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Domino : Providence
Tristan Palmgren
404 éditions, roman (USA), super-héros, 330 pages, octobre 2021, 17€

Neena, nom de code Domino, mutante, mercenaire, a pas mal roulé sa bosse, et profite de la vie, dépensant avec son équipe l’argent sitôt gagné. Quand elle accepte d’aider Rebecca Munoz à sortir ses deux grands enfants de l’influence d’une secte, c’est à contre-coeur, car cela la ramène à sa tumultueuse histoire, avant l’école du professeur Xavier ou ses aventures avec les X-Men. A son enfance, et la fabrication de son pouvoir. Domino peut influencer les probabilités à son avantage. Elle a de la chance, dans les pires moments. Une chance souvent à double tranchant, qui la laisse souvent vivante, rarement indemne. Un pouvoir conçu dans les labos secrets du Projet Armageddon, dont elle s’est échappée pour trouver refuge dans un orphelinat de Chicago, sous la houlette du Père Boschelli. Un passé dont elle croyait s’être libéré en affrontant sa mère.
Il semblerait que non.



« Domino : Providence » met en scène une héroïne mal connue en France, sauf des grands amateurs de comics. Moins fun que Deadpool, elle trompe néanmoins la mort avec classe, grâce à ce pouvoir qui, pour peu qu’elle voit arriver le danger, en fait glisser les effets les plus dévastateurs plus loin. Sur ses adversaires. Mais pas que, hélas. C’est pour cela qu’elle fait souvent cavalier seul. Mais son passé de solitaire la pousse aussi à s’entourer d’équipières, presque des amies, des gens - des filles - sur qui compter, comme White Fox, Diamondback, Outlaw et parfois Black Widow (quand elle ne sauve pas le monde avec les Avengers).

Le roman est écrit à la première personne, en adresse directe au lecteur. Neena a besoin d’organiser ses idées, et nous dit aussi franchement (avec des digressions et notes de bas de pages) qu’elle ne nous dit pas tout. Les révélations sont sont savamment dosées, quitte à nous laisser un temps dans le flou. Très vite, on comprend qu’elle a un traumatisme à exorciser, lié à l’une des deux autres trames narratives se déroulant 15 et 6 ans plus tôt, à sa fuite d’Armageddon puis dans les Everglades à la recherche de sa mère.

J’ai éprouvé quelques craintes initiales : le récit paraît assez décousu, à l’image des pensées de l’héroïne, et il faut un peu de temps pour trouver ses marques. À un niveau plus prosaïque, les énormes coquilles qui fleurissent dans les premiers chapitres n’aident pas. Enfin, on ne peut s’empêcher de trouver artificielle cette alternance narrative, une mécanique désormais bien connue des page-turners. De fait, il faudra attendre la moitié du tome pour deviner, puis voir confirmer les liens entre ces trois époques : tout cela traite de l’embrigadement, de l’adhésion à des valeurs, à une vision. La secte de Dallas Bader Pearson n’est qu’un reflet de ce qui est arrivé au Projet Armageddon : une vision du monde qui tourne très, très mal. Pour Neena, c’est affronter une nouvelle fois un tyran qui, après avoir prétendu œuvré pour le bien et la paix, perd complètement les pédales et est prêt à entraîner tout le monde dans un bain de sang. Y compris les plus faibles, les enfants, ceux à qui on n’a pas laissé le choix, ceux qui n’ont rien connu d’autre, ceux dont la vision du monde a été biaisé dès le départ.
En s’échappant enfant, Neena a dû apprendre comment fonctionnait le monde dehors. Désapprendre les expériences, les actions-réactions, pour le jeu bien plus cruel de la gentillesse et la méchanceté, les faux-semblants.
Les trois récits de Neena ont donc tous la même finalité : constater l’emprise mentale, lutter contre et s’en affranchir, pour trouver mieux. Trois schémas où elle occupe une place différente à chaque fois.

Si on ne peut éviter quelques écueils et facilités inhérentes aux histoires de super-héros (un complexe souterrain gigantesque dans les Everglades ? des travaux secrets de cette ampleur ?), l’action et la tension psychologique sont largement au rendez-vous, et la narration à la première personne et au présent fonctionne très bien. On s’immerge dans l’esprit torturé de Domino, et on la comprend mieux de page en page.
L’aventure demeure très visuelle, et ne déparerait pas dans les adaptations des X-Men : des effets spéciaux en quantité mesurée plutôt qu’une déferlante permanente, et des scènes plus intimistes pleine de tension, à l’issue desquelles certains pouvoirs apparaissent davantage comme un fardeau que comme un don.

On regrettera les nombreuses scories, les premières bêtes coquilles d’autant plus regrettables que la même phrase répétée quelques lignes plus tard en est exempte ; des lignes aux mots si peu espacés qu’on les croirait collés (une vingtaine sur tout l’ouvrage posent vraiment problème)(2 exemples en bas de page), des homophonies et quelques maladresses que je ne saurais attribuer au seul travail du traducteur Laurent Laget (bien que je m’interroge sur le « Luc Courleciel » page 112, une québecoiserie incongrue ?)

« Domino : Providence » est donc une très bonne surprise, un bon roman de super-héroïne dans la droite ligne des qualités des sagas X-Men originales : un plaidoyer pour la différence et le droit de vivre ensemble, un refus d’être considéré comme des monstres ou de simples armes. C’est divertissant, émouvant et formateur pour les jeunes (et moins jeunes) lecteurs, et ’on passe un très agréable moment. J’espère que ce label « Marvel Héroïnes » verra d’autres parutions de ce calibre.


Titre : Providence (Domino - Strays, 2020)
Série : Domino, tome 1
Auteur : Tristan Palmgren
Traduction de l’américain (USA) : Laurent Laget
Couverture : Joey Hi-Fi
Éditeur : 404 éditions
Collection : Marvel héroïnes
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 330
Format (en cm) : 22,5 x 14 x 3
Dépôt légal : octobre 2021
ISBN : 9791032405048
Prix : 17 €


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p.21 dix milles de ses disciples / dix mille adeptes, p.25 trois milles Pearson.... jusque dans la bio de l’auteur, dernière page imprimée : Palmgren vit au Missourie

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Nicolas Soffray
2 février 2022


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