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Entretien avec Anne Heidsieck
illustratrice du jeu « Rest In Peace », et bien d’autres...
02 août 2021

Anne Heidsieck est aujourd’hui bien implantée dans le monde de l’illustration de jeux de société.
En 12 jeux différents (le 13ème arrive à grands pas !), elle a pu exprimer l’originalité de ses sensibilités artistiques. Des univers oniriques aux palettes de couleurs explosives, aux bleus et gris entre ombre et lumière de ses mondes fantastiques, les dessins d’Anne Heidsieck transportent dans des univers bigarrés et multiples. Qu’ils soient médiévaux fantastiques, féériques, comiques ou résolument fifties middle class ce sont de véritables invitations au voyage dans le temps, l’espace… et surtout le jeu !
Elle a bien voulu se prêter à l’exercice des questions/réponses, nous révélant l’envers de ses décors.



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Vous êtes diplômée en illustration de l’École d’art graphiques Pivaut de Nantes. Qu’est-ce qui vous a menée sur cette route ?

Après avoir eu un gros coup de foudre pour des animations en stop-motion (technique d’animation où les objets et personnages en volume vont se mouvoir grâce à un enchaînement de photos qui capturent chacun de leurs micromouvements – NDLR) alors que j’étais au lycée, et voulant depuis longtemps travailler dans un domaine artistique, je me suis renseignée sur différentes écoles proposant des formations de cinéma d’animation. L’école Pivaut de Nantes notamment, donnait la possibilité aux élèves d’animation de travailler en stop-motion. Après une première année commune de dessin narratif suite à laquelle on pouvait choisir une section parmi l’animation, la BD ou l’illustration, j’ai finalement réalisé que l’illustration serait davantage pour moi que l’animation ! Même si je rêve toujours d’avoir l’occasion de bricoler des marionnettes et décors pour du stop-motion, je ne regrette pas ce choix.

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Sortie de l’école, quel a été votre parcours jusqu’au monde du jeu ?

Après l’école, j’ai fait un stage en région parisienne, pour un éditeur de magazine mensuel pour ados. Ça a été l’occasion de travailler pour une maison d’édition pour la première fois, même s’il s’agissait de petits projets. Après ça, j’ai démarché des éditeurs et éditrices jeunesse pendant un bon moment sans succès. J’ai donc pris le temps de composer un book plus varié et de m’améliorer. J’étais alors en colocation avec des amis d’école et on passait de nombreuses soirées à jouer. Je jouais déjà occasionnellement depuis un moment, mais cette période a été le déclic. On a créé un jeu avec mon compagnon, écrit les règles et je l’ai illustré. Nous avons rencontré quelques éditeurs lors d’un « Paris est Ludique », et même si le jeu n’était probablement pas très bon (on ne l’a pas ressorti de la cave depuis !), ça a été une excellente occasion de rencontrer des personnes du milieu ludique et de recevoir de très bons conseils de leur part. Ça m’a également permis de me rendre compte qu’illustrer un jeu de société complet me plaisait beaucoup ! J’ai par la suite contacté quelques éditeurs et éditrices de jeux de société, et un jour j’ai reçu une proposition de projet d’Alain Balaÿ de Blue Cocker !

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Pour le jeu « Rest In Peace », Blue Cocker a fait appel à vous une nouvelle fois. Était-ce pour travailler sur des familles ectoplasmiques au départ ?

Pas du tout ! Au tout départ, quand Alain Balaÿ m’a fait jouer au jeu, il pensait à un thème de décathlon. S’il fonctionnait bien avec la mécanique, personnellement ce thème ne me parlait pas du tout. J’ai donc proposé quelques thématiques qui selon moi s’adaptaient bien à la mécanique, et qui me plairaient à illustrer si je devais travailler sur ce jeu. Celui de la bataille d’épouvante de vieilles demeures fonctionnait bien pour expliquer la mécanique de jeu et était également parlante pour un assez large public.

