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Ordre du Cygne (l’), tome 1 : Les Chevaliers de camelote
Virginie Salobir
Gulfstream, roman (France), fantasy, 390 pages, octobre 2020, 17€

Après une longue guerre contre son voisin Malebrume, le royaume des Lacs d’Argent tente de reconstruire son Ordre de Chevaliers du Cygne, décimé. Hélas, ils sont rares dans la nouvelle génération à posséder cette magie qui peut les rendre imbattables au combat. L’enchanteur Walgrim a écumé le royaume pour recomposer un premier Ordre un peu de bric et de broc, qu’il a confié à Oswald de Hohen, le plus têtu de ses apprentis, mais aussi le plus intransigeant.
Alors qu’un nouveau conflit se profile, ces jeunes chevaliers et leurs écuyers à peine sortis de l’enfance seront-ils à la hauteur ?



La réponse est pour moi sans grand appel : non.

Derrière la magnifique et très attractive couverture signée Patrick Connan, on va trouver quelques pépites mais aussi beaucoup de boue.

Pour son premier roman, sa première saga, Virginie Salobir a mis la barre haut. Trop, sans doute.
Le titre même, reprenant la blague (ancestrale) de Merlin au Rassemblement du Corbeau [1], donne le ton, même si leur but sera bien sûr de se libérer de cette vilaine étiquette.

Je trouve louable son idée d’un ordre de jeunes chevaliers, formés dans l’ombre d’illustres ainés, et à peine sortis de leur entraînement pour se retrouver projetés dans un nouveau conflit qui va souder davantage leur fraternité. Il y a de très très bonnes idées, souvent pas trop mal amenées (parfois avec de gros sabots), et surtout un traitement de la psychologie de chacun réaliste, si on admet ce biais qu’ils sont tous imparfaits, pour ne pas dire nuls, et que cela ne s’arrangera pas puisque tout le monde leur répète à longueur de temps, et que ce sera à peu près le seul axe psychologique de l’histoire.

Oswald de Hohen, le Premier Chevalier, concentre à peu près tout. Fils d’une haute lignée, perfectionniste, intransigeant avec les autres, il est amoureux de la jeune reine et espère sortir de l’ombre du héros de la génération précédente pour enfin être digne de la souveraine, guère plus âgée que lui. Il mène la vie dure à son groupe de 9 chevaliers, leur demandant le même engagement total qu’il s’impose.
Disons-le déjà : des 9, on ne verra pas grand-chose. Hormis Oswald, et Elanor sa seconde, bien plus posée, les autres n’ont de rôle que très ponctuellement, et sont cantonnés à des archétypes épais comme une feuille de papier (le gourmand, le taquin, la sensible...). Idem de leurs écuyers. D’autant que la plupart, paysans ou on ne sait quoi, donne vraiment une impression de joyeux charlots, préférant manger ou dormir, incapables de se coordonner... Bref, on a du mal à croire qu’ils ont subi une quelconque formation de chevalier ces dernières années ! Ne parlons même pas de leur pouvoir, qu’ils oublient tous d’utiliser à chaque fois qu’ils se battent !
Au total 20 noms, dont on remerciera Gulfstream de nous donner la liste en début d’ouvrage, sous peine de ne jamais s’y retrouver. Cette figuration, ce remplissage de fond, flou et incertain, n’aide pas à s’attacher à cet ordre malmené.

Paradoxalement, au-delà des chevaliers, en faisant le tours des 3 royaumes, il n’y a guère plus de personnages, et l’autrice peine également à les rendre crédibles. Walgrim l’enchanteur, sans cesse à dénigrer ses propres recrues qu’à se donner des airs de sage, fait un bien piètre pédagogue, aussi est-il inquiétant que l’avenir du royaume repose sur lui. Les autres ne sont guère mieux, quand on leur laisse plus de deux lignes pour exister de manière plus qu’utilitaire...
Le royaume de Malebrume n’est pas en reste, avec un roi cruel et goinfre (dont on se demande comment il peut être sur le trône après sa précédente défaite) et surtout son sorcier, Mnéfeth, le vrai Grand Méchant de cette histoire. C’est sur lui que s’ouvre le roman, et son bannissement d’un bébé qu’il a eu avec sa jeune esclave Oyi. Une entame particulièrement intense (avec les thèmes de l’esclavage, du viol, de la domination...) qui laissait présager une histoire forte. Hélas, malgré la trame Mnéfeth-Oyi et l’émancipation de la jeune fille, le reste ne suit pas. Le sorcier envoie contre nos apprentis chevaliers un maléfice après l’autre, dont une hyène-sanglier géante, mais sans plan général, enchainant une tentative après l’autre sans en tirer leçons ou conséquences, et se prenant des remontrances royales façon Guignol. Idem du général qui attaque le duché voisin du Sanster, apparaissant de nulle part, exposant un plan implacable qui sera mis en échec... Cet amateurisme général décrédibilise le camp présenté comme les Méchants, brisant une grande partie de la tension née autour d’Oyi et la trame globale de l’histoire.

