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Comment pensent les animaux
Loïc Bollache
J’ai Lu, Documents, n° 13406, essai, 222 pages, février 2022, 7,20 €

Une intelligence animale ? Des intelligences animales plus exactement, qui ne se décomposent pas seulement en tâches exécutives, mais, en dehors de toute tentation anthropomorphique, doivent être abordées à travers bien des facettes. C’est ce que fait Loïc Bollache en articulant cet essai – après une introduction qui est aussi un rappel historique – autour de cinq grandes thématiques : la mémoire, le langage, la culture, la vie sociale et l’intelligence émotionnelle.



On ne résumera pas ici plusieurs dizaines de chapitres passionnants à travers lesquels le lecteur pourra vagabonder à son aise, grâce à la boussole d’une table des matières détaillée qui l’emmènera vers ses intérêts du moment. Comme dans l’essai de Bill François, « Éloquence de la sardine », il pourra, par exemple, en apprendre plus sur l’intelligence exceptionnelle des céphalopodes, et notamment sur les déplacements des poulpes et les capacités d’apprentissage des seiches. Il découvrira à travers ce volume comment apprendre à jouer au golf à des bourdons, ou à les inciter à tirer des ficelles. Il pourra lui-même apprendre le langage rudimentaire des gibbons à mains blanches dans la canopée (on ne sait jamais, cela peut toujours servir), ou la manière dont la baleine parvient à communiquer avec son baleineau sans attirer les orques.

Une des facettes de l’intelligence animale, c’est aussi ce que l’on nomme une culture. À savoir l’apparition d’un comportement innovant chez un individu, puis sa propagation au sein d’un groupe, aboutissant à des différences locales, des divergences entre ce groupe et des groupes géographiquement séparés. Un saut qualitatif permis, par exemple, par l’utilisation d’un objet, comme celui mis en scène au début du film « 2001 l’Odyssée de l’espace » de Stanley Kubrick. Ainsi découvre-t-on comment les singes japonais ont appris d’eux-mêmes à laver les pommes de terre et à trier les grains de blé mêlés à des grains de sable en les jetant à la mer, et quelles variétés d’oiseaux, de manière quasiment épidémique, se sont mis à venir ouvrir les bouteilles de lait sur les perrons des maisons anglaises dans les années cinquante (en dédaignant, toutefois, les bouteilles de lait écrémé).

Intelligence collective, intelligence “en essaim” : les organisations sociales des animaux vivant par milliers ont toujours fasciné. Pline l’Ancien (« Des animaux » chapitre XX), écrivait : “Les Fourmis ensevelissent et enterrent celles des leurs qui sont mortes, ce qui n’advient à aucun autre animal, excepté l’homme.” Comme bien des affirmations de l’auteur, celle-ci a été invalidée par l’observation. Pourtant, cet érudit et naturaliste du premier siècle n’était pas tout à fait dans le tort : ces insectes font bien de véritables cimetières à l’extérieur de leurs fourmilières, dont ils extraient leurs défuntes pour les empiler toutes au même endroit selon des règles précises. Au sujet des insectes, Loïc Bollache revient sur la fascinante danse des abeilles décrite par Von Frisch au milieu du vingtième siècle, dont sans doute nombre de lecteurs ont déjà entendu parler (on sait moins, peut-être, que cette découverte fondamentale a été faite presque par hasard, grâce à une observation faite alors que le scientifique s’intéressait à la vision des couleurs – une découverte résultant de la fameuse “sérendipité” qui conduit des chercheurs à trouver des choses qu’ils ne cherchaient pas). Il explique également comment les abeilles colloquent entre elles pour déterminer le meilleur emplacement d’une colonie future, parvenant à échanger dans un laps de temps réduit des quantités impressionnantes d’informations.