Quelles ont été vos inspirations graphiques pour retranscrire le monde des esprits ? Y avait-il des directions précises données par l’éditeur ou avez-vous eu carte blanche ?

On est tout de suite tombés d’accord avec Alain sur l’importance d’avoir des personnages très graphiques, pas trop réalistes, afin de ne pas être trop effrayants pour un public assez jeune. Après ça, j’ai en effet eu carte blanche dans mes recherches. De là, et de ce que j’ai dit précédemment de mon amour des animations en stop motion, on se doute bien évidement que des film d’animation comme « Coraline », « ParaNorman » et « Les Noces Funèbres » ont été des influences importantes pour moi ! Mais mon inspiration première a probablement été l’attraction « Phantom Manor » du parc Disney, qui a été un de mes premiers coups de cœur esthétiques quand j’étais toute petite. C’est d’ailleurs de là que vient pour moi l’évidence de la présence d’un fantôme de mariée dans tout bon manoir hanté. 😊
Au début, les cartes médium devaient être des tables Ouija, mais on a eu beau essayer de retourner les éléments dans tous les sens, soit on ne comprenait plus qu’il s’agissait d’une table Ouija, soit il n’y avait plus assez de place pour l’iconographie des pouvoirs des cartes… C’est finalement le seul graphisme qui a posé problème un petit moment, jusqu’à ce que je parte dans une tout autre direction, plus simple.

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Comment s’est déroulé votre travail sur les autres jeux à votre actif ? Les expériences avec les éditeurs sont-elles très différentes ?

Oui, jusqu’à maintenant j’ai trouvé chaque expérience tout à fait unique. Même si bien sûr pour certains aspects du travail il n’y a pas mille façons de faire donc on prend des habitudes. J’essaie d’apprendre à m’adapter au mieux aux méthodes et à la communication avec chacun et chacune. C’est très enrichissant, et chaque expérience me permet d’être un peu plus organisée pour la suivante, ou de savoir ce qu’il ne faut surtout pas refaire !

Quelles techniques graphiques privilégiez-vous ?

J’aimais beaucoup travailler la peinture à l’huile et l’acrylique quand j’étais à l’école mais je travaille maintenant quasiment exclusivement en numérique. Je fais souvent des crayonnés sur papier en début de projet mais je passe très vite sur ma tablette graphique. Malheureusement, la peinture traditionnelle demande davantage de temps et d’organisation que le numérique pour un emploi des visuels comme celui du jeu de société. Les éléments sont amenés à évoluer tout au long d’un projet donc les modifications et la réutilisation des éléments est plus simple et plus rapide en digital. Mais j’espère fortement avoir l’occasion un jour de me remettre à la peinture. Depuis peu, j’essaie de prendre un peu de temps pour faire des linogravures de visuels de jeux que j’ai illustrés, ça me permet de retrouver un peu encre et papier !

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Quelles sont vos techniques de travail ? Avez-vous des routines ?

Je commence en effet à en avoir quelques-unes ! Par exemple, je commence systématiquement un projet en faisant un tableau avec le cahier des charges et des colonnes croquis, colorisation, finitions que je coche au fur et à mesure de mon avancement. Je l’affiche sur le mur en face de mon ordinateur, c’est un peu ma feuille de route !
Une autre de mes habitudes (prise dès mon premier jeu avec Blue Cocker, « Meeple War » de Max Valembois) est de demander aux autres éditeur.ices de garder la réalisation de la couverture pour la fin. Ce n’est pas toujours évident car la communication commence souvent avec la couverture et souvent, aussi, avant que la phase d’illustration du jeu ne soit terminée. Mais comme me l’avait expliqué Alain, c’est en fait vraiment plus évident de finir par la couverture : elle doit être un reflet fidèle du jeu donc on ne peut pas savoir à quoi elle ressemblera avant d’avoir réalisé le contenu du jeu en lui-même.

Avec les illustrations de 12 jeux à votre actif, vous avez touché à des univers différents. Comment vous imprégnez-vous de chacun de ces univers ?