Le principal intérêt de ces « Chevaliers de Camelote » tient sans doute à la relation entre Oswald et son écuyère Alix. Deux têtes de mule, tellement obnubilées par leur petite personne, par leurs choix personnels qu’ils sont sourds au groupe. Alix enchaine les bêtises, les désobéissances, qu’Oswald punit avec coups et sévérité. Lorsqu’on découvre que c’est Walgrim qui les a appairés, pour que le chevalier y voit un miroir de sa propre attitude de jeunesse, on se pose vraiment des questions sur la santé mentale du mage...
Pour fréquenter des jeunes ados et adultes ainsi en pleine crise, entre besoin de reconnaissance et volonté d’autonomie, d’émancipation de l’autorité, je dois admettre que la violence de la relation, pleine d’étincelles, est très bien rendue. Et petit à petit, le groupe s’améliore, dans la plus pure tradition des histoires d’apprentissage, apprend à travailler ensemble... Mais était-il nécessaire de partir de si bas ?

Je ne m’appesantirai pas sur le style littéraire : c’est machinal, forcé, les dialogues sonnent soit faux soit très utilitaires... côté narratif, on a du mal à croire aux situations, l’action prime sur toute réflexion, intériorisation d’émotions des personnages ... tout cela fait très factuel, démonstratif.
Cela m’a rappelé « L’Écuyer du roi », qui avait l’excuse d’avoir été écrit il y a plus de 70 ans... à ceci près qu’encore une fois, Virginie Salobir se saborde dès le début avec des personnages si imparfaits qu’on a énormément de mal à s’y attacher, et un univers si bancal qu’il est difficile, encore plus pour un adulte, de maintenir sa suspension d’’incrédulité tant les questions qui réduisent tout à néant s’accumulent : comment l’ennemi vaincu peut être à nouveau si puissant, et les dirigeants aussi naïfs, pourquoi à peu près tout le monde fait systématiquement les mauvais choix, personne ne regarde les évidences en face, ou plus loin que le bout de son nez...
On a parfois l’impression d’un roman écrit au fil de la plume, feuilletonnesque, avec de nouvelles idées en cours de route, un retour sur des passages pour remplir des moments plus faibles... J’ai tiqué à quelques coquilles de relecture flagrantes (Hohen qui se bat à la masse et deux lignes après avec son épée, des flèches qui se changent en carreau d’arbalète alors qu’on avait bien insisté dessus pourtant...) mais ce n’est rien en comparaison d’une intrigue aux rebondissements téléphonés et aux situations contradictoires, parfois dignes des pires blockbusters américains.

A la fin de ce premier tome, les chevaliers de l’ordre du cygne remportent la victoire... mais c’est davantage dû à l’incompétence de leurs ennemis et à la chance qu’à leurs qualités propres, puisqu’ils n’utilisent même pas le pouvoir qui les lie et devrait faire leur force ! Alix a eu une révélation et va cesser les bêtises, et Oswald réalise qu’il est responsable de la vie des autres. Tout le monde il est bien gentil, et toute l’histoire elle finit bien, avant un nouveau grand danger dans un second tome qui paraît ces temps-ci.

Sincèrement, sans méchanceté aucune, je pense que l’autrice est à l’image de ses personnages : grandie dans l’ombre de ses illustres prédécesseurs, elle a voulu faire un récit de fantasy mêlant politique, chevalerie, apprentissage, valeurs fortes, rebondissements, créatures magiques... et s’est laissée submerger. N’est pas Tolkien ou Dumas le premier venu, ni du premier coup ! Et eux ne s’imposaient pas des personnages tous plus imparfaits !
La trame est complexe, mais le fil employé est trop gros pour que le rendu final soit attrayant. Les détails sont noyés dans la masse, et les erreurs attirent l’œil loin des passages réussis.

Malgré de bonnes choses sur la dynamique de groupe, ce fut pour moi, adulte féru de littérature jeunesse, une déception, à la hauteur des attentes et des promesses, une lecture laborieuse, à la prose simpliste qui dit tout et ne laisse rien à comprendre de plus (la fameuse règle du show, don’t tell : montrer (et faire comprendre) plutôt qu’expliquer !). « Les Chevaliers de Camelote » fera peut-être le bonheur de primo-lecteurs avides d’action et d’aventures faciles, et qui passeront sur les faiblesses narratives pour ne retenir que les bons côtés. Car je le redis, malgré tout, il y en a.

Le tome 2 vient de paraître.


Titre : Les chevaliers de camelote
Série : L’Ordre du Cygne, tome 1
Autrice : Virginie Salobir
Couverture : Patrick Connan
Éditeur : Gulfstream
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 390
Format (en cm) : 22 x 14 x 3
Dépôt légal : octobre 2020
ISBN : 9782354888541
Prix : 17 €



Nicolas Soffray
16 mai 2021


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