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Extrême !
Michael Espinosa
Scrineo, Engagé, roman (France), fait social, 190 pages, janvier 2021, 10,90€

Elève de 3e, Valentin se consacre davantage aux passions de son âge un peu rebelle (parties de Fortnite avec son pote Léandro, balbutiements de BD et d’écriture de fantasy...) qu’aux cours, malgré le brevet en fin d’année. Alors qu’il chambre régulièrement Léandro sur ses techniques de drague inefficaces, lui qui n’a jamais osé aborder une fille, il est frappé d’un coup de foudre pour Stana, une nouvelle arrivée.
Mais l’élue de son coeur, à peine assise, commence à interrompre les cours et les professeurs pour parler effondrement, production locale et véganisme, essuyant les moqueries des autres. Valentin est subjugué par son détachement, lui si prompt à laisser ses émotions le submerger. Sous le charme, malgré sa maladresse de garçon, il essaie de s’intéresser au discours virulent de Stana, et réalise qu’elle n’a pas tort sur de nombreux points. Si se découvrir une conscience écologique lui permet de fréquenter Stana... Mais la jeune fille, décomplexée et revendicative, l’entraîne dans des actions qui pourraient finir par leur coûter cher : ouvrir les cages d’une animalerie, passe encore, manifester devant une boucherie, ok, mais quand la Cellule 515, le groupe de son frère ainé, propose un action choc dans les murs du collège, les choses ne vont-elles pas trop loin ?



Michael Espinosa est professeur des écoles, auteur d’Imaginaire et, accessoirement, un ancien de la Yozone. Avec « Extrême », paru dans la collection Engagé de Scrineo, il s’éloigne des mondes magiques pour investir un terreau très réaliste et contemporain, mais aussi dangereux.

Son Valentin ressemble à beaucoup de collégiens : futur adulte, en pleine recherche de repères, de reconnaissance. Un petit talent pour le dessin dont il ne sait pas trop quoi faire. Et une capacité d’influence à la merci de ses hormones en pleine ébullition : c’est son attirance pour Stana, ce coup de foudre, qui le pousse à écouter son discours violent, extrême, sans nuance, alors que son pote Leandro le met en garde, à juste titre. Si le sujet du roman est l’activisme végane et antispéciste, le processus d’embrigadement de Valentin pourrait s’appliquer à n’importe quelle autre doctrine : amoureux, déterminé à exister aux yeux de Stana, il est prêt à adhérer à ses positions, d’autant plus que la plupart relèvent du bon sens. Les faits les plus choquants (les élevages d’animaux dans les pays de l’Est, les conditions d’élevage du bétail, etc) font appel à l’émotionnel, et la diffusion de vidéos choc, sans contre-discours ni nuances, encourage une prise de position immédiate et parfois irréfléchie.

Entendons-le bien : tout ce que l’auteur fait dire à Stana est hélas vrai, et les médias actuels (presse, TV, RS, associations comme L214) le relaient régulièrement. Mais il est aussi intéressant de regarder la façon dont Stana le retransmet : traitée de passionaria, de folle, elle est la première à demander aux autres de penser par eux-mêmes, d’ouvrir les yeux, alors que la violence de son discours a justement la vocation inverse : rallier les autres à ses positions sans contradiction. Elle n’admet que deux camps, le sien, juste, et les autres, complices.
A ce titre, le rythme du roman, très direct, sans fioritures, parfois presque pauvre en éléments de fond, colle exactement à la véhémence de ce discours : peu de temps pour réfléchir, pour se faire une autre idée, juste à la rigueur, comme Valentin, celui de confirmer la véracité des faits exposés. Mais pas d’en interroger les causes profondes ou une éventuelle explication. Les parents de Valentin, qui auraient pu opposer un contre-discours de modération, sont par exemple très effacés, dépassés par les actes de leur fils.

