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Ils ont volé nos ombres
Jean-François Chabas
Talents Hauts, Les Héroïques, roman (France), aventure/historique, pages, 2021, 16€

Bagaa est née durant la première Guerre, d’une mère aborigène et d’un père irlandais. Elle ne connaîtra jamais ce dernier, mort en Europe durant le conflit, et grandira seule aux côtés de sa mère, chassée de sa tribu, mais aussi loin des Blancs, colons et descendants de colons qui méprisent les natifs, et plus encore les métis.
Mère et fille survivent seules durant 10 ans, jusqu’à un accident qui prive Bagaa de celle qui est tout pour elle, et qui lui fait promettre de ne pas rester seule.
La petite fille entame un long voyage, dont elle se souvient presque un siècle plus tard, tandis que l’épidémie de Covid-19 contraint les Australiens à se confiner.



Après « Red Man », Jean-François Chabas poursuit son combat pour sensibiliser les lecteurs au mal qu’on a fait (et qu’on fait toujours) aux Aborigènes. « Red Man » était contemporain, Ils ont volé nos ombres remonte aux années 1930, avec un récit enchâssé. Bagaa, centenaire, voit d’un œil distant l’épidémie s’abattre sur l’Australie. Elle sait de toute façon sa fin proche, et couche sur un cahier une histoire de sa jeunesse, qu’elle a tue, et qui la hante encore.
Elle revient sur son enfance isolée, seule avec sa mère, qui a déversée en elle toutes ses connaissances mais aussi ses choix. Bannie des deux communautés dont elle est originaire, Bagaa n’a eu qu’un modèle, un son de cloche : celui de sa mère, qui l’a protégée en la coupant du monde et de ses dangers. Et lorsqu’elle se blesse mortellement, elle enjoint sa fille de retrouver leur tribu, espérant qu’ils l’accepteront, mais lui répète sa mise en garde : fuis les Blancs. Trop peu sont bons comme l’était son père.

Jean-François Chabas nous livre un récit à la structure atypique, à l’image de cette impossible confession de Bagaa : son enfance avec sa mère puis seule, sa survie, ses quelques rencontres, dont une femelle dingo avec laquelle elle noue une relation très forte, mais aussi avec deux émigrés japonais venus former les pêcheurs de perles. En creux, durant ce grand voyage, l’auteur nous montre l’exploitation du pays par les colons, l’exploitation des locaux, privés de leurs terres, contraints à un labeur proche de l’esclavage. Il nous montre le racisme omniprésent, y compris d’une majorité des locaux, et au milieu émergent quelques figures lumineuses de tolérance, de refus de tels cadres de pensées étroits et imperméables à la plus simple humanité.
Il faut ce long préambule, la moitié du roman, avant que Bagaa rencontre Wan, de la tribu des Yawinjibaya, qui lui demande de la suivre car elle est l’élue de son peuple, le Témoin. Témoin de quoi ? L’enfant l’ignore, tous se font muets. Après avoir tenté de fuir ce rôle, et cette communauté qui, plutôt que la violence habituelle, place sur elle une trop lourde charge, elle assiste, impuissante, ou plutôt inécoutée, à la fin de la tribu, du fait de quelques Blancs avides. Oh, le lecteur le comprend vite, plus qu’elle, mais il assiste tout aussi impuissant aux événements, à ce massacre qui, aussi ponctuel fut-il, incarne toutes les exactions similaires commises par les colons, une attitude systémique, pour spolier les Aborigènes de leurs terres, riches de trésors agricoles ou miniers totalement sous-exploitées.

« Ils ont volé nos ombres » s’avère un long crescendo vers une horreur inévitable, un choc civilisationnel à tous niveaux, la rencontre de deux mondes aux codes si différents que l’un ne peut qu’effacer l’autre, à brève ou longue échéance, ce qu’on compris les Yawinjibaya lorsque les Blancs les ont, vous l’avez compris, filmés et pris en photo. Certes, on hurle intérieurement, comme Bagaa, en comprenant leur choix sociétal, mais avec le temps, comme l’héroïne, on admet la logique d’échapper aux souffrances d’un combat perdu d’avance. Avec le temps.

Profondément humain, dramatique du début à la fin, « Ils ont volé nos ombres » nous piège dans sa spirale, laissant entrevoir quelques ponctuelles lueurs d’espoir, avant de nous préparer à l’indicible, à nous montrer l’horreur à travers les yeux d’une ado impuissante à l’enrayer, à se mettre en travers de tout un peuple, quel qu’il soit.


Titre : Ils ont volé nos ombres
Auteur : Jean-François Chabas
Couverture : Julia Wauters
Éditeur : Talents Hauts
Collection : Les Héroïques
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 309
Format (en cm) : 21 x 15 x2,2
Dépôt légal : avril 2021
ISBN : 9782362664328
Prix : 16 €



Nicolas Soffray
4 décembre 2021


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