Certains demandent en effet de s’en imprégner avec beaucoup de documentations, comme pour « Welcome », où le travail de recherches stylistiques a été énorme. D’autres sont plus personnels et là j’en suis déjà imprégnée de base, comme pour « Rest in Peace », ou « When I Dream » par exemple. Reste bien sûr la documentation anatomique, par exemple pour « Honey Buzz », où après les premières recherches pour cerner quel look donner aux abeilles, le plus gros de la documentation a été la recherche de photos d’animaux ou de types de fleurs. J’aime aussi me baigner un maximum dans l’ambiance du jeu sur lequel je travaille, parfois jusqu’à la musique que j’écoute en dessinant !

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Quelles sont vos influences venant d’autres media, cinéma, livres, BD, peinture… ?

Mes influences viennent beaucoup de l’animation comme j’ai déjà pu le mentionner (des studios Laika, SPA, Disney, Ghibli...), de BDs et d’illustrateur.ices. Mais plus largement je pense que tout ce que je lis et regarde, et donc ce avec quoi je me construis au quotidien, influence mes illustrations, même inconsciemment. J’aime également beaucoup randonner et je pense que simplement regarder autour de soi peut avoir autant d’influence que de la documentation.

Quels conseils pourriez-vous donner aux apprenti.e.s illustrateurs.trices ?

Ne pas hésiter à questionner des illustrateurs et illustratrices sur des questions pratiques concernant par exemple les contrats, les droits d’auteur, les tarifs etc. C’est extrêmement compliqué parce que chacun et chacune a ses pratiques personnelles vu qu’il n’y a pas une seule façon de faire, ou une grille tarifaire comme pour d’autres métiers. Mais le milieu artistique en général comporte constamment le risque de se faire dévaloriser par les clients puisque c’est parfois considéré comme un loisir ou des choses que n’importe qui pourrait faire. Sachant qu’on a souvent déjà tendance à se dévaloriser de base parce que les artistes ne sont pas mis en valeur dans notre société... Il peut donc arriver de tomber sur des personnes qui profitent de cette faiblesse et d’autres tout simplement par méconnaissance ou habitude. C’est dangereux pour soi, financièrement et psychologiquement, et pour la filière entière en même temps. Donc ne pas se sous-estimer, se renseigner, ne pas accepter trop vite une proposition. Que des erreurs que j’ai déjà faites bien sûr et que je fais encore !

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Avez-vous de futurs projets ?

Je travaille actuellement sur le dernier volet de « Welcome » avec la Team Blue Cocker, « Welcome to the Moon » » de Benoit Turpin et Alexis Allard. On a toutes et tous très hâte de pouvoir (enfin !) le voir entre les mains des joueuses et joueurs, ça a été (et c’est encore) un travail titanesque. Mais je suis super contente de ce qu’on a réalisé ensemble, ça a été un vrai gros travail d’équipe.
Après ça j’enchaîne sur un autre assez gros projet, pour une extension mais je ne sais pas à quel point je peux en parler pour le moment 😊

Merci beaucoup Anne.


3 jeux (voire un peu plus) conseillés par Anne Heidsieck :
- « Détective » : Les jeux d’enquêtes sont clairement mes jeux préférés et celui-là est, pour l’instant, celui qui a été le plus immersif et palpitant pour moi. Je ne l’ai pas encore fini ni joué avec les extensions mais c’est clairement les parties que j’attends le plus !

- « Decrypto » : je ne peux jamais refuser une partie de ce jeu, même quand je suis complètement crevée ! J’aime beaucoup les jeux de communication/déduction dans ce style et celui-là est de loin mon préféré.

Sinon en vrac quelques-uns de mes favoris du moment : « Cryptide », « Pandemic Legacy », « Watergate », « MicroMacro Crime City », « Kosmopolit ».


À lire sur la Yozone :
- Rest In Peace le jeu


Illustrations © Anne Heidsieck & les éditeurs


Michael Espinosa
Christelle Espinosa
2 août 2021



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