Le roman se passe sur un temps très court, à peine plus d’une semaine, le temps d’un coup de foudre, le temps d’une expérience, d’une aventure... Vient très vite le moment où on passe à la vitesse supérieure. Pauvre Valentin qui pensait à un premier baiser quand Stana l’invite chez elle. Au contraire, c’est un pas de plus dans le militantisme, qui apparait comme le seul centre d’intérêt de la jeune fille. L’exemple de l’engagement de son aîné, avec sa cellule d’action, participe à ce renfermement sur soi et ses convictions. Là aussi, une telle adhésion aveugle, un conformisme du groupe aux décisions du chef n’est pas sans évoquer l’embrigadement sectaire.
La première action est bon enfant, mais tous en constatent les limites. La seconde, que les plus âgés font évoluer de façon plus spectaculaire, et donc violente, est un électrochoc qui ramène les deux jeunes gens à la réalité, quand les plus grands ont déjà franchi une ligne rouge, sans retour possible. On l’avait déjà vu récemment dans « 10 minutes en mode panique » de Jean-Christophe Tixier, avec des militants écologistes basculant également dans la violence.

J’ai signalé les parents en retrait, déboussolés. La lumière d’espoir viendra de Léandro, le pote de toujours, que Valentin a rejeté, accusé de jalousie, mais qui demeure fidèle à son ami, qui cherche à tempérer son engagement aveugle, et qui à la fin sera là pour l’arrêter avant qu’il ne soit trop tard, et ne lui tenir aucune rancune de son attitude. Un véritable ami, indispensable pour ne pas se laisser emporter. La seule bouée de sauvetage dans la spirale de l’endoctrinement.

Le roman est loin d’être parfait, sans doute trop court et rempli de blancs, sans discours contradictoire, mais il suit justement ce principe de persuasion, d’apprentissage par l’exemple : vois ce que Valentin accepte de faire, ce qu’il refuse, ce que fait Stana et qui a un sens, ce qui n’en a pas. Ce qu’ils font pour de bonnes raisons, ce qu’ils font pour de mauvaises...
Valentin, malgré ses œillères d’amoureux, garde assez souvent les pieds sur Terre une fois loin du halo de sa belle : à quoi bon incriminer une simple vendeuse d’animalerie, ou libérer des animaux qui n’ont connu que la captivité ? L’auteur rappelle aussi, par la voix du fromager agressé, que si la société n’est pas idéale, tous ne peuvent être accusés de complicité de ces crimes au prétexte qu’ils ont besoin de travailler. On ne change pas le monde en crevant de faim. Tout cela rejoint le constat final : un changement sociétal profond est nécessaire, une prise de conscience collective, certains sacrifices, mais si les choix de chacun finissent par peser, cela ne se fera pas qu’à une toute petite échelle.

A mon sens « Extrême » n’est pas un pamphlet pour ou contre le véganisme, même s’il en profite pour rappeler certaines réalités actuelles sur le coût sociétal de notre mode de vie. C’est avant tout un roman sur l’engagement, ses raisons, ses moyens, ses limites, et les dangers de ses dérives extrêmes.
Le danger du choix de la violence pour faire passer, imposer un message, une idée, aussi bonne nous semble-t-elle.
C’est le Côté Obscur : plus facile, plus rapide, plus séduisant... mais qui vous détruit de l’intérieur.

Le roman se termine, un peu rapidement, sur le choix plus judicieux des deux ados d’un militantisme toujours actif, mais pacifique, pour convaincre, avec des arguments à l’appui, à l’image des influenceurs actuels, de Greta Thurnberg à Hugo Clément.


Titre : Extrême !
Auteur : Michael Espinosa
Couverture : Berries & Paper
Éditeur : Scrineo
Collection : Engagé
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 190
Format (en cm) : 19 x 13 x 1,5
Dépôt légal : janvier 2021
ISBN : 9782367409566
Prix : 10,90 €



Nicolas Soffray
24 avril 2021


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