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Le cyberespace de l'imaginaire




Noël 2021 à moins de dix euros
Olivier Hodasava, Olivier Caruso, Lucius Shepard, Thomas de Quincey, Selden Edwards, Daniel Kehlmann, Chantal Pelletier
Des livres accessibles à tous

Nous l’avons dit à l’occasion de Noëls précédents, nous n’hésitons pas à le redire : les livres sont un bienfait peu coûteux. Qu’ils soient en gratuité perpétuelle dans les bibliothèques n’empêche pas d’en désirer pour soi ou pour d’autres, mais le fait de ne disposer que d’un budget réduit ne grèvera jamais vos projets. Nul besoin, donc, de se laisser aller aux délices de la kleptomanie ou à la joie brutale du braquage pour offrir ou s’offrir un peu de lecture. Pour dix euros ou moins, vous disposerez d’un hallucinogène parfaitement légal dont les seuls effets indésirables seront de rendre les personnes à qui vous les offrirez plus intelligentes, plus savantes, plus éveillées et plus subtiles (du moins pour celles qui savent encore lire et qui sont encore capables de comprendre ce qu’elles lisent). Des cadeaux de surcroît plus durables que ces alcools de luxe dont le bien peu poétique destin et de finir urinés dans la neige fumante, ou que ces dindes qui n’ont d’autre destin que de se métamorphoser, de manière tout aussi peu poétique, en vomis rances des lendemains de fête ou en débâcles diarrhéiques des gastro-entérites hivernales. Les livres, eux, sont intemporels, ils peuvent être perdus et retrouvés, ils peuvent être lus et relus, leur goût et leurs saveurs ne s’atténueront jamais.



Un cadeau pour les amateurs de littérature à la frontière des genres : « Une ville de papier », par Olivier Hodasava.

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Deux éditions chez Inculte, une à plus de dix euros et une à moins de dix, il y en aura donc pour tout le monde. On aurait tort en effet de ne pas s’aventurer dans cette topographie doublement imaginaire, celle d’une fausse ville fictive inspirée à l’auteur par une véritable ville fictive (Agloe, comté de New York). Il était en effet autrefois d’usage, pour les fabricants de cartes géographiques, de marquer leur propriété intellectuelle par l’adjonction sur leurs cartes de lieux entièrement fictifs, sur leurs plans des rues entièrement imaginaires : grâce à ces « Copyright traps » et « Trap streets », les copieurs et imitateurs finissaient infailliblement démasqués. La « Ville de papier », c’est l’histoire d’une de ces villes entièrement fictives qui glisse tout doucement dans le monde réel, avant d’en disparaître à nouveau. “Rosamond, depuis, par un subtil effet performatif, s’était mis à exister vraiment”, écrit Hodasava. Le narrateur, fasciné par ce phénomène, par cette étrange oscillation entre réel et imaginaire, enquête à ses moments perdus, découvre que Rod Sterling s’en est inspiré pour un épisode de Twilight Zone, que Walt Disney s’y est intéressé et a un moment fait le projet d’y bâtir un ville idéale, le « Projet Rosamond », que Stephen King s’est fait photographier sous le panneau, que Rosamond a fini par figurer dans google maps puis en a été ôtée. Entre fait divers fascinant et tragique (l’élection avortée de Miss Rosamond), rencontres avec les descendants des protagonistes et redécouverte d’une borne commémorative, cette investigation qui peu à peu prend la saveur pleine et entière du réel compose un beau et bref roman humain, tout à la fois sensible, réaliste et mystérieux. « Une ville de papier  » se lit comme une quête et comme une enquête, sans jamais faire cesser de rêver.

Titre : Une Ville de papier
Auteur : Olivier Hodasava
Éditeur : Inculte
Collection : Barnum (poche)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 128
Dépôt légal : février 2021
ISBN : 9782360840939
Prix : 7,90 €

Un roman pour les amateurs de polars, de technothrillers et d’anticipation qui parlent du futur proche et de notre présent : « Symposium Inc. » par Olivier Caruso

