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YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Terminus
Tom Sweterlitsch
Le Livre de Poche, n°36050, traduit de l’anglais (États-Unis), fantastique / science-fiction, 546 pages, avril 2021, 8,70€

Parmi les premiers volumes de la collection Albin Michel Imaginaire repris au Livre de Poche figure ce « Terminus » de Tom Sweterlitsch, qui, lors de sa publication en grand format, avait été chroniqué sur la Yozone par François Schnebelen



Shannon Moss, agent spécial, est appelée sur les lieux d’un crime abominable : une femme et ses deux enfants massacrés à la hache, les ongles arrachés. Une scène de crime comme ni elle ni ses collègues, pourtant expérimentés, n’en ont encore jamais vue. Une scène de crime qui traumatise d’autant plus Shannon Moss qu’elle connaît parfaitement les lieux. Lorsqu’elle était enfant, c’était le domicile de sa meilleure amie. Elle a l’impression d’y avoir autant vécu que chez elle, et la chambre où elle a passé tant de temps est à présent occupée par le cadavre d’une fillette. D’où un vacillement étrange, “la sensation huileuse d’une réalité bavant sur une autre, comme du blanc d’œuf échappé d’une fêlure de la coquille.” Les choses ne font que commencer.

Si Moss, employée du Naval Criminal Investigative Service, une agence chargée d’investiguer sur les crimes de l’U.S. Navy, a été appelée sur l’affaire, ce n’est pas seulement parce que le principal suspect, le père de famille, est un ancien Navy SEAL. C’est aussi parce que cet individu, qui semble-t-il vivait paisiblement et discrètement là depuis longtemps, devrait ne plus avoir aucune existence. Il a en effet disparu corps et bien avec son vaisseau et son équipage longtemps auparavant. Et il n’y avait aucune chance pour qu’il refasse surface, car ledit vaisseau était à des millions de kilomètres de la Terre.

« La fin des temps est froide. Vous allez voir des choses. Mais vous devez rester sur le chemin, continuer à marcher tout droit. Nous allons nous engager dans un ailleurs où il y a du danger. J’ignore ce qui se passera quand le Terminus arrivera, s’il arrive, mais je suppose que cette frontière se brisera comme un jaune d’œuf et que l’enfer s’engouffrera par la brèche. »

Mais Shannon a été appelée pour d’autres raisons encore. Dans ce presque présent (1997) alternatif, les États-Unis se sont en effet lancés à l’assaut des étoiles. Depuis la face cachée de la lune, sur laquelle ils ont installé une base d’envergure, ils mènent à bien, grâce à des avancées technologiques rapides, un programme secret baptisé Espace Profond qui ne s’intéresse pas seulement à l’espace, mais aussi au temps. Exploration d’étoiles lointaines, mais également des futurs possibles. Et dans tous les futurs visités, le Terminus. Un évènement incompréhensible, abominable, inévitable. La fin de l’Humanité. Cette fin, Shannon fait partie de ceux qui la connaissent. L’assassin présumé également.

Dès lors, sur une tonalité de thriller beaucoup plus que de science-fiction, avec un arrière-fond de crimes particulièrement sanglants, s’engage une investigation peu ordinaire qui se déroule à la fois dans le présent et dans le futur. Dans le futur, parce que si l’on veut espérer sauver des personnes disparues, peut-être encore vivantes, on peut tenter le coup du temps profond : partir dans l’espace, basculer dix ans plus tard non pas dans le futur mais dans un futur possible, voir ce que l’investigation y aura donné – des faits exacts, car ils concerneront des éléments antérieurs aux crimes, que rien ne viendra donc jamais modifier – et s’en revenir pour faire aboutir l’enquête au plus vite. Une technique jouable, mais qui ne signifie pas voyage temporel classique : on ne peut réellement aller dans le futur, ni dans le passé. On visite un futur possible entre mille, on revient au présent. Lorsqu’on le quitte, ce futur qui n’est qu’une probabilité s’effondre comme une fonction d’onde. D’où un risque majeur : dans ce futur certains joueront le jeu, d’autres non. Ils n’auront nulle envie que leur présent à eux disparaisse. Seule solution pour eux, la « mise sous cloche » de l’investigateur. Le garder emprisonné, vivant, le plus longtemps possible. D’autres investigateurs en ont fait les frais.

