Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Oubliés de Dieu (Les)
Ludovic Lancien
Hugo, collection Hugo Poche Suspense, n°255, polar/thriller/noir, 496 pages, novembre 2020, 7,60€


Sinistre découverte pour une jeune secrétaire médicale : trouver son patron assassiné à son bureau, le ventre ouvert et complètement éviscéré, n’est sans doute pas la meilleure manière de commencer la journée. Pour le commandant Eric Blasco, alias le Bélier, le capitaine Gabriel Darui, le lieutenant Noémie Egawa, le médecin légiste et les autres membres de l’équipe, la surprise n’est très ragoûtante non plus : l’assassin ne s’est pas contenté d’étriper son patient, il en a même dévoré une partie, avec une voracité telle qu’il y a laissé des dents, mais a pris le soin de glisser un escargot dans une orbite et de changer de chaussures avant de partir, laissant derrière lui une paire de tennis. On ne voit tout de même pas ça tous les jours.

Côté chaussures, l’enquête par moments avance à grands pas et par moments piétine. Il faut dire que l’assassin a eu l’étrange idée de se cacher un moment dans l’immeuble en séquestrant un voisin. Les assassins plutôt : un militaire et un monstre, mi-homme-mi bête, une sorte de vampire livide aux dents taillées en pointe. Invraisemblable, certes, mais pas plus que la scène du crime. Il faut explorer : un mystérieux calepin du médecin avec une liste de noms ne correspondant à personne, un cabinet de curiosités consacré à la tératologie, la science des monstres humains, l’épouse du médecin qui en dit à la fois trop et trop peu avant de prendre – définitivement – la poudre d’escampette, une demeure calcinée où semble avoir vