de la littérature française en a été chamboulé, le genre prenant le pas sur tous les autres. Voilà qui fait rêver ! D’ailleurs c’est la seule nouvelle qui m’a vraiment vendu du rêve, celle dans laquelle j’ai retrouvé le sense of wonder si cher aux amateurs de l’imaginaire.
Les autres ne m’ont pas vraiment transporté, peut-être les limites du genre, l’uchronie dégage une certaine austérité. Elle s’attache à décrire une Histoire différente, celle qui aurait pu être si un élément du passé avait divergé. Elle s’interroge sur les conséquences et ne peut donc faire n’importe quoi, sous peine de dépasser les limites de l’exercice. Cela s’en ressent et apparait d’autant plus évident avec l’accumulation de textes. Vu le succès, l’uchronie fascine, car qui ne se pose pas de questions sur notre présent, ne regrette pas des décisions passées ? En plus, pas besoin d’imaginer de grandes théories scientifiques, d’évoquer des inventions nouvelles, ce n’est pas ce qui est demandé. À défaut de réenchanter notre présent, il s’agit de le réinventer, sans le révolutionner forcément. Les auteurs s’y sont pliés, apportant leur pierre à l’édifice qui s’avère imposant.

“Musique & SF” nous parle de Laurie Spiegel, montrant son approche mathématique de la musique à travers le développement de logiciels. Une rubrique toujours fascinante par son côté découverte. Il en est de même pour “Croisière au long du Fleuve” qui fête sa vingtième apparition. Sous la plume de Didier Reboussin, honneur à un artiste qui a longtemps incarné la collection Anticipation : Brantonne avec ses formidables fusées. Et puis de nombreuses chroniques litté, BD et ciné complètent ce copieux numéro.

L’uchronie ne manque pas d’attraits, mais ses règles en restreignent le champs d’action, ce dont je me suis rendu compte à la lecture de ce numéro. Il ne permet pas moins de prendre des leçons d’histoire, de comprendre que notre société aurait pu être différente si...


Titre : Galaxies Nouvelle Série
Numéro : 75 (117 dans l’ancienne numérotation)
Directeur de publication : Pierre Gévart
Couverture : Mira
Type : revue
Genres : SF, études, critiques, entretiens...
Site Internet : Galaxies
Dépôt légal : janvier 2022
ISSN : 1270-2382
N° ISBN : 9782376251415
Dimensions (en cm) : 13,5 x 21
Pages : 192
Prix : 11 €


Pour écrire à l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
4 mars 2022


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