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Demain et le jour d’après
Tom Sweterlitsch
Albin Michel Imaginaire, roman traduit de l’anglais (États-Unis), Science-Fiction, 414 pages, mai 2021, 22,90€

Un attentat nucléaire a rayé la ville de Pittsburgh. Ils sont rares à en avoir réchappé, il y a les miraculés et ceux qui étaient absents à ce moment-là, comme John Dominic Blaxton qui a perdu sa femme enceinte. Une perte dont il ne se remet toujours pas dix ans après. Il recherche fréquemment sa présence dans l’Archive, une recréation virtuelle de Pittsburgh d’après toutes les données à disposition, revivant ainsi leur relation. Aller dans l’Archive relève justement de ses compétences, car il travaille comme enquêteur pour les assurances. Il retrace les derniers moments de disparus pour confirmer que leur décès est bien lié à l’explosion. Le cas d’Hannah Massey l’obsède, elle était clairement déjà morte à ce moment et n’a pu qu’être assassinée. Quelqu’un a pourtant tenté d’en effacer la trace.
Dominic a du mal à rester ancré dans le réel, à s’adapter à cette vie seul et les circonstances le poussent à faire certains choix, pas forcément heureux.



Tom Sweterlitsch a déjà séduit les lecteurs avec « Terminus », un thriller SF particulièrement bien ficelé. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, « Demain et le jour d’après » n’est pas son second roman, mais son premier. Le début en est plus poussif, il n’y a pas de scène d’introduction marquante comme dans « Terminus ». Il faut plus de temps pour s’immerger dans le récit et en prendre la pleine mesure.
Le lecteur ne prend conscience de la réalité du drame que lorsqu’il y assiste via l’Archive, un concept qu’il faut aussi apprivoiser, car que quelqu’un puisse interagir dedans parait étonnant. Le moindre enregistrement privé comme public, le moindre document et autres données ont été collectés pour la créer, la rendre tangible pour que les survivants puissent retrouver des proches avant l’explosion. Dominic ne parvient pas à faire son deuil, il se noie dans l’Archive, oscillant entre le passé et le présent. Le cas Hannah Massey le perturbe, l’obsède, il veut faire toute la lumière sur ce meurtre, fouillant tous les recoins de cette réalité virtuelle, même si son supérieur lui dit de laisser tomber, ce qu’il sera bien obligé de faire quand il sera viré.
C’est à ce moment que l’histoire devient vraiment intéressante, qu’elle décolle. Dans son boulot d’enquêteur, Dominic est très compétent, peut-être le meilleur et un nouveau thérapeute lui propose un marché s’il accepte de travailler pour le riche Waverly, désireux de retrouver sa fille dans l’Archive. Quelqu’un l’y a effacée, ce qui ressemble au cas Hannah Massey. Qui viole ainsi l’Archive, modifie ce sanctuaire ? Dominic se lance à corps perdu dans cette mission, d’autant qu’elle va le toucher intimement.

Dominic est un personnage perturbé, toujours profondément blessé par la perte de sa femme et de l’enfant à naître. L’Archive lui permet de tenir, de s’accrocher à sa vie dénuée de saveur. Il lui faut des sources d’intérêt pour avancer. Son cousin a beau lui dire qu’il est temps de passer à autre chose dix ans après, il n’y arrive pas. De manière générale, Tom Sweterlitsch met en scène le syndrome du survivant qui s’interroge sur le pourquoi. Dominic n’est pas le seul dans ce cas, mais chacun le vit à sa façon. L’Archive est-t-elle une bonne chose ? Ou un monument bien trop réel pour se souvenir des disparus ? Son existence pose bien des questions et entraîne bien des dérives comme le tourisme des catastrophes. Et puis le numérique peut être perverti, ce qui nourrit justement l’intrigue avec des disparitions qui ne peuvent que servir à cacher de funestes événements. Dominic est acharné, il tire le moindre fil qui dépasse.

Une fois toutes les pièces en place, l’auteur déroule l’histoire aux nombreux rebondissements. Comme on est en mode enquête, « Demain et le jour d’après » se révèle passionnant avec cette recherche d’indices que les données sont manipulées, ces avancées à la moindre découverte remettant parfois en question ce qui semblait acquis. Le récit oscille entre monde réel et virtuel, autrement dit entre le présent et le passé reconstruit, ce dernier délivrant des pistes qui ne peuvent qu’être validées dans la réalité. L’auteur tient sans problème le public en haleine.

« Demain et le jour d’après » montre, avant même « Terminus », tout le potentiel de Tom Sweterlitsch à écrire des thrillers de science-fiction capables d’accrocher le public. Il nous ballade entre réalité et création virtuelle en mémoire des disparus, mais aussi pour des considérations matérielles comme les assurances. Bien des interrogations s’élèvent à cette lecture : comment faire son deuil dans un tel cas ? comment préserver la mémoire des victimes ? que faire de ce sanctuaire ? Le personnage principal démontre les limites du système, il éprouve le plus grand mal à faire la part des choses, perdant pied dans sa vie. « Demain et le jour d’après » ne laisse pas indifférent, ce roman intrigue, passionne et interroge sur l’avenir que nous souhaitons, si nous n’arrivons pas à préserver le présent de la folie humaine.

Les droits d’adaptation audiovisuelle de ce livre, ainsi que de « Terminus », ont déjà été acquis, ce qui n’étonnera pas beaucoup les lecteurs de ces deux ouvrages.


Titre : Demain et le jour d’après (Tomorrow and Tomorrow, 2014)
Auteur : Tom Sweterlitsch
Illustration de couverture : Aurélien Police
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Michel Pagel
Éditeur : Albin Michel
Collection : Albin Michel Imaginaire
Directeur de collection : Gilles Dumay
Sites Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 414
Format (en cm) : 14 x 20,5
Dépôt légal : mai 2021
ISBN : 9782226451989
Prix : 22,90 €


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François Schnebelen
1er mai 2021


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