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Vie ô combien ordinaire d’Hannah Green (La)
Michael Marshall Smith
Bragelonne, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), fantastique, 410 pages, janvier 2021, 20 €


« Humains et histoires ont besoin les uns des autres. On les raconte, certes, mais elles nous racontent aussi, nous. Les bras grands ouverts, les mains douces, elles nous invitent à venir nous réfugier contre elles, surtout lorsque nous nous retrouvons englués dans une vie qui n’a plus de sens. On a tous besoin d’un chemin à suivre, et les histoires nous aident parfois à ramener nos pas dessus. »

Hannah Green est une adolescente banale, qui passe par les affres de toutes les adolescentes banales. À commencer par la séparation de ses parents, récit américain oblige, une thématique récurrente du roman mais que l’auteur, allant jusqu’à y consacrer un plein dix-huitième chapitre, essaie de traiter de manière originale. Serait-on donc dans un récit « young adult », tonalité fort inattendue de la part d’un Michael Marshall Smith très peu habitué aux choses trop gentilles ? Que nenni, car voici que pointent les cornes invisibles d’un individu bien peu fréquentable, qui, à la limite du récit d’horreur gore, pourrait bien être le diable.

« Je pense qu’une des formes de l’enfer, ce serait d’être pris dans une longue conversation avec Jean-Paul Sartre. Tu ne l’as jamais rencontré ? »

Un récit un peu initiatique tout de même, puisque le personnage d’Hannah Green, celui de son père, et de sa cousine timbrée, artiste et incapable en tout, sont prétextes à des réflexions tantôt philosophiques et tantôt drôles, mais aussi à un peu de sagesse de comptoir et de réflexions positives qui semblent tirées – et en ceci le style de la couverture au moins n’est pas trompeur – de ces ouvrages « feel good » qui partout fleurissent depuis quelques années. Alors, du feel-good déguisé ? Que nenni, encore, parce que le grand-père d’Hannah Green est décidément un drôle de personnage, un virtuose de la technique qui a découvert l’âme de la musique au contact de Jean-Sébastien Bach en personne – le grand-père en question, en effet, est bien plus vieux qu’il n’en a l’air, privilège non négligeable quand, par le plus grand des hasards, on s’est trouvé à devenir l’ingénieur personnel du diable.

«  Inutile d’être mort. L’enfer n’est pas un lieu. Ce n’est pas un nom, mon enfant. C’est un verbe. Et il faut que je trouver quelqu’un qui sache le conjuguer. »

Les enjeux de toute cette histoire ? Rien moins que le sort de l’humanité, tout du moins une humanité avec beaucoup plus – ou un peu moins – de noirceur. Il se trouve que le diable a inventé une machine qui permet de détourner l’énergie maléfique, de l’envoyer se dissiper en un ailleurs loin de tout, et que les autres anges déchus, qui ont une seconde fois fait sécession, s’apprêtent à trahir leur maître et à inverser le flux de cette machine littéralement infernale. Les protagonistes se trouvent donc confrontés à un diable qui en définitive n’est pas si abominable que ça – et même devient assez drôle quand il échoue à faire le mal – en butte à ses anciens acolytes qui voudraient que la noirceur submerge définitivement le monde.

« Certains mots ne sont pas comme les autres ; ils sont secrets, inconnus et sombres. Avant, ils existaient dans de nombreuses langues, jalousement gardés par des chamans et les sages parce qu’ils étaient source de pouvoir et permettaient d’ouvrir les portes de l’inconnu. Au fil du temps nous les avons presque tous perdus, surtout depuis que la science nous a tous persuadé que c’étaient les nombres qui détenaient les clefs de la réalité. »

Un ouvrage qui navigue entre les genres, donc, mais non sans une certaine astuce. En promenant ici et là son lecteur, Michaël Marshall Smith étonne, déboussole, perturbe, mais finit par entraîner dans une aventure trépidante dont la machine –au sens propre – infernale n’est que prétexte à d’amusantes péripéties. L’écriture très légère, la tonalité de conte – de conte pour enfants à l’usage des adultes – les dialogues savoureux, tantôt féroces et tantôt gentillets, les péripéties et rebondissements incessants emplissent un livre qui finit par tourbillonner comme un carrousel – même si en matière de fête foraine il bénéficie d’un point d’orgue et d’un final échevelé sur un ancien rollercoaster quasiment mythique. Vous souhaitez découvrir l’affreux démon Xjynthucx sous forme d’un écureuil noir ? Vous souhaitez découvrir l’Envers, cette part d’enfer qui existe en chacun de nous ? Comme dans « Avance rapide », en moins mémorable et en plus léger, Michaël Marshall Smith excelle à faire passer d’un monde à un autre, à faire naître des images, des merveilles, des effrois. Entre fantastique et urban-fantasy, avec ici et là des aspects à la Neil Gaiman, « La Vie ô combien ordinaire d’Hannah Green » épouvante, amuse et distrait.


Titre : La Vie ô combien ordinaire d’Hannah Green (Hannah Green and her Unfeasibly Mundane Existence, 2017)
Auteur : Michael Marshall Smith
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Laurence Boischot
Couverture : Micaela Alcaino
Éditeur : Bragelonne
Pages : 410
Format (en cm) :14 x 21
Dépôt légal : janvier 2021
ISBN : 9791028113490
Prix : 20 €



Hilaire Alrune
17 janvier 2021


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