Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Au Carrefour des étoiles
Clifford D. Simak
J’ai Lu, Nouveaux Millénaires, traduit de l’anglais (États-Unis), science-fiction, 251 pages, avril 2021, 18 €

La collection « Nouveaux Millénaires » des éditions J’ai Lu republie depuis quelques années en grand format des classiques de son catalogue précédemment édités en poche. Par exemple, « Des Fleurs pour Algernon » de Daniel Keyes, « Le Maître du haut-château » de Philip K. Dick, « Jack Barron et l’éternité » de Norman Spinrad ou « Demain les chiens » de Clifford D. Simak. « Au Carrefour des étoiles » est donc le second titre de ce dernier auteur dans cette collection, un roman dont la dernière édition remontait à 1997.



Un homme vit seul dans une maison nichée au bord d’une falaise. Tout autour, la nature, quelques fermes isolées. Loin de tout, loin du monde. Il fait partie d’une lignée de fermiers dont il a laissé les cultures à l’abandon. Un ermite. Ce qui n’aurait rien de notable s’il ne vieillissait pas. Le même depuis plus d’un siècle. Une amitié simple avec le facteur qui lui apporte son courrier – pour l’essentiel des revues scientifiques. Peu à peu, cet individu se rend compte qu’il est surveillé. Par les services gouvernementaux, sans doute.

« Ce masque tombait telle une mue quand un vaste éclair zébra le ciel en crépitant et qu’un énorme coup de tonnerre claqua, secouant la terre. Au loin, on entendit la pluie cribler les collines, qu’elle engloutissait à toute allure.  »

Cet homme, c’est Enoch Wallace, un survivant de la guerre de Sécession. Qui depuis cette époque paraît insensible au passage du temps. Et dont l’absence de vieillissement, en effet, a fini par attirer l’attention des services secrets. Le lecteur en saura plus, et plus rapidement, que lesdits services. Il saura que si elle apparaît strictement identique à l’originale, la demeure d’Enoch Wallace n’est plus vraiment la ferme familiale d’origine. Elle aussi apparaît insensible au passage du temps. Elle est unique, indestructible. Elle abrite un relais entre les étoiles, une station de téléportation par où transitent les extra-terrestres, et Wallace en est le gardien. Il n’est soumis au processus de vieillissement que lorsqu’il sort pour sa promenade quotidienne. À l’intérieur, le temps n’exerce sur lui aucune prise.

Le choix de Clifford D. Simak n’est pas de faire de l’anticipation, de la science-fiction, du high-tech. Si les artefacts abondent dans ce « Carrefour des étoiles », le roman est avant tout centré sur l’humain, et apparaît avant tout comme une fable. Comme chez Bradbury, l’essentiel n’est ni dans la technique, ni dans la toile de fond science-fictive. D’où un caractère presque intemporel, et un roman qui, s’il a été initialement publié en 1963, n’a pas vraiment vieilli.

Si ce roman n’a pas vieilli, c’est aussi parce que l’humanité n’a pas changé. Les grandes thématiques et les grandes inquiétudes d’Enoch Wallace sont celles qui plus que jamais font trembler notre époque : les guerres, l’accumulation délirantes d’armes de destruction massive, le gaspillage à outrance des ressources, l’anéantissement progressif de la nature. Un monde dont on imagine que l’état des lieux ne peut guère que pousser l’auteur, décédé en 1988, à se retourner dans sa tombe. En filigrane, et en permanence, ce « Carrefour des étoiles  » est hanté par la folie des hommes, la prolifération technologique, l’essor d’une guerre mécanisée sans cesse plus destructrice. Et la mathématique statistique d’un autre univers confirme les craintes de Wallace : il n’y a pour l’humanité guère d’autre espoir que l’accumulation de catastrophes.

