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Entre midi et minuit
Thierry Radière
La Table Ronde, poésie, 331 pages, mars 2021, 17 €


Trois romans, cinq recueils de nouvelles, une douzaine de volumes de poésie, d’autres ouvrages encore : Thierry Radière n’en finit pas d’écrire, et nul ne s’en étonnera, puisque dans ce nouveau florilège encore il confesse :

Plus j’écris
Plus je finis par accepter
De n’être surtout rien
Qu’un homme uniquement fait pour ça

Ce nouveau recueil, « Entre midi et minuit » est scindé en trois parties : pour l’année 2017 les « Poèmes totémiques » largement et éclectiquement dédiés (par exemple à Henri Michaux, Richard Brautigan, John Burnside, Jean Follain, Frederico Garcia Lorca, Pierre Autin-Grenier, Jean-Claude Pirotte ou Jerôme Leroy), pour l’année 2018 « Je n’aurais pas pu voir  », poèmes plus fortement plus marqués par une réflexion sur l’écriture elle-même, et enfin, pour l’année 2019, par « J’avais déjà dit un jour ».

Comme souvent chez l’auteur on trouvera dans ces vers libres – épurés, sans titres –, mêlées à la description attentive de l’ordinaire, maintes images fantastiques : des lézards qui ressuscitent,un monde de fantaisie où des coccinelles viennent se poser sur les têtes chauves des écrivains, où des conférences peuvent sombrer sous des nuées d’avions en papier, où des bulles de savon sortent de la bouche d’une femme assise sur un trottoir ; un univers où les fantômes fument des joints, où des extraterrestres accompagnant un anniversaire finissent par atterrir dans le poème, et où Frank Zappa s’incarne sous forme d’une multitude de goélands ; des rêveries à travers lesquelles l’on trouve des fantômes et où l’on quête des vêtements pour habiller les ombres, où un Boeing transportant des rêveurs peut entrer en collision avec un bocal de formol contenant un fœtus de veau gardé au chaud depuis des siècles, où des fleurs anciennes ont été couvées au fond d’un lac ; un étrange quotidien où il neige en été comme dans un rêve éveillé et dans lequel viennent s’immiscer des broderies pour l’apocalypse, des lianes à fumer au fond du lit, des voyages imaginaires dans des trains sans fin.

Des images, donc, mais aussi une réflexion sur l’écriture où l’on voit s’exprimer le refus de la carte postale et le désir de trouver la note juste et discrète, où la poésie hésite entre tourment et rire intérieur, une manière de garder les yeux ouverts, de voir plus et mieux, un outil pour saisir, une respiration neuve, la manière de dégager des passages. Ainsi le poète s’acharne-t-il à “l’invention de son existence”, malgré des moments où sa quête ne lui apparaît plus guère que comme un “un clin d’œil mort derrière un désir de peinture”, et continue-t-il à amasser et à aligner les mots pour “ravir les ombres chancelantes”’.

Ravir les ombres chancelantes, car il est aussi beaucoup question de passé et de souvenirs, de monde qui s’efface, se désagrège, disparaît. Les cartes postales, les vieux posters autrefois affichés dans des chambres d’adolescents, les attrape-mouches en tire-bouchons, les films en noir et blanc, les places abandonnées des balançoires, les signes de ce passé qui en même temps s’enfuit et s’installe en tant que révolu. Une enfance perdue où l’on courait “La balle au pied / Des vers dans la tête” avant de devenir un parolier de fortune. La forêt ancienne “Où les loups avaient des babines pendantes”, aux peurs remplacées par des craintes et des tristesses atemporelles, avec en filigrane poétique les difficultés à simplement vivre, à méditer devant des nuages “Au parfum de poussière / Aux couleurs sans nom”. Et les vagues incessantes du souvenir tour à tour ou simultanément ”extraordinaires, énigmatiques, invraisemblables et obsédantes”.

“Je pensais juste qu’en écrivant
Je deviendrais une ombre éternelle
Cachée quelque part
Au fond d’un grenier
Projetée en filigrane
Contre le verre poussiéreux
D’une photo ancienne inconnue”

Il y a chez Thierry Radière un goût de la beauté mais aussi des matins blêmes où pointent l’acédie, l’anhédonisme, le sentiment aigu du temps qui trop vite s’engouffre dans le passé, des éléments que les mots ont à peine l’occasion de saisir, des milles images, des mille petites choses qui ne restent qu’un instant comme des grains de poussière filant entre les doigts, entre les pensées, entre les songes. Reste l’ivresse douce de la métamorphose, le jeu à la fois âpre et enivrant des mots, la ressource secrète, mais toujours présente de la création. Car, explique l’auteur, même la femme qui savait tout ignorait qu’un jour “ Nos souvenirs / Allaient devenir poème.”

“Construire des contours
À son espoir parti
Maintenant plus minuscule
Qu’un cheveu de poupée.”

Retour aux images et à l’espoir, donc, à travers un mauvais rêve dont on essaie de s’enfuir, mais aussi grâce à la douceur du lâcher-prise dans un monde où “En un rien de temps / La solitude devient polyglotte” , à d’autres rêves encore dont celui d’un pays “ à inventer tous les jours sans arrêt”, un monde où “Les couleurs du temps / Se voient souvent la nuit” et où“ Des mots volent un peu partout/ Telles des plumes insaisissables”. Et la poésie encore et toujours ““Pour gueuler / Plus fort que le vent”” et aussi “Pour se taire / plus près des pierres” , les nuits passées “À chercher des visions” et à créer encore et encore. Se laisser aller aux images car “La vie est une grande hallucination”, chercher sens à travers les mots, chercher aussi les mots pour le plaisir, sans forcément les voir comme vérité ou comme révélateur,et savoir conserver une part de mystère, car :

“Pour finir
En acceptant de ne pas tout saisir
Il reste de la place pour des vers
Totalement incompréhensibles”


Titre : Entre midi et minuit
Auteur : Thierry Radière
Éditeur : La Table Ronde
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 331
Format (en cm) : 14 x 20,5
Dépôt légal : mars 2021
ISBN : 9791037107947
Prix : 17 €


La Table Ronde sur la Yozone :

- « Je ne suis pas un héros » de Pierre Autin-Grenier
- « Cent courts chefs-d’œuvre » de Napias et Montal
- « Les Dimanches de Jean Dézert » de Jean de la Ville de Mirmont
- « Daimler s’en va » de Frédéric Berthet
- « César Capéran » de Louis Codet
- « Le Club des longues moustaches » de Michel Bulteau
- « En remontant le boulevard » de Jean-Paul Caracalla
- « Vagabondages littéraires dans Paris » de Jean-Paul Caracalla
- « Je connais des îles lointaines » de Louis Brauquier
- « Quinzinzinzili » de Régis Messac
- « Un peu tard pour la saison » de Jérôme Leroy
- « La Nuit des chats bottés » de Frédéric Fajardie
- « Journal de Gand aux Aléoutiennes » de Jean Rolin
- « La Reine des Souris » de Camilla Grudova
- « Mary Ventura et le neuvième royaume » de Sylvia Plath
- « Los Angeles » par Emma Cline
- « Halfon Boy » par Eduardo Halfon
- « Jamais assez » par Alice McDermott
- « Et M*** » par Richard Russo


Hilaire Alrune
11 mars 2021


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