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Shadowscent, tome 2 : La Couronne de Fumée
P.M. Freestone
La Martinière, Fiction J, roman (Australie), fantasy/aventures, 427 pages, janvier 2021, 19€

Guidée par la mystérieuse Luz, Rakel et Nisaï, encore convalescent, fuient la capitale pour se réfugier au Sanctuaire, la ville cachée des Gardiennes, laissant Ash captif, peut-être mort après le déchainement de ses ombres.
Au Sanctuaire, Rakel retrouve sa mère, mais refuse de lui pardonner son abandon. Les choses s’enveniment lorsqu’elle apprend qu’un remède à la Pourriture est connu depuis longtemps, mais jugé trop coûteux en dakhaï pour bénéficier à tous.
A Ekasya, Ash et les enfants de Doskaï, marqués par l’ombre, sont étudiés et torturés par Zostar, le médecin impérial, qui souhaite comprendre leur pouvoir et le plier à sa loi. Il parvient à fuir, avec Amih, la bibliothécaire, et rejoindre son prince et son amour.
Nisaï rentre à Aphoraï et essaie de négocier avec son frère. Hélas, celui-ci marche sur la ville avec une armée. Brisant l’Accord Ancestral.



Pour cette seconde partie de « Shadowscent », la narration fait place à une troisième voix, celle de Luz. Espionne des Gardiennes, se dissimulant sous les traits masculins de Zakurrus, ne dédaignant aucun des deux genres, Luz est complexe. Si on pourra tiquer dans les premières pages à son affirmation genderfluid un rien péremptoire, l’autrice ne martèle pas sa conviction au-delà et la suite du texte n’abuse pas du pronom iel. Le personnage affiche davantage une liberté d’être, bien utile dans son métier, qu’un militantisme trop souvent agaçant dans la littérature YA de nos jours. Mieux encore, c’est un écho au genre neutre d’Asmudtag, la divinité originelle, père-mère des autres dieux et seul(e) reconnu par les Gardiennes.

La religion, assez lointaine dans un premier tome dominé par l’athéisme pragmatique de Rakel, prend une nouvelle dimension avec la révélation par Yaïta, la mère de l’héroïne, de la réalité des dieux, de leur rôle dans l’équilibre du monde. Rakel doit réviser son jugement sur les coûteux encens brûlés par la bourgeoisie aphorienne et l’intérêt des dévotions auxquelles elle n’a jamais pris part. C’est assez intéressant, puisqu’on a généralement affaire à l’inverse en fantasy (les dieux existent ou du moins le clergé le fait croire). Cette manière d’aborder les choses se devinait avec l’appellation de « guilde des médecins » pour l’ordre de Zostar, plaçant la médecine (et donc la science) du côté du Mal et la Foi du côté du Bien. Un choix de termes destiné à faire réagir, contrebalancé par la présence des fanatiques du Soleil Ardent et une intervention divine finale bien matérielle, à coups d’explosifs.

De manière assez classique, nos héros malgré eux du premier tome vont aller au-devant du danger et se sacrifier l’un pour l’autre : Rakel essaie de libérer Ash de l’ombre, les conséquences sont apocalyptiques, et leur interprétation marquée là aussi par la foi, ébranlant également les certitudes de Rakel. Ash, refusant de mettre en danger ses deux amours, fuit, en direction de la capitale ; décidé à sauver les enfants de Doskaï et prêt s’il le faut à se sacrifier pour éviter une guerre. De son côté, après des recherches au sujet d’une arme qui avait mis fin aux guerres d’Ombre, Rakel se prépare au même sacrifice. Nisaï, ébranlé par le poison et pas encore remis, doute de son aptitude à régner, et fait tout pour empêcher une guerre, quitte à sacrifier l’empire dont il aurait dû hériter.

Au-delà des rebondissements de l’intrigue, qui deviennent un rien confus dans le dernier tiers (la faute à des distances et des temps de voyages pas toujours clairs), on appréciera la façon qu’a l’autrice de mettre en valeur les relations entre les personnages. Barden, notamment, change du tout au tout dans le regard porté sur lui : trop protecteur envers Rakel au début, présenté comme amoureux éconduit et jaloux par la jeune fille, puis comme soldat ambitieux et charmeur par Ash qui ne supporte pas de le voir le remplacer auprès de Nisaï, il s’avérera un ami fidèle tout au long de cette histoire, prévenant et empathique, d’un caractère bien moins emporté que les deux narrateurs.

Hormis donc un léger emballement final, qui rend les prémices de la bataille un rien difficiles à suivre, on passe encore un bon moment de lecture, auprès de personnages passionnés et attachants, au cœur de machinations et de secrets ayant trait à l’équilibre même du monde.
Avec ses personnages féminins forts (Luz, Rakel, Kip, les Gardiennes) mais têtus et bornés, et ses hommes malgré tout fragiles, faillibles (Nisaï, Ash, Barden...), dépouillés en partie des attributs héroïques que leur donne souvent la fantasy, « Shadowscent » est parfaitement dans l’air du temps, et Peta Freestone sert parfaitement le « combat » féministe en présentant des personnages à contre-courant des clichés de genre et, incroyable !, parfaitement réalistes, sans tomber dans l’excès inverse.

Toute l’écriture et la narration autour des odeurs, des parfums et des senteurs comme prisme principal pour appréhender le monde et les autres, très bien utilisé par Rakel et Luz, pousse à une autre façon d’imaginer un univers et une ambiance encore assez peu fréquentes en imaginaire. C’est le grand point fort de cette duologie pour jeunes adultes qui se dévore avec grand plaisir.


Titre : La couronne de fumée (Crown of Smoke, 2020)
Série : Shadowscent, tome 2/2
Autrice : Peta M. Freestone
Traduction de l’anglais (Australie) : Isabelle Troin
Couverture : (non crédité)
Éditeur : La Martinière
Collection : Fiction J.
Site internet : page roman (site éditeur)
Pages : 427
Format (en cm) : 21 x 14 x 2,5
Dépôt légal : janvier 2021
ISBN : 9782732496177
Prix : 19 €


Shadowscent :
- 1 : La parfum de l’ombre
- 2 : La couronne de fumée


Nicolas Soffray
26 mars 2021


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