« Le Chant du Drille » est assez inclassable, comme si deux genres s’y télescopaient, sans qu’on sache trop sur quel pied danser. Publié en 1992 au Fleuve noir en 2 tomes, il est désormais édité Au Diable Vauvert, comme le reste de l’œuvre d’Ayerdhal, en un seul beau volume.

Lodève arrive sur Tehani avec une double motivation : faire appliquer le droit des peuples locaux, et payer une sorte de dette à son ancien ami et amant, l’anthropologue Vernang Lyphine, mystérieusement disparu, supposé mort et probablement assassiné. Sur place, malgré les quasi pleins pouvoirs que lui octroie sa fonction, elle se heurte à deux murs : les « proches » de Lyphine sont peu coopératifs, tant pour parler du disparu que pour lui donner les moyens d’enquêter, et les drilles... les drilles échappent à sa compréhension, tant dans leur habitat naturel "préservé, des zones protégées de la colonisation, que lors de leurs suicides en masse.

L’héroïne, et nous avec, a la sensation non seulement qu’on ne lui dit pas toute la vérité, mais qu’en plus elle n’a pas forcément les clefs pour comprendre les bribes qu’on lui lâche à contrecœur. S’ensuit une lecture déstabilisante, une errance à la traîne, à l’affût du fil qui démêlera l’écheveau des drilles ou de la disparition de Lyphine. L’auteur nous donne des pièces qui ne s’emboîtent pas, même si on devine vaguement le résultat final. On se demande s’il ne s’agit pas de deux puzzles différents. Mais non, Lodève en est persuadée, le comportement des drilles et la mort de l’anthropologue sont liés. Et gare à qui lui mettra des bâtons dans les roues.
Le roman bascule dans le dernier tiers, quittant les hypothèses anthropo-sociales pour le thriller quasi militariste : à force de gratter, Lodève a dérangé la fourmilière, et son plan de faire peur aux maillons faibles du complots, ou de ce qu’elle en a deviné, fonctionne. On passe à deux doigts du drame planétaire, mais tout fait enfin sens, ou presque.

Sans doute pas le roman le plus facile pour découvrir Ayerdhal, mais on y retrouve ses thèmes favoris : complots des puissants, oppression et révolte des faibles - à leur manière, critique sociale forte, et une intrigue menée par un désir, un besoin de justice. S’il dote son enquêtrice de l’autorité pour punir les coupables et clore l’intrigue par son seul pouvoir, il la laisse assez démunie face à la nature humaine et ses méandres, et plus encore face aux drilles, toute super-xénologue qu’elle est.
Le résultat est un roman très dense, complexe à appréhender le temps de se familiariser avec tous les acteurs de ce jeu de dupes planétaire, de trier le bon grain de l’ivraie, avant de s’attacher à comprendre, par la lorgnette de l’interprétation de Lodève, comment fonctionne les drilles, loin de toute comparaison possible avec la société humaine. L’auteur réussit là un très bel exercice de sociologie comparée, parfaitement mis en lien avec son intrigue.

De l’excellente SF, livrée sans mode d’emploi, qui explore l’humain

Titre : Le Chant du Drille
Auteur : Ayerdhal
Couverture :
Éditeur : Au diable vauvert
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 360
Format (en cm) : 18 x 13 x 2,5
Dépôt légal : novembre 2009
ISBN : 9782846262224
Prix : 18 €