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Austral
Paul McAuley
Bragelonne, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), science-fiction, 378 pages, janvier 2022, 20 €


« Ma naissance a été un geste politique. Conçue dans une boîte de Pétri par injection directe d’un spermatozoïde dans un ovule, j’ai été personnalisée par une série de gènes ciblés. J’ai grandi dans une jolie petite éprouvette jusqu’à ce que j’atteigne une centaine de cellules, et, le cinquième jour, on m’a transférée dans l’utérus de ma mère. »

La Terre, dans un futur non précisé. Les dérèglements climatiques ont fait leur œuvre. L’humanité ne semble pas vraiment sur une bonne voie. Dans l’antarctique, en dépit des risques physiques et dans une politique de violence carcérale, elle exploite la population pénitentiaire pour mener à bien des gigantesques travaux. Dans ce lointain futur, le mépris de l’humanité est tel que l’on a créé par manipulations génétiques des humains modifiés, les Huskies, plus endurants, plus résistants au froid – contre lesquels les hommes politiques, par pur opportunisme, ne manquent pas de lancer des cabales qui leur rapporteront des voix.

Austral Morrales Ferrando est l’une de ces Huskies. Des circonstances contraires l’ont menée à la délinquance, puis à la prison, puis, sa peine purgée, de l’autre côté, parmi le personnel pénitentiaire des chantiers antarctiques. Son rêve : accumuler suffisamment d’argent pour gagner d’autres cieux, d’autres lieux, vivre dans un endroit qui l’a toujours fascinée, en Nouvelle Zélande, là où les Huskies ont des droits. Mais pour s’y rendre, il faut de l’argent, et sa paye n’y suffira pas. La voilà donc qui se livre à quelques trafics et s’acoquine avec Keever, un dangereux criminel, sous l’emprise duquel elle est naïvement tombée. Lequel distingue, dans la venue d’un homme politique faisant partie d’une branche fortunée de la famille d’Austral, l’occasion de concocter grâce à elle un plan pour s’évader. Plan foireux au terme duquel elle se retrouve en fuite dans un monde glacé après avoir pris en otage la fille de l’homme politique, c’est-à-dire sa propre cousine.

« Sans doute était-ce la raison pour laquelle le capitalisme l’avait toujours emporté. Il y avait peut-être des meilleures solutions, des coopératives, des syndicats, des communautés et ainsi de suite, mais pendant que leurs membres se disputaient sur l’éthique et les petits caractères de leurs chartes et procédures, le capitalisme poursuivait son œuvre et les engloutissait. »

Il y a dans la première moitié de cet « Austral » quelque chose qui ne fonctionne pas, ou qui ne fonctionne qu’imparfaitement. La naïveté et la passivité initiales de la narratrice ne sont pas crédibles au vu de son propre passé, et la soudaineté avec laquelle elle change d’avis pour s’enferrer dans un acte improvisé qui ne peut qu’aller à l’encontre de ses propres intérêts ne font pas d’elle un personnage cohérent. Le déroulé de l’action, le recours mécanique aux flash-backs sont loin de convaincre ; pour le lecteur, ce ne sont pas seulement des impressions de déjà-vu mais le constat que l’auteur se contente de transposer sans finesse des scènes empruntées à d’autres thrillers ou à des longs métrages. Qui plus est, certaines de ces scènes, excessives, inutiles, tendent plus à desservir le récit qu’à lui apporter quoi que ce soit. Il y a donc dans cet « Austral  » quelque chose de maladroit, de bancal, comme si le choix de l’auteur – greffer un thriller sur une toute autre histoire – n’était pas le bon.

