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Renaissances, 6 histoires qui réinventent le monde
Denis Guiot (dir.)
Syros, Hors collection, nouvelles (France), anticipation, 326 pages, février 2021, 14,95€

En cette époque sombre de pandémie, de réchauffement climatique, de menace d’effondrement, la science-fiction rappelle son rôle : imaginer des futurs possibles, des avenirs sombres à éviter, de beaux lendemains à rechercher.
En partenariat avec l’expo installée à la Cité des Sciences et de l’industrie, la fine fleur des auteurs de chez Syros proposent leur vision de l’avenir post-covid, post-effondrement...



Saluons tout d’abord la préface de Denis Guiot et la postface de Roland Lehoucq, merveilles de concision et d’explication sur le rôle de l’Imaginaire face à la crise. Si chaque lecteur adulte pouvait s’en imprégner, le genre serait enfin dédiabolisé, paré de ses lettres de noblesse et admis à sa véritable place dans monde littéraire.

La prolifique et talentueuse Nadia Coste ouvre le bal avec “Solange de Paris”, une histoire très actuelle d’une étudiante qui, en plein Covid, propose de faire les courses pour ses voisins âgés et découvre, grâce à Solange, 80 ans, les initiatives en plein Paris pour faire du bio et du local : compost collectif, fermes verticales, champignonnières dans d’anciens parkings, ruches sur les toits... Ce n’est plus de l’anticipation, c’est la réalité, et comme l’autrice nous y invite, à nous d’en faire la norme pour l’avenir. C’est beau, simple et évident.

Dans “La Ferme au chapeau vert”, Florence Hinckel nous amène au bord de l’effondrement. Son héroïne, Sofia, dont la vie tient au fil de sa pile cardiaque, part avec son ami Gabriel chez les parents de ce dernier, d’anciens médecins installés en autarcie dans une ferme isolée dans le Jura. D’abord accueillant, le couple impose aux grands ados un mode de vie entièrement tourné vers la survie, et leur rythme, leurs choix de vie soi-disant proche de la nature. Un hiver coupé du monde, sans réseau, sans visite, et ponctué de plusieurs incidents transformera ce rêve de retour à la nature en cauchemar. L’autrice dose très bien éléments de bon sens (médecine traditionnelle, consommation réduite de viande...) et contradictions manifestes de ses personnages (médicaments, ouverture aux autres) pour arriver à la juste conclusion d’un entre-deux qui mette l’humain au centre, libéré tant de la Nature que des exigences d’une société productiviste.

On retrouve cette idée de communauté refermée sur elle-même dans “La Fresque” de Christophe Lambert. La jeune Agnès est en charge de l’école des plus jeunes, mais se heurte souvent au comité des anciens, dirigé par son père, qui privilégie la survie à l’épanouissement. Au grand dam de l’ado qui voudrait faire lire, dessiner, peindre les enfants, et pas juste en faire des petits travailleurs efficaces. Une péripétie au retour d’une expédition à la ville déserte proche va rapprocher père et fille et faire revenir l’adulte sur ses positions. C’est davantage l’aventure qui prime dans cette histoire, le message étant un peu martelé et l’opposition père-fille présentée sans guère de nuances. Quantité de trous dans l’histoire (comment les animaux du zoo ont-ils survécu ? pourquoi la médiathèque n’a-t-elle pas reçu d’autres visites en 15 ans ?), des rebondissements un peu faciles et la fin brutale la feront plus vite oublier que son très bon message : l’Homme a besoin d’Art pour être un homme et pas juste un animal.

Yves Grevet nous emmène à l’étape suivante : bien après l’effondrement, des communautés commencent à s’ouvrir et renouer des contacts et alliances. Cela ne se fait pas sans certains refus, de vieilles querelles impossibles à oublier, à pardonner. Yuna se propose pour aller travailler à l’éolienne en mer qui, réactivée, alimentera l’hôpital commun. Quinze jours seule avec un inconnu. Tous les deux ils seront “Cueilleurs de vent”. Si au début elle apprécie Karl, un garçon de son âge, elle change d’avis quand il avoue que sa famille est celle qui a « volé » la maison de sa grand-mère dans un hameau voisin occupé depuis des années par une autre communauté ! La cohabitation dans l’espace exigu de l’éolienne devient tendue, jusqu’à ce que les deux jeunes soient rapprochés par un péril commun : un intrus vient leur faire une proposition qui va à l’encontre des nouvelles lois collectives. Yves Grevet met très bien en lumière deux passés : le monde d’avant, qui a conduit à l’effondrement, qu’il ne faut pas oublier pour ne jamais le voir revenir, et le passé à court terme, aussi dur soit-il, qu’il faut savoir pardonner pour aller de l’avant, ensemble.

Nathalie Stragier nous parle d’internet dans “La Fin du monde”. Là aussi, le monde fonctionne au ralenti, même s’il ne s’est pas effondré totalement, et nombre de choses sont rationnées. Comme l’internet, responsable de 10% de la consommation mondiale d’électricité actuellement. Gwen doit passer un permis d’internet. D’abord confiante, elle ne voit pas le temps passer une fois le smartphone en main, et sait que c’est justement cette attitude qui a conduit à la catastrophe. Très abattue, la jeune fille sage dérape, enchaine les bêtises jusqu’à l’annonce d’un résultat qu’elle redoute, estimant son avenir fichu. Avant de réaliser que c’est tout le contraire.
L’autrice nous dépeint magnifiquement un monde qui refuse un abandon pur et simple des progrès d’avant la catastrophe, au risque d’inégalités ; des gens comme le grand-père de Gwen entre marqué par la part active qu’ils estiment avoir joué (il posait du câble sous-marin intercontinental) ; et termine sur une note d’espoir pleine de bon sens : a-t-on besoin de tout cela pour être heureux ? L’état du monde actuel est en soi déjà une réponse.

Pour conclure, Jérôme Leroy nous remmène dans la Douceur de sa trilogie « Lou après tout » (lecture obligatoire ! même si pas indispensable pour apprécier la nouvelle) et le souvenir d’un crime commis dans une communauté du Nord. La citation de Rousseau en exergue est un indice, mais toute la saveur de la nouvelle tient dans la plume magnifique de l’auteur et sa capacité à nous faire ressentir le malaise même d’une enquête policière dans une communauté d’Amis, où le mensonge et l’intérêt personnel n’existent plus. Magnifique à tout point de vue.

Empêcher l’effondrement, changer de vie pour s’en accommoder, se recentrer sur l’essentiel plutôt que gaspiller nos vies et nos ressources, dans toutes ses histoires la survie n’efface pas la vie, et nous rappelle que le bonheur passe par la relation avec les autres, la solidarité et non l’intérêt personnel ou l’égoïsme. C’est un grand challenge, d’apprendre à mettre « nous tous » à la place de « moi ». Espérons que nous y arrivions. Ce livre est là pour nous mettre en garde, nous donner à réfléchir, et il le fait de très belle façon.

Signalons pour finir qu’il donne droit au tarif réduit pour l’exposition, une bonne manière de concrétiser les bonnes résolutions.


Titre : Renaissance, 6 histoires qui réinventent le monde
Auteurs : Nadia Coste, Florence Hinckel, Christophe Lambert, Yves Grevet, Nathalie Stragier, Jérôme Leroy
Couverture : affiche de l’exposition
Éditeur : Syros
Collection :
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 326
Format (en cm) : 22 x 16 x 2,5
Dépôt légal : février 2021
ISBN : 9782748527278
Prix : 14,95 €


5 questions aux auteurs sur le site de Syros


Nicolas Soffray
24 mars 2021


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