Face à cette folie, Simak fait un bel éloge de la simplicité. À l’immaturité collective, il oppose le magnifique portrait d’un sage positionné hors du temps, hors du monde, qui a su ne conserver comme interaction avec lui que le meilleur : les amitiés simples – le facteur, les divers extraterrestres en transit – les revues lui apportant l’évolution des connaissances. Distancié, mais animé par un intérêt authentique, par une curiosité insatiable, appliquée aux petites choses – on trouve dans ce roman de très belles descriptions de la nature autour de la ferme – mais aussi aux concepts les plus vastes, ceux de l’humanité mais aussi des autres civilisations extraterrestres. Les différences, qui sont rarement des oppositions, le fascinent. Il les voit comme des opportunités, des enseignements, des enrichissements.

On trouve plus d’un personnage de ce type dans les romans de Simak  : des veilleurs, des éveillés, des perspicaces, des individus ayant leur place en ce monde, mais souvent légèrement en retrait pour mieux en apprécier la saveur, et animés par un intérêt bienveillant. Bienveillant, parce que s’il a toujours été lucide, Simak, tout comme ses personnages, ne s’est jamais laissé aller à l’amertume, à la critique acide, à l’amalgame, au jugement hâtif ou à la condamnation à l’emporte-pièce. Les services secrets, par exemple, apparaissent ici bien plus fins, bien plus mesurés que l’on pourrait s’y attendre. On trouve parfois chez Simak, peut-être, une légère touche de désespoir, mais plus souvent l’optimisme lucide, mesuré, tempéré, prudent, de qui sait faire la part des choses. Qu’un personnage comme Enoch Wallace se retrouve, de manière involontaire, au centre de plusieurs imbroglios à la fois terrestres et intergalactiques devait fatalement arriver. Ce qui se joue à son niveau, lui qui ne souhaitait guère que vivre tranquillement, ce n’est plus seulement l’avenir des hommes, ce n’est plus seulement la mise à l’écart de l’humanité par les autres espèces intelligentes indifférentes à sa trajectoire suicidaire, mais aussi la cohésion entre les diverses civilisations qui peuplent la galaxie.

On trouve dans ce roman, comme ailleurs dans l’œuvre de Simak, un message humaniste et pacifiste que l’on ne rencontre que rarement dans la littérature d’anticipation. À la manière d’un Ray Bradbury, Clifford D. Simak occupe dans l’histoire de la littérature de genre une place à part. Même si l’on peut rapprocher de son œuvre quelques romans de Robert Charles Wilson, comme « Les Derniers jours du Paradis  » et plus encore « À travers temps  », Clifford D. Simak ne semble pas avoir eu vraiment de continuateur. Raison de plus pour lire et relire ses œuvres, dont on trouvera peu d’éditions récentes hormis chez J’ai Lu, ou au Bélial avec deux recueils de nouvelles « Frères lointains  » (2011) et « Voisins d’ailleurs » (2009). Ce serait sans doute faire offense à Simak que d’évoquer à son sujet la littérature feel-good qui des décennies après sa disparition a commencé à déferler sur les tables des libraires. Pourtant, il y a dans ses ouvrages, une simplicité, une humanité, une poésie, une philosophie, une pointe de bonheur et de mélancolie qui ne sont jamais factices et qui rendent la lecture de ses ouvrages particulièrement agréable. C’est de la science-fiction, mais c’est aussi plus que cela. On trouvera sur notre site une autre chronique du « Carrefour des étoiles  » lu par Stephane Pons


Titre : Au Carrefour des étoiles (Way Station, 1963)
Auteur : Clifford D. Simak
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Pierre-Paul Durastanti
Couverture : AkuMimpi / Shuutterstock / Skevloid / Brvko Serhii
Éditeur : J’ai Lu (édition originale : Albin Michel, 1968)
Collection : Nouveaux Millénaires
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 251
Format (en cm) : 13 x 20
Dépôt légal : avril 2021
ISBN : 9782290250105
Prix : 18 €



Clifford D. Simak sur la Yozone :

- « Demain les chiens »


Hilaire Alrune
25 avril 2021


JPEG - 25.6 ko



Chargement...
WebAnalytics