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Nouvelles, tome 2 : 1964-1979
Frank Herbert
Le Bélial’, Kvasar, recueil de 21 nouvelles traduites de l’anglais (États-Unis), science-fiction, 470 pages, août 2021, 24,90€

Alors que le film « Dune » de Denis Villeneuve est enfin sorti au cinéma, ce second volume de l’intégrale des nouvelles de Frank Herbert rappelle à juste titre que ce serait un tort de résumer la carrière de l’écrivain à ce seul titre, même s’il s’agit d’un chef-d’œuvre.
Comme le montre la bibliographie concoctée par Alain Sprauel, à côté il a aussi écrit de nombreux romans hors du cycle de Dune, ainsi qu’une quarantaine de nouvelles reprises dans cette intégrale en deux volumes.



Le premier volet contient les nouvelles allant de 1952 à 1962 et le second celles allant de 1964 à 1979, soit 21 textes en 15 ans, ce qui n’est pas beaucoup.

Attardons-nous sur chacun d’eux, ce qui permet de dégager certains thèmes récurrents, ainsi que des rapprochements avec d’autres écrivains. De plus, certains peuvent se rattacher à des récits plus longs.

“La Délicatesse du saboteur”, une histoire sur le bureau des sabotages, un organe officiel servant à éviter les dérives du pouvoir. Le raisonnement est tordu, pas toujours facile à suivre, mais montre la capacité de Frank Herbert à imaginer des cultures très différentes de la nôtre, ce en quoi il se rapproche de Jack Vance et Poul Anderson.
Dans “Le Syndrome de la Marie-Céleste”, la société s’accélère, le rythme est infernal et certains décrochent, effrayés par cette surenchère. L’exemple des voitures est frappant et illustre à bon escient le propos.
L’écologie comme thème cher ressort bien dans “Les Esclaves du vert”. Une enclave humaine se protège de tout insecte, de toute intrusion extérieure, cherchant dans la science les moyens de pallier à la mère nature. Un récit puissant qui donne clairement envie de plonger dans « Le cerveau vert », le roman où il figure.

“Le Comité du tout” consiste en une interrogation sur la détention d’une arme très puissante. Qu’en faire ? La partager au plus grand nombre ou la garder pour s’assurer d’un avantage ? Écrite en 1965, on peut y voir le reflet de la Guerre froide avec le statu quo autour de l’arme nucléaire. À nouveau, Frank Herbert met le débat en place publique à travers un procès (cf “La délicatesse du saboteur”).
Découvrir grâce à un composé chimique que le passé diffère de celui communément admis peut se révéler dangereux. “L’Effet MG” illustre la réécriture de l’histoire selon les convenances au détriment de la vérité.
“Les Primitifs” : un voleur, un savant, une femme des cavernes, une machine à voyager dans le temps... une nouvelle riche en péripéties, fleurant bon une SF ancienne mais pleine de vie.

Les apparences peuvent être trompeuses, comme le découvre un explorateur sur une planète quasi inaccessible. Le plus évolué n’est pas forcément celui que l’on croit. “Étrangers au paradis”, du space opera plein de sense of wonder qui, dans un certain sens, a peut-être inspiré Frederik Pohl pour « La grande porte ».
Sense of wonder toujours avec “Selon les règles” où un réparateur à la retraite s’attaque à un tube de transmission récalcitrant. Du danger, de l’humour, du sacrifice au profit de la collectivité...
Dans “Les Marrons du feu”, ils sont parmi nous, oui les aliens, ou plutôt les Slorins vivant à l’insu des Terriens en usant de mimétisme. Pour autant sont-ils les seuls à agir en parasites ? À nouveau une SF inspirée de la Guerre froide.

“La Bombe mentale” : une machine aux motivations floues gouverne le monde. Sur fond de dispute conjugale, un homme l’interpelle. Transparaît ici la peur de la machine et incidemment celle du progrès.
“Semence” présente des colons sur une planète où survivre n’est pas une sinécure. Pour autant, la notion de classes n’a pas disparu. Les règles édictées demandent à être bafouées pour avancer sur le chemin de la connaissance. Habile dans le discours contre la stagnation.
“Meurtre vital” : un alien saute d’esprit en esprit à la mort de ses hôtes. Malgré sa prudence, il découvre qu’il est traqué. Long par moments et pas toujours très clair, sombrant même du côté philosophique.