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Premier auteur français non issu du sérail à s’imposer dans la prestigieuse collection de « Une heure-lumière » des éditions du Bélial’, Olivier Caruso louvoie avec astuce entre l’anticipation du futur proche, le whodunit, le roman judiciaire et le technothriller. Dénonciation des dérives de l’information et de l’ineptie et de la dangerosité des réseaux sociaux, mais aussi d’autres dérives présentes ou à venir, « Symposium Inc. » éveille le lecteur tout autant aux zones troubles de son quotidien qu’à ce qu’il faut craindre pour son lendemain. Humain et glaçant, prosaïque et terrifiant, « Symposium Inc. » interroge les technologies en cours de développement et leurs incidences légales et sociales. En moins de deux cents pages, Olivier Caruso ne fait pas que renvoyer John Grisham à la garderie, William Lashner à la crèche, Scott Turow à la maternelle et plus globalement les auteurs de thrillers juridiques aux oubliettes du suranné et aux royaumes de l’obsolescence et de la poussière, il s’intéresse aussi à la facette neuromantique et plus globalement à l’aspect cyberpunk du futur proche et – à travers les questionnements sur le libre-arbitre – à leurs implications métaphysiques. Qu’un ouvrage tel que « Symposium Inc. », dont nous avions signalé la parution et qui à sa sortie avait été chroniqué par François Schnebelen pousse à tout coup à se réconcilier avec le genre humain, nous nous garderions bien de l’affirmer. Mais il se pourrait qu’en ces périodes de fin d’année il permette aux lecteurs encore capables de saisir le sens profond d’un récit de garder la tête froide malgré les ivresses champagnisées des réveillons à venir.

Un roman pour les amateurs de littératures de genre prenant leurs racines dans le classique : « Le Livre écorné de ma vie » de Lucius Shepard

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Auteur jugé de son vivant trop littéraire pour être rentable, Lucius Shepard continue néanmoins, après sa disparition, à être publié par les incorrigibles éditeurs du Bélial’. Après des recueils remarquables comme « Aztechs  » ou « Le Dragon Griaule », après les novellas « Abîmagique  » et « Les Attracteurs de Rose Street », « Le Livre écorné de ma vie » peut être résumé comme une déclinaison moderne et fantasmagorique du très classique « Au cœur des ténèbres  » de Conrad. Pour ceux que les lumières trop artificielles et excessivement criardes de Noël importunent, pour ceux à qui les réjouissances superficielles des réveillons donnent envie de prendre avec les fêtards une distance salutaire, « Le Livre écorné de ma vie  », que nous avions précédemment chroniqué, apparaît comme une belle invite à se plonger dans la nuit verte des jungles et les ténèbres sans fin de l’âme humaine et des êtres d’ailleurs.

Un cadeau pour les amateurs de mythes et d’érudition : « L’énigme de la sphinx » de Thomas de Quincey chez Allia

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Les amateurs de classiques, qui ont tous lu les « Souvenirs d’un mangeur d’opium anglais », apprécieront ce petit essai qui prétend résoudre une énigme multimillénaire sur laquelle un nombre incalculable de générations s’est cassé les dents. Comme le souligne le traducteur dans sa postface, avec un auteur tel que de Quincey, il n’est jamais possible de faire la part des choses : chez ces champions du pince-sans-rire que sont les auteurs britanniques, la frontière entre sérieux, ironie, autodérision et grandiloquence est toujours mince et poreuse. Qu’importe : on appréciera toujours la prose et les idées de l’auteur, et si cette « Énigme de la sphinx  » n’apparaît pas comme un texte majeur, elle saura, en tant que curiosité de lettré, séduire par son caractère original. De Quincey fait partie de ces rares auteurs qui sont capables de rester plaisants même dans leurs textes les plus anecdotiques. Il est vrai qu’un homme ayant écrit un essai intitulé « De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts » ne saurait en aucun cas être mauvais. Les chances que la personne à qui vous offrirez un tel texte l’ait déjà sont bien plus minces encore que ce petit volume d’une soixantaine pages. De la surface d’à peine plus de deux cartes de crédit, il ne vous coûtera que trois euros et dix centimes. Ce qui ne l’empêche pas d’être embelli par une élégante et sobre couverture à rabats, ni d’être agrémenté par un portrait et par un appendice, « Souvenirs de James Hogg », par l’auteur des « Confessions du pêcheur justifié ». Une véritable aubaine, à ce prix, là, comme le laissait présager le nom du traducteur, c’est donné.

Titre :L’énigme de la sphinx (The Sphinx’s Riddle, 1849)
Auteur : Thomas de Quincey
Traduction de l’anglais (États-Unis), l’anglais (Grande-Bretagne) : Boris Donné
Couverture :
Éditeur : Allia
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 59
Format (en cm) : 9 x 14
Dépôt légal : février 2019
ISBN : 9782
Prix : 3,10 €

Un cadeau pour les amateurs de fantastique d’ambiance : « Tu aurais dû t’en aller  » de Daniel Kehlmann

