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Mortelle dédicace
Elly Griffiths
Hugo et Cie, collection Hugo Thrillers, thriller, 411 pages, mai 2021, 19,95€


Un prêtre défroqué en quête d’amour qui tient un coffee-shop ; un ancien homme de radio qui coule une retraite paisible en bord de mer ; des aides à domicile qui n’ont pas les deux pieds dans le même sabot ; Peggy Smith, une vieille dame férue de romans policiers classiques, infiniment observatrice, qui pourrait bien avoir avec les meurtres un rapport qui n’est pas exclusivement littéraire – qu’elle en ait elle-même commis ou qu’elle en soit elle-même la victime : voilà les éléments qui dessinent les scènes d’ouverture de « Mortelle dédicace  ».

Il s’avère que le décès de cette vieille dame, qui semble ne rien avoir que de très naturel, soit tout de même un brin suspect. C’est ce que pense Natalya, son aide à domicile, une jeune fille brillante d’origine ukrainienne qui pourrait avoir elle-même un passé trouble. Il faut dire aussi qu’on retrouve chez Peggy Smith une carte postale de menaces, et qu’elle aurait secrètement été « consultante en meurtres » : c’est du moins ce qui est marqué sur sa carte de visite. Qu’elle ait un passé trouble et qu’une de ses vieilles amies, récemment décédée elle-même, puisse y être lié ajoute un peu de piquant à l’affaire : le décès de cette autre vieille dame pourrait donc lui aussi ne pas être tout à fait naturel. C’est ce que pense également Edwin, ami de Peggy Smith en retraite, qui s’ennuie et pour qui ce prétendu crime vient à point nommé. Benedict, l’ex-prêtre qui leur fait office de cafetier, se laisse convaincre par cette théorie. Tous essaient d’en convaincre l’inspectrice Harbinder Kaur, qui elle-même hésite, et, lorsqu’elle en parle à son coéquipier Neil, le laisse passablement perplexe, et certainement pas convaincu.

« Avec un soulagement qui semble mutuel, ils passent à un autre sujet : le meurtre.  »

Dans une ambiance très britannique, ces amateurs très influencés par le whodunit décident donc qu’ils sont en train d’en vivre un eux-mêmes. Voilà qui vient délicieusement rompre la routine des uns et des autres. Il y a un petit goût « club des cinq » dans les aventures de cette bande d’amis qui peut-être se font des idées, et peut-être ne s’en font pas. Les voilà partis sur les traces d’attachés de presse, d’éditeurs, d’agents littéraires, et surtout d’autres auteurs de romans policiers, organisant un raid en Écosse pour y assister à un salon littéraire. « Qui a assassiné Peggy Smith ? » demande, lors d’une table ronde, un homme mystérieux à une autrice de romans policiers, tout juste avant de s’éclipser. Le mystère s’épaissit. Mais voici qu’un autre auteur de romans policiers se fait dessouder. Puis que l’on en retrouve un autre encore mort dans son fauteuil, exactement comme on a retrouvé Peggy Smith elle-même. So british ! Voilà qui est décidément trop excitant.

Seconde enquête, après « Le Journal de Claire Cassidy », à faire apparaître la détective Harbinder Kaur, ce « Mortelle dédicace  » se veut moins axé sur le présent, et apparaît avant tout hommage aux romans policiers de l’âge d’or. Les influences évidentes des protagonistes par de tels auteurs ouvrent les possibilités d’un name-dropping (Margery Hallingham, Ngaio Marsh, Dorothy L. Sayers, Agatha Christie), qui n’est fort heureusement ni excessif ni ostensible, et permet d’introduire finement Sheila Atkins et ses œuvres (manifestement apocryphes) comme ressort et moteur du roman. Pour autant, ce « Mortelle dédicace » n’évite pas entièrement les écueils des clichés contemporains, avec les couplets récurrents des discours anti-homophobes et antiracistes, aussi passionnants qu’un manuel de catéchisme et ânonnés avec un didactisme si pesant que l’on en vient presque à regretter la bien-pensance et la morale sirupeuses des œuvres de la Comtesse de Ségur (née Rostopchine). Comme ses illustres prédécesseurs, « Mortelle dédicace » n’essaie pas vraiment de faire de la littérature : l’écriture y est purement fonctionnelle, le roman constitué presque exclusivement de dialogue, et les personnages y ont tout juste suffisamment d’épaisseur pour supporter et pour nourrir l’intrigue.

Rapidement et facilement lu, « Mortelle dédicace » offre quatre-cents pages de mystères dans une veine classique. Astucieux et bon-enfant, il propose un nombre de suspects suffisant pour multiplier les hypothèses et les combinaisons en évitant d’en trop ajouter et de perdre le lecteur. Dans la grande tradition du genre, mystères, révélations sibyllines, liens avoués ou non entre agents littéraires, éditeurs, romanciers, mais aussi voyages et influences d’évènement survenus en d’autres pays viennent nourrir l’intrigue, font avancer l’enquête de découverte en découverte en multipliant les fausses pistes et les distracteurs. Avec les éléments ukrainiens contemporains qui font un peu « pièce rapportée », le propos pourrait laisser entendre que le bon petit meurtre en vase clos à l’ancienne est appelé à disparaître et que les règlements de compte dans d’étroits microcosmes sont finis. Rien n’est moins sûr. Avec une poignée de personnages sympathiques et quelques cadavres, Elly Griffiths démontre que le crime classique est encore bien vivant.


Titre : Mortelle dédicace (The Postscript Murders, 2020)
Auteur : Elly Griffiths
Traduction de l’anglais (Royaume-Uni) : Vincent Guilly
Couverture : R. Pépin / Robin Olimb / Getty Images
Éditeur : Hugo et Cie
Collection : Hugo Thrillers
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 411
Format (en cm) : 14 x 21
Dépôt légal : mai 2021
ISBN : 9782755647068
Prix : 19,95 €



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- « Le Tricycle rouge » de Vincent Hauuy


Hilaire Alrune
25 mai 2021


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