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Le Cauchemar d’Innsmouth et Les Montagnes de la démence chez Bragelonne
Des récits de Lovecraft en élégants livres de poche (Bragelonne)
Bragelonne, traduit de l’anglais (États-Unis), fantastique, 153 et 198 pages, avril 2021, 6,90 et 7,90€


« Depuis ce jour, ma vie ne fut plus qu’un long cauchemar peuplé d’angoisses et de sombres ruminations, au sein duquel la démence le disputait à l’ignoble vérité. »

Texte fondateur, représentatif de l’égale maîtrise de Lovecraft pour ce qui est tout d’abord de la simple suggestion – les passages dans sa chambre d’hôtel sont à ce titre particulièrement révélateurs –, puis de la lente montée d’une épouvante évoluant vers le descriptif et culminant dans les vertiges insanes de la folie, « Le Cauchemar d’Innsmouth » ne se décrit pas, ne se commente pas : il se lit, il se vit glacé d’horreur, les yeux exorbités, les cheveux dressés sur la tête et la peau hérissée par la chair de poule.

Si cette novella initialement publiée en langue anglaise en 1936 a fait frémir des générations de lecteurs, il est à craindre qu’elle soit moins marquante pour ceux des deux dernières générations, cinématographiquement ou télévisuellement abreuvés depuis le berceau de créatures monstrueuses. Il n’empêche : la prose classique et dosée de Lovecraft permettra à chacun de revenir aux sources, ou plutôt à l’océan primitif, d’un certain dieu Dagon depuis lors décliné à travers romans, nouvelles, jeux vidéo, bandes dessinées et autres productions filmées en mille et un avatars. Et ce « Cauchemar d’Innsmouth  » apparaît comme une lecture que nul ne devrait regretter, à moins que le lecteur trop sensible n’en fasse lui-même d’autres cauchemars, dont la répétition pourrait bien le conduire à terminer ses jours en hurlant dans les profondeurs d’un asile.

On notera que les éditions Bragelonne ont eu la bonne idée d’agrémenter ce « Cauchemar d’Innsmouth  » d’un plan sommaire d’Innsmouth, dessiné par H.P. Lovecraft lui-même. Des indications très utiles pour aider à s’enfuir dans la bonne direction ceux que des circonstances contraires conduiraient à se perdre dans cette bourgade bien peu touristique. Si l’on s’en tient aux cartes officielles, Innsmouth n’existe pas. Il n’empêche : les lecteurs de ce « Cauchemar d’Innsmouth  » n’auront jamais envie de se risquer à aller errer dans la nuit ou dans les brumes au long des côtes du Massachussetts. Quant aux autres, nul ne sait ce qui pourrait leur arriver.

« Une fois encore, me voici parvenu à un point où il m’est très difficile de poursuivre mon récit. À force, je devrais être endurci, mais certaines expériences, certains signes, laissent des cicatrices trop profondes pour qu’on en guérisse, et ne font qu’exacerber la sensibilité de sorte que la mémoire réinsuffle toute l’horreur initiale dans nos souvenirs.  »

Antérieur de quelques années au « Cauchemar d’Innsmouth », « Les montagnes de la démence », initialement publié en 1931, est le roman d’une expédition scientifique en Antarctique, qui, elle aussi, a fait frémir des générations de lecteurs. Car l’exotisme et les dangers ne sont pas seulement ceux du froid et de la glace. La mort de plusieurs membres de l’expédition et la disparition de l’un d’eux pousseront le narrateur, le géologue William Dyer, accompagné de l’un de ses étudiants, à s’enfoncer plus loin encore dans l’Antarctique, à l’aide d’un petit avion, et à explorer les mystérieux plateaux de Leng.

Ici encore, sur une tonalité très classique, Lovecraft emmène le lecteur dans une série de mystères situés sur un lointain point de confluence entre sciences physiques, sciences humaines et vertiges d’une altérité incompréhensible, d’une ancienneté qui nous échappe, d’une horreur qui nous terrifie.

Pour profiter pleinement de ce roman, il importe de faire abstraction du présent, et, comme lorsque l’on lit un ancien récit d’exploration, d’oublier l’essor de la géolocalisation et des communications, de la visualisation satellitaire et du maillage topographique à outrance, qui ne laissent plus aux mystères les même latitudes. Une telle aventure pourra donc apparaître un soupçon datée, et l’horreur à la fois décrite et suggérée marquera peut-être moins le lecteur contemporain que celui de l’époque. Pourtant, la force d’évocation de Lovecraft demeure inchangée. Il est à gager que ces « Montagnes de la démence  » continueront longtemps encore à instiller dans l’esprit des amateurs leurs ambiances glaciaires et leurs frissons face à l’inconnu, et à faire tourbillonner en eux des nuées d’images inquiétantes.

Pour ceux qu’amusent les pastiches, on notera une parodie d’Arthur C. Clarke intitulée « Les Montagnes hallucinogènes  » que la Yozone avait mentionnée ici, et chroniquée quelques années auparavant.

Ces deux textes classiques de l’œuvre lovecraftienne ont déjà été publiés en langue française dans de nombreux recueils ou anthologies, parfois dans des traductions différentes et sous des titres légèrement différents (« Les Montagnes de la folie  », « Les Montagnes hallucinées  », « Ténèbres sur Innsmouth  »). Ils sont donc disponibles dans bien d’autres éditions, mais le bibliophile appréciera le soin apporté à la réalisation de ces petits volumes : illustrations de couverture élégantes et sobres, titres d’un rouge cuivre à reflets métalliques, couvertures cartonnées à rabats. Une qualité qui tranche avec les habituels livres au format de poche et qui permet à ces nouvelles de prendre une place parmi les volumes que l’on lit et que l’on collectionne, comme la très belle série des Une Heure Lumière édités au Bélial.

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Titre : Le cauchemar d’Innsmouth (The Shadow over Innsmouth, 1931)
Auteur : Howard Philips Lovecraft
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Maxime le Dain
Couverture : Hokus Pokus Créations / Shutterstock
Éditeur : Bragelonne
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 153
Format (en cm) : 12 x 18
Dépôt légal : avril 2021
ISBN : 9791028116996
Prix : 7,90 €

Titre : Les montagnes de la Démence (At the Moutains of Madness,1931)
Auteur : Howard Philips Lovecraft
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Arnaud Demaegd
Couverture : Hokus Pokus Créations / Shutterstock
Éditeur : Bragelonne
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 198
Format (en cm) : 12 x 18
Dépôt légal : avril 2021
ISBN : 979102812660
Prix : 6,90 €


Hilaire Alrune
15 avril 2021


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