À travers ces relations, ces mises en évidence, ces éléments factuels, ces constats souvent surprenants, le lecteur découvre aussi le travail des scientifiques, qui, en lui-même, apparaît surprenant. Si certaines découvertes sont le fruit du hasard, la plupart résultent d’un travail méticuleux et acharné. Parfois de l’utilisation d’un dispositif expérimental très simple, mais auquel il fallait tout simplement penser – en d’autres termes un coup de génie. D’autres qui sont le fruit non pas d’années mais de décennies d’observation sur le terrain, des travaux de longue haleine qui mobilisent des équipes entières.

Il est intéressant de noter que bon nombre de découvertes rapportées par Loïc Bollache datent des dernières décennies, signes d’un intérêt sans cesse renouvelé de la communauté scientifique pour l’écologie et l’éthologie, que l’on pourra interpréter soit comme un ultime sursaut d’intérêt devant l’extinction de masse en cours, soit comme le reflet de la prise de conscience au niveau de la société de l’apocalypse lente en train de se dérouler autour de nous, et d’un authentique désir d’y apporter remède. Il est certain en tout cas qu’une meilleure compréhension des comportements des animaux ne pourra qu’être une aide précieuse pour la sauvegarde des espèces.

Dans le registre des inquiétudes, le lecteur pourra apaiser ses craintes et se féliciter : sa propre intelligence n’est pas encore détrônée. Mais il pourra avoir tout de même quelques arrière-pensées : la mésange nonette mémorise sans peine plusieurs milliers de caches pour ses aliments, ce dont bien peu d’humains seraient capables. Une incitation à la modestie, d’autant plus, nous explique Loïc Bollache, que notre propre cerveau, depuis l’époque de l’homme de Néanderthal, n’a cessé de décroître en taille. Qui lit les revues scientifiques sait par ailleurs que le quotient intellectuel humain a entamé dans nos pays une belle décroissance. Peut-être, songera le lecteur, faut-il nous dépêcher de comprendre les intelligences animales pour en trouver une de rechange avant d’avoir entièrement perdu la nôtre.

Nul besoin de connaissances scientifiques, en tout cas, ni de maîtriser le moindre vocabulaire technique pour découvrir les acquis rapportés par Loïc Bollache. Dans plusieurs dizaines de sous-chapitres thématiques de quelques pages chacun, l’auteur décrit de manière très simple une espèce, une observation, une expérience. Fourmis, abeilles, rats, seiches, geais, gobis sauteurs, singes, mésanges, bourdons, drongos, éléphants, dauphins, saumons, corbeaux, et bien d’autres représentants du règne animal sont ainsi passés au crible de l’œil aiguisé des scientifiques. Agrémenté d’une solide bibliographie et d’une postface d’Etienne Klein, ce petit livre d’à peine plus de deux cents pages a donc tous les mérites. L’animal en sort beaucoup plus intelligent, et le lecteur aussi.


Titre : Comment pensent les animaux
Auteur : Loïc Bollache
Couverture : J’ai Lu / Hein Nouvens / Moopsi / Alex Rockheart / SDhutterstock
Éditeur : J’ai Lu (édition originale : Humensciences 2019)
Collection : Documents
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 13406
Pages : 222
Format (en cm) :18 x 11
Dépôt légal : février 2022
ISBN : 9782290249970
Prix : 7,20 €



Un peu de sciences sur sur la Yozone :

- « Éloquence de la sardine » par Bill François
- « Le Théorème du parapluie » par Mickaël Launay
- « Lettres à Alan Turing », collectif
- « Intelligence artificielle : La plus grande mutation de l’histoire » par Kai-Fu Lee
- « L’intelligence artificielle n’existe pas » de Luc Julia
- « Mon odyssée dans l’espace » par Scott Kelly
- « Chroniques de l’espace » par Jean-Pierre Luminet
- « Mojave épiphanie » par Ewan Chardronnet (dans notre sélection Noël 2017)
- « Chasseur d’aurores » par Jean Lilensten



Hilaire Alrune
3 mars 2022


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