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Scordatura
Floriane Trumeau
Poulpe fiction, roman (France), fantastique, pages, septembre 2021, 9,95€

La timide Sao Mai joue du violon dans l’orchestre du collège. Et en joue divinement, s’attirant la jalousie des filles les plus populaires.
En visant la maison de sa grand-mère décédée, la jeune ado découvre un violon noir magnifique caché dans un placard... mais elle ne voit pas le petit mot qui l’accompagnait. Ce nouvel instrument décuple la faculté de Sao Mai à s’imaginer des univers à partir de la musique qu’elle joue... sauf que très vite, tout tourne au cauchemars, avec des images de lapins morts et du sang...
Et le seul qui a l’air de comprendre ce qui lui arrive, c’est Achille, le garçon bizarre de la classe, qui a l’air de s’y connaître en spiritisme et en exorcisme. Car d’après lui, elle serait hanté par un fantôme !



Floriane Trumeau nous propose un aguichant thriller horrifique, qui terrorisera les plus jeunes auxquels il s’adresse. Abondamment illustré par l’autrice, on s’y immerge très facilement. Le texte est saupoudré de termes musicaux et instrumentaux, de liens vers les morceaux joués... on a là un bel ouvrage enrichi.

La trame est classique et efficace : après la découverte du violon, les visions commencent, sombres et terrifiantes. Mais Sao Mai met cela sur le compte du stress, lié aux exercices demandés par la prof de musique : composer, improviser... des choses qui terrifient Sao Mai, qui « n’est qu » ’une brillante interprète.
Bien sûr (ou hélas), elle ne fait pas le rapprochement entre son nouveau violon et les visions...

Au contre de l’histoire, il y a ce choix qu’elle doit faire : se rapprocher d’Achille le « weirdo », qui se propose de l’aider, et faire une croix sur toute vie sociale à l’école, ou au contraire le dénigrer, comme les autres, et rejoindre le troupeau, s’y insérer, fréquenter les autres. Elle ira de l’un à l’autre, cédant à la facilité, prenant la main tendue de Patience, la chef de bande superficielle, avant de réaliser la vraie valeur de l’amitié.
Cela fait écho à l’intrigue fantastique, lorsque Sao Mai et Achille découvrent le journal de la grand-mère, Sandrine, et la source de tout cela mal : au collège, un garçon, Bucky, avait craqué pour elle, mais le sentiment n’était pas réciproque, car Bucky était l’archétype du prédateur en devenir : méprisant, arrogant, possessif, persuadé que la fortune de ses parents faisait de lui quelqu’un de supérieur à qui tout est dû. Certes, on était dans les années 1960, mais tout de même !

C’est pourquoi il est difficile d’adhérer à la conclusion de l’affaire : Sandrine s’est vengée en lui donnant une bonne leçon, mais elle aurait ainsi méprisé ses sentiments ! Hein, quoi ? Punir symboliquement son harceleur le change brutalement en victime innocente ? A notre époque, c’est là un discours bien dissonant, bien malheureux, bien peu cohérent avec les actes de Bucky et de son esprit frappeur, très cruel avec Sao Mai, ce qui met en doute la sincérité de son repentir de l’époque.

Si je reconnais la qualité de l’ambiance oppressante de « Scordatura » et le bien-fondé du principe du « savoir pardonner », dans le cas des relations entre Sao Mai et Achille, cela passe beaucoup moins au sujet de Bucky : la façon dont l’autrice présente les choses n’excuse jamais son comportement, et lui-même ne montre pas de véritable repentir, demeurant manipulateur et cruel jusqu’au bout.

Cette résolution me met définitivement mal à l’aise, comme lecteur adulte et parent. Alors que le roman pouvait mettre en lumière l’évolution des mentalités en deux générations, il continue de faire des jeunes filles des victimes, interdites de répondre, de s’opposer, de faire face. Leur demander de pardonner leur tortionnaire est un bien mauvais exemple donné aux lecteurs d’aujourd’hui.

On ne parle pas non plus de racisme dans « Scordatura », et c’est un peu dommage, alors que les deux personnages principaux sont racisés, du moins on le présume grâce aux illustrations. Car ce qui frappe chez Achille ce sont ses vêtements totalement démodés, jamais il n’est décrit autrement, c’est la raison de sa mise à l’écart... Et on s’interrogera sur comment Sao Mai peut être le portrait de sa grand-mère Sandrine... On s’en tient à de l’affichage de diversité, en esquivant toute la matière qu’elle aurait pu apporter à l’intrigue.

En conclusion, une bonne trame fantastique, une bonne présentation des relations sociales au collègue, mais des choix très surprenants, à contre-sens des messages envoyés à la jeunesse actuelle, qui gâche la résolution de cette histoire.


Titre : Scordatura
Autrice : Floriane Trumeau
Couverture et illustrations intérieures : Floriane Trumeau
Éditeur : Poulpe Fictions
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 168
Format (en cm) :
Dépôt légal : septembre 2021
ISBN : 9782377422159
Prix : 9,95 €



Nicolas Soffray
16 novembre 2021


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