C’est donc à travers une technique d’investigation obstinée et parfois extrêmement subtile que Shannon explore à la fois le présent et d’hypothétiques futurs. Un jeu particulièrement complexe au gré duquel reviennent, à des âges divers, maints protagonistes. Ainsi est-il possible de rencontrer dans votre monde d’origine des personnes que vous avez rencontré / rencontrerez dans le futur, et de croiser dans le futur des individus que vous n’avez pas encore vus, mais qui ont eu affaire à vous sur la trame temporelle alternative située entre votre présent et le leur. Des gens qui en vous voyant avec vingt ans de moins que ce à quoi ils pourraient s’attendre demeurent passablement perplexes, mais aussi des individus qui, s’ils ont connaissance du programme Espace Profond, pourraient bien essayer de vous mettre sous cloche.

« Non, je crois en Dieu. Je crois qu’il existe. J’ai eu cette expérience, cette vision, et je l’ai vu. Dieu est une lumière pestilentielle cerclée d’étoiles noires. Je suis toujours un homme de foi puisque je crois. Mais, quand je pense à Dieu, j’imagine une espèce de parasite. »

On pourra noter dans ce thriller quelques défauts mineurs. Un peu de mousse quantique ici, un peu de fractales là, du Penrose, du Lorenz, des nanomachines s’installant dans les microtubules des cellules cérébrales : comme souvent dans ce genre de récit, on retrouve quelques termes scientifiques disséminés pour faire illusion, sans véritable solidité scientifique. L’habituel américano-centrisme absolu dérange toujours, avec une absence singulière du reste du monde, que ce soit dans le présent, dans l’un ou l’autre des futurs envisagés, ou même à la fin des temps. Si l’on note ici et là quelques incohérences – par exemple l’intervention inconsidérée de la narratrice dans l’exercice de ses fonctions, capable de s’installer près d’un an dans le futur pour obtenir des informations partielles grâce à de lents et soigneux travaux d’approche, puis, de retour au présent, de tout gâcher en se précipitant tête baissée chez un suspect – on admettra qu’elles ne suffisent pas à mettre à mal une intrigue par ailleurs soigneusement conçue.

Malgré quelques soucis de détail, donc, l’aspect thriller horrifique de ce « Terminus  » fonctionne parfaitement. Horrifique parce que « Terminus  » est avant tout une histoire de crimes et de fin du monde qui pour Shannon Moss, et malgré l’humanité profonde de plus d’un protagoniste, apparaît avant tout comme un très long cauchemar. L’ambiance noire et angoissante, pour sa partie science-fiction, n’est pas sans rappeler certains passages du long métrage « Event horizon », sous-titré « Le vaisseau de l’au-delà », réalisé en 1997 – l’année où se déroule ce roman – par Paul W. Anderson. L’aspect plus classique n’est pas en reste avec une topographie forestière aux ambiances inquiétantes confrontant à de multiples reprises les personnages – et le lecteur – aux vertiges de la récurrence et à l’abîme des possibles. S’il s’achève sur une note apaisée, sinon optimiste, ce « Terminus  » apparaît comme un techno-thriller horrifique particulièrement efficace, difficile à lâcher une fois entamé, que l’on déconseillera aux dépressifs et aux âmes sensibles.


Titre : Terminus (The Gone World, 2018)
Auteur : Tom Sweterltisch
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Michel Pagel
Couverture : By-studio / Lubo Ivanko / Mimadeo / iStock
Éditeur : Le Livre de Poche (édition originale : Albin Michel, 2018)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 36050
Pages : 546
Format (en cm) :11 x 17,8
Dépôt légal : avril 2021
ISBN : 9782253103325
Prix : 8,70€



Hilaire Alrune
29 avril 2021


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