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Un couple avec une fillette dans une maison isolée louée au bout d’une petite route de montagne…on s’en doute : les choses vont déraper. Moderne par l’écriture mais classique par ses ambiances et par sa progression « Tu aurais dû t’en aller » ne fait pas mentir son titre. Quand un autochtone bien intentionné vous murmure de filer pendant qu’il est encore temps, quand l’épicier du coin vous fourgue une équerre qui permet de tracer des angles impossibles, quand les robinets commencent à s’éloigner lorsque vous tendez la main dans leur direction, c’est l’heure de décamper sans plus attendre – mais c’est aussi déjà trop tard. Avec quatre-vingt-dix pages légères et aérées, plus proche d’une nouvelle que d’une véritable novella « Tu aurais dû t’en aller », est un peu, de la part des éditions Actes Sud, l’art de vendre une nouvelle au prix d’un roman. À tout juste dix euros, c’est aussi, incontestablement, le volume le plus cher au kilo de notre sélection. Mais c’est rapidement lu, ça n’occupe pas de place dans une bibliothèque, et, en voyant comment les choses peuvent parfois tourner, cela atténuera sans doute les regrets de ceux qui rêvaient de louer un chalet pour les fêtes.

Titre : Tu aurais dû t’en aller
Auteur : Daniel Kehlmann
Traduction de l’allemand : Juliette Aubert-Haffolder
Éditeur : Actes Sud
Site Internet : page roman
Pages : 96
Format (en cm) : 10 x 19
Dépôt légal : février 2021
ISBN : 9782330143978
Prix : 10 €

Un cadeau pour les amateurs de romans denses et copieux : « L’incroyable histoire de Wheeler Burden » de Selden Edwards

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Nous l’avions chroniqué il y a quelques années, mais nous n’oublions pas cet ouvrage qui donne l’impression de s’effacer peu à peu des mémoires, et qui mérite d’être lu ou relu. Sur une tonalité très classique, il narre les aventures ébouriffantes et poignantes d’un jeune homme qui, vivant à San Francisco en 1988, se réveille un beau matin dans la Vienne de la fin du dix-neuvième siècle. Plus proche de la littérature générale que du roman de genre, « L’incroyable destin de Wheeler Burden », dont on pourra lire la chronique en suivant ce lien, offre, pour moins de dix euros, près de six cent pages de dépaysement et de finesse, dans un étrange entre-deux à la fois temporel et littéraire

Titre : L’incroyable destin de Wheeler Burden (The Little Book, 2008)
Auteur : Selden Edwards
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Hubert Tézenas
Couverture : Marc Burckert
Éditeur : 10-18 (édition originale : Le Cherche-Midi, 2014)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 5007
Pages : 595
Format (en cm) : 10 x 18
Dépôt légal : mai 2015
ISBN : 9782264066039
Prix : 9,60 €

Un cadeau pour les amateurs de dystopie et de gastronomie « Nos derniers festins » de Chantal Pelletier

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Entre science-fiction et roman policier, ce petit livre rapidement lu d’à peine plus de deux cents pages imagine le futur mois de juin 2044, où règne la prohibition alimentaire et où l’on se dézingue pour une cargaison de camemberts ou une caisse de foie gras – ce qui a au moins le mérite de montrer que les Français ont de la suite dans les idées et savent conserver leurs valeurs. Véritable dystopie noire où fumeurs et gourmands sont privés de sécurité sociale et de soins médicaux « Nos derniers festins » fustige, à travers une histoire truculente, des dérives hygiénistes qui pourraient bien être celles de demain. Entre magouilles et trafics, entre affrontements viandards versus véganes, entre intérêts divers et complicités policières, le récit suit une certaine agitation autour du cadavre d’un cuisinier prometteur, retrouvé ligoté et suspendu entre autres carcasses dans la chambre froide d’un restaurant clandestin. L’intrigue générale demeure assez simple, mais la plume rabelaisienne et très humaine de Chantal Pelletier fait le reste, et anime un petit polar pas inoubliable mais qui donne les crocs. « Nos derniers festins  » constitue un cadeau bienvenu pour les fêtes auxquelles il est lié par le thème gastronomique. Mais il pourrait bien l’être aussi par son titre : un nouveau variant viral ou une apocalypse quelconque finiront bien, à court ou moyen terme, par rendre son titre prémonitoire. Reste à voir si une telle prophétie conduira les lecteurs à méditer sobrement sur le sens de l’existence, ou les conduira au contraire, stimulés par les scènes de ripailles illégales et de cuisines prohibées, à accumuler les excès pendant qu’il est encore temps.

Titre : Nos derniers festins
Auteur : Chantal Pelletier
Couverture : Arthur Belebeau / Trunk archives / Photosenso
Éditeur : Folio (édition originale : Gallimard, 2019)
Collection : Policier
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 947
Pages : 211
Format (en cm) : 11 x 18
Dépôt légal : novembre 2021
ISBN : 9782071923104
Prix : 7,50 €


Hilaire Alrune
15 décembre 2021


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