Car il y a une toute autre histoire, sans doute le véritable sujet du roman – mais un sujet qui, insuffisamment développé, ne figure qu’en toile de fond alors qu’il aurait dû être au premier plan. Cette histoire, ce n’est pas, ou pas seulement, celle du monde que nous connaissons, en train de sombrer simultanément dans le déni et dans le réchauffement, mais celle d’une réussite écologique future transformée, deux décennies avant l’intrigue, en échec. Quelques générations plus tôt, alors que la péninsule antarctique se réchauffait plus vite que prévu, un mince archipel d’îles montagneuses, antérieurement reliées par la banquise au nord du continent, a pu devenir habitable : colons et réfugiés climatiques s’y sont installés, et un large mouvement, celui des écopoètes, a décidé d’en faire une zone véritablement viable. Leur idée : ne pas laisser les espèces végétales ou animales accidentellement importées prendre le dessus, mais mettre en place sur ces terres dégelées un écosystème robuste. Un fabuleux projet décrit comme “une variante de l’écopoièse, ce vieux rêve technocratique consistant à concevoir des écosystèmes autosuffisants dans des colonies orbitales et sur des planètes sans vie.” Grâce à un travail acharné, grâce à quelques manipulations génétiques (comme des mammouths ramenés à la vie à partir d’éléphants et de gènes d’anciens mammouths de Sibérie) ce rêve a pu être réalisé. Mais, une fois encore, les choses n’ont pas vraiment bien tourné.

« Mais l’état avait dispersé ou exilé les gardiens de la terre. Les promesses et les vœux prononcés un siècle auparavant avaient été rompus, et les intérêts commerciaux avaient remplacé la complexité émergente du nouvel écosystème par des monocultures industrielles. »

On connaît la musique, on sait comment les principes sont peu à peu grignotés, comment les jeux politiques aboutissent au pire, comment tous les prétextes sont bons. On sait depuis bien longtemps comment font les pouvoirs pour se débarrasser de la vieille garde. Les écopoètes, face aux intérêts financiers, sont inéluctablement condamnés. On les exile, on les déporte, on les met hors-la-loi. L’ordre nouveau peut régner. Ou plutôt l’ordre ancien, l’exploitation à tout va, la dévastation industrielle. C’en est fini des écopoètes et des rêves de véritable progrès.

« Elle me confia que tout ce qui poussait là, chaque arbre, chaque buisson et chaque brin d’herbe était issu du travail de générations d’écopoètes, et que tous les animaux ou presque, des vers de terre aux rennes en passant par les loups, devaient également leur existence à des individus qui avaient conçu et favorisé la création de réseaux complexes d’espèces, les laissant par la suite découvrir leur propre équilibre.  »

C’est dans la nostalgie, dans le chant poignant de cette belle aventure que le roman trouve sa véritable justification. Dans la dernière partie, le chapitre intitulé « Les plus beaux jours de ma vie  », dans lequel la narratrice, encore enfant, accompagne sa mère dans une fuite nostalgique sur les ruines des installations des écopoètes, de leurs jardins, de leurs cultures, de leurs habitation, de leurs refuges, le tout déjà à l’abandon, est sans doute le plus beau, le plus lumineux du volume. Il y a dans l’histoire de ce rêve réalisé puis détruit quelque chose d’éminemment sensible, mais aussi profondément pessimiste : il n’aura pas fallu plus de deux décennies à l’humanité pour retomber dans ses excès, pour détruire un nouveau monde, alors qu’elle avait mis des millénaires à détruire le précédent. On regrette que cette facette du récit, qui avait un énorme potentiel, n’ait pas été plus développée. L’auteur termine non pas sur une happy end mais sur une fin douce-amère, avec une note de poésie – ces pierres elfiques crées de toutes pièces mais qui néanmoins pourraient porter bonheur, le mystérieux ange gardien qui a permis à Austral de survivre aux pires moments de son aventure. Doux-amer, le lecteur l’est aussi, en songeant à ce que ce roman aurait pu être s’il avait été plus sincère, moins artificiel, moins obstinément commercial dans ses aspects de thriller.


Titre : Austral (Austral, 2019)
Auteur : Paul McAuley
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Sébastien Baert
Couverture : Blacksheep-uk.com / DepositPhotos
Éditeur : Bragelonne
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 378
Format (en cm) : 21 x 14
Dépôt légal : janvier 2022
ISBN : 9791028120214
Prix : 20 €


Paul McAuley sur la Yozone :

- « Le Choix
- « Les Diables blancs »


Hilaire Alrune
15 février 2022


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