Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Pension complète
Jacky Schwartzmann
Seuil, Cadre noir, roman (France), polar, 184 pages, novembre 2018, 18€

Dans ce petit village qu’est le Luxembourg, Dino Scala fait un peu jaser, à fréquenter une héritière d’un quart de siècle son aînée, malgré les années qu’ils filent un parfait et sincère amour. Un paradis gâché ces derniers temps par Macha, la mère grabataire de Lucienne, installée à domicile, et par un banquier éméché qui un soir traite Dino de gigolo. Une commotion nasale et un flic diplomate plus tard, Dino doit aller se mettre au vert sur la Côte d’Azur le temps que les choses se tassent. Mais nouvelle tuile, sa Mercedes rend l’âme à La Ciotat, et Dino se retrouve au camping des Naïades, à soigner sa tristesse et son vague à l’âme à coups de mojitos allongés, jusqu’à sympathiser avec son voisin de bungalow, un type qui a l’air aussi déplacé que lui dans ce cadre populaire et estival, écrivain auréolé d’un Goncourt, au look et flegme tout britanniques, en stage d’observation des « vrais gens ». Dino, l’ancien gamin des cités, va lui filer un coup de main. Cela trompera l’ennui.
Enfin, jusqu’à l’arrivée des flics au camping. Pour un second mort en quelques jours.



Jacky Schwartzmann avait évoqué Dino dans « Demain c’est loin ». Après François le quadra échappé des cités, voici donc Dino, pré-quinqua bien conservé par une vie d’amour et de luxe au petit pays du pognon. Dino est heureux, ou le serait, s’il n’y avait pas :
- sa « belle-mère » polyhandicapée qui le suspecte après des années encore de n’en vouloir qu’à la fortune de sa fille Lucienne,
- le regard des autres, des vrais luxembourgeois, qui le traitent de gigolo et de « madame Courtois ».
Il faudra donc cette petite retraite au soleil méditerranéen, et une saynète hilarante avec des escorts locales qui leur mettent de la crème pour que Dino admette ce qu’il est : un homme qui vit aux crochets de sa richissime épouse. Une escort, pour ne pas dire une p… Au-delà des rebondissements de Pension complète, c’est là l’histoire fondamentale de son protagoniste : parvenir à outrepasser les faux-semblants qu’il a patiemment construits pour protéger sa virilité, son ego, pour se masquer les choses au nom de l’amour sincère qu’il éprouve. Et donc, à y trouver une solution, qui le sortira de sa déprime d’homme entretenu. Une solution simple, mais vous le verrez, aux choix audacieux, un coup de maître littéraire, une boucle bouclée comme l’auteur sait très bien y faire.

Mais « Pension complète », ce n’est pas que ce portrait d’homme à terre. C’est aussi une formidable rencontre entre deux inadaptés locaux, deux étrangers au pays du soleil, deux intrus au royaume de la tente Quechua. Deux esthètes, habitués au luxe, tombés dans leur propre vision de l’Enfer. Pour Dino, les années n’ont pas fait oublier les galères, le langage primal de la rue, aussi après quelques échecs retentissants entreprend-il de donner quelques tuyaux à son voisin Charles Desservy, y compris pour draguer la monitrice en chef, la jolie Johanna, qui a changé l’écrivain en statue de sel.

Avec un personnage aux mêmes origines populaires, on retrouve la gouaille de « Demain c’est loin », sous un léger vernis des années loin des soucis financiers, de nouveaux référentiels, des marques de montres, de champagne ou de voitures. Mais toujours ce regard affûté sur les autres, cette évaluation permanente, parfois cette reconnaissance mutuelle entre gens d’un même monde. Et un héros entre deux eaux, entre deux mondes, parfois admis mais pas accepté, et qui se demande toujours à quel monde il appartient. En choisissant de protéger le tueur, il se reconnait comme un des siens, un des leurs.

Et à partir de là, la longue liste des galères et les élans de solidarité mutuels prennent une toute autre tonalité. D’une situation presque triste, on tombe dans le pas banal du tout, et les cas de conscience dessinent avec les pointes d’adrénaline un électrocardiogramme de sprinter en vue du damier final. Quand Dino se retrouve coincé entre le flic local, coureur de fond comme lui, et son ami le tueur, on sent la sueur couler - dans son col ou le nôtre ?

Et tout, tout, jusqu’au retournement final après la rédemption de Dino, va nous faire danser avec lui de plus en plus vite sur un fil de plus en plus haut. On ne sait plus s’il faut rire ou pleurer face aux événements dramatiques, tant les personnages sont déconnectés de leurs actes, et le grand-guignol se mélange parfois au sordide, pour nous laisser à bout de fou rire. Jacky Schwartzmann, on le savait déjà, n’épargne rien ni personne, jusqu’à la dernière ligne.

« Pension complète » est bien plus drôle que les films « Camping », bien plus fin et moins vulgaire, mais pas dit que vous ayez davantage envie de passer vos prochaines vacances dans un bungalow. Ou alors, laissez le roman en évidence sur la terrasse !

Un petit bijou d’humour noir comme on en redemande.


Titre : Pension complète
Auteur : Jacky Schwartzmann
Couverture : Maryann Flick / getty Images
Éditeur : Seuil
Collection : Cadre Noir
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 184
Format (en cm) : 20,5 x 14 x 1,8
Dépôt légal : novembre 2018
ISBN : 9782021400984
Prix : 18 €



Nicolas Soffray
9 août 2021


JPEG - 12.4 ko



Chargement...
WebAnalytics