“Passage pour piano” où des colons sont sur le départ. Problème : le fils d’un des maillons essentiels à la réussite de la mission est aveugle et très attaché au piano de son grand-père décédé. Le poids est sévèrement encadré et il est inenvisageable de l’emmener, alors que faire ? Très beau texte sur la différence et la solidarité.
Dans “Martingale”, un hôtel perdu dans le désert se transforme en cauchemar pour un couple en lune de miel. On retrouve ici le thème de la machine échappant à tout contrôle et prise d’une certaine folie.
Pouvoir lire dans l’esprit d’autrui, est-ce une chance ou une malédiction ? Surtout quand on tient à la personne réceptive... “Rencontre dans un coin perdu” illustre cette interrogation et la façon dont les choses peuvent évoluer si l’on n’en fait pas mystère.

“Mort d’une ville” ne m’a pas plus inspiré qu’à la première lecture dans le « Bifrost 63 ». Si le concept de médecin de ville se tient, le déroulement n’est guère convaincant.
“Allons à la fête” a été écrit avec F.M. Busby et parle des étranges créatures vivant sur une planète. Les Terriens ont laissé la situation dans un équilibre stable mais fragile. Qu’une seule se souvienne et c’est la catastrophe ! Massacres, réflexion, humour et fêtes cohabitent pour un agréable moment de lecture.
Le plus long texte au sommaire “Chant d’une flûte sensible” s’avère de surcroît inédit. Il s’agit d’une très belle surprise avec l’arrivée d’un jeune poète sur une planète à l’écosystème mystérieux et dangereux.

Et pour finir, deux short stories d’une page, “Les Grenouilles et le Savant” et “Les Cochons à plume” aux allures de fables.
Et “Le Ferrolsk fortuit”, une histoire de boîte trouvée par un gamin maltraité par son beau-père. Cette boîte est bien plus que cela et entraîne un changement dans le rapport de force enfant-adulte. Un sujet toujours d’actualité.

Vingt-et-une nouvelles au sommaire étalées sur une quinzaine d’années, durée pendant laquelle Frank Herbert a écrit presque autant de romans, ce qui montre sa préférence pour la forme longue. Il est d’ailleurs bien plus connu pour ses romans que pour ses nouvelles, même si « Dune » est un peu l’arbre qui cache la forêt, alors que ses autres livres méritent aussi largement la lecture. Pour autant, négliger ses nouvelles serait un tort, car ses thèmes de prédilection y transparaissent, sans oublier son talent à raconter des histoires. Il peut nous transporter ailleurs sans s’étaler sur des centaines de pages. Certains textes ne sont pas sans rappeler deux autres illustres écrivains, à savoir Poul Anderson et Jack Vance, formidables conteurs et créateurs de civilisations exotiques. Ces nouvelles sont aussi le reflet de leur époque d’écriture avec des interrogations sur les machines, le progrès, le contexte géopolitique très incertain et même l’écologie se dégage déjà de ces pages, alors que c’était loin d’être une préoccupation alors.

Deux forts volumes offrent aux lecteurs l’intégrale des nouvelles de Frank Herbert, un condensé de ses thèmes forts et de son talent, soit largement de quoi trouver son bonheur.


Titre : Nouvelles, Tome 2 : 1964-1979
Auteur : Frank Herbert
Traductions de l’anglais (États-Unis) : Dominique Haas, Jacqueline Huet, Claire Fargeot, Christian Meistermann, Pierre Billon, Pierre-Paul Durastanti qui a traduit certaines nouvelles et révisé l’ensemble des traductions
Éditeur : Le Bélial’
Collection : Kvasar
Directeur de collection : Olivier Girard
Site Internet : Recueil (site éditeur)
Pages : 470
Format (en cm) : 15 x 22
Dépôt légal : août 2021
ISBN : 9782843449826
Prix : 24,90 €



Également sur la Yozone :
- Nouvelles, Tome 1 : 1952-1962

Pour écrire à l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
11 octobre 2021


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