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Engrenages et sortilèges
Adrien Tomas
Rageot, Grand format, roman (fantasy / steampunk, 473 pages, janvier 2020, 17€

Grise Oolonga est la fille d’un ingénieur impérial, Cyrus est un mage, le cadet de la cheffe des armées. S’ils sont les meilleurs élèves, dans leur branche, de l’Académie de Celumbre, tout les oppose : Grise, bûcheuse et perfectionniste, se passionne pour la mécanique et les automates, Cyrus s’affiche comme un élève doué en magie mentale à qui tout réussit. Leurs rares relations sont électriques : Grise est plutôt solitaire, Cyrus traine une bande de nobles héritiers imbus d’eux-même.
Pourtant, un soir, on tente de les kidnapper tous les deux, dans l’enceinte de l’Académie, prétendument le lieu le plus sûr de l’empire ! Ensemble, ils échappent à leurs ravisseurs et disparaissent dans la ville, d’abord dans une auberge où Cyrus a ses habitudes, puis plus profondément dans les bas-quartiers : les Rets, à la recherche de l’Arachnide, la reine des criminels, la seule assez puissante pour les protéger de leurs ravisseurs et de leurs commanditaires, qu’ils soupçonnent haut placés !
Protégés par la pègre, ils vont mener leur enquête et découvrir un complot au plus haut niveau impérial, mais aussi remettre en question leur vision du monde et de leur avenir.



Si les mécanismes de cette histoire sont classiques (deux grands ados que tout oppose, obligés de faire équipe, et qui font se rapprocher comme se compléter ; un complot mondial, des secrets enfouis...) on ne peut que saluer la maitrise d’Adrien Tomas pour en faire un roman prenant, pour ados et plus grands, à l’univers riche et nuancé, riche de situations complexes faisant écho à nos propres sociétés.

Commençons par ses deux personnages. Grise incarne la réussite sociale de 2e génération, avec un père ingénieur dont elle suit les pas, et montre par son mérite qu’elle est à la place, quand Cyrus représente la vieille bourgeoisie, l’élite militaire et ses voies prestigieuses qui lui sont réservées. L’auteur introduit déjà une nuance, Cyrus n’étant pas doué dans les magie « à la mode », les élémentaires, celles qui plaisent à l’armée, mais plutôt les subtiles (illusion, charme, guérison...). L’Académie, malgré ses efforts d’intégration et de rapprochements, reste partagée entre mages d’un côté et techniciens de l’autre, avec une détestation mutuelle parfois peu cordiale. Cyrus est secondé par son familier, un chat (Quint), et Grise a construit son équivalent, un petit drone nommé Cog. Le premier parle, beaucoup, véritable partenaire de son mage, et bonne conscience, quand le second est plus utilitaire. Tous deux sont des ressorts comiques, mais également des éléments complets de l’intrigue, qui tourne autour de l’arcanium, le minerai nécessaire tant à la magie qu’aux automates.

C’est une très bonne idée de l’auteur, qui dissimule sous les atours de la fantasy et du steampunk la question de l’accès et de la régulation d’une ressource naturelle. Rationnée pour certains, abondante pour d’autres, cause de guerre mondiale, l’arcanium vaut le pétrole ou l’eau potable.
Autre miroir de notre société, plus flagrant, l’abandon des bas quartiers évoque évidemment le délaissement des banlieues et quartiers pauvres par les pouvoirs, qui préfèrent criminaliser sa population qu’y remplir ses missions. Ainsi Grise et Cyrus réalisent dans quel cocon confortable ils ont grandi, et découvre la lutte des classes avec Lieber, le jeune leader charismatique des Révocateurs, guère plus âgé qu’eux. Cela sera l’occasion d’un potentiel triangle amoureux, Cyrus se découvrant jaloux lorsque Grise passe trop de temps avec lui, et la réciproque est vraie lorsqu’il rencontre Xaomi, l’apprentie du nécromancien qui l’initie à des magies interdites de l’Académie. Du coup cela fait un double triangle, histoire de renvoyer à chacun le ridicule de ses propres réactions.
Si certains personnages n’ont guère de temps ou de place pour exister, Adrien Tomas veille à incarner chaque rôle social, à mettre des visages sur les sujets qu’ils défendent. Tout cela pour mieux faire grandir ses deux héros au fil des découvertes et des désillusions.

Encore une fois, si l’intrigue n’est pas nouvelle (les victimes secondaires d’un complot qui entreprennent avec succès de le dévoiler), toute la mécanique est très bien huilée, l’histoire riche en rebondissements eux-mêmes nourris d’un fond dense et complexe. On parle colonialisme, réfugiés, racisme (Grise est noire de peau, et ce n’est pas juste pour la caution diversité, mais un vrai élément de fond), misère et lutte des classes, éducation... On rit souvent, on tremble, de nombreuses situations poussent à se poser de bonnes questions sur nos préjugés, nos habitudes. Bref, c’est prenant, satisfaisant et intelligent : « Engrenages et sortilèges » fait partie de ses très bons romans jeunesse où on ne se pose pas la question sur les points laissés dans l’ombre et qui ruinent tout, bien au contraire, et les lecteurs chevronnés lui pardonneront sans mal de tenir les très nombreuses « promesses littéraires » (qui font que tout est lié et rien n’est laissé au hasard, comme l’identité de l’Arachnide par exemple). Les plus jeunes adorent, et les adultes ne bouderont absolument pas leur plaisir.

Le roman a reçu plusieurs prix jeunesse (Babelio, Saint-Exupéry, Mordus du Polar...) amplement mérités.

Un roman « compagnon » (même univers, autre lieu, autres personnages), « Dragons et mécanismes » vient de sortir (février 2021)


Titre : Engrenages et sortilèges
Auteur : Adrien Tomas
Couverture : Noémie Chevalier
Éditeur : Rageot
Collection : Grand format
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 473
Format (en cm) : 21 x 14,5 x 3
Dépôt légal : janvier 2019
ISBN : 9782700259360
Prix : 17 €



Nicolas Soffray
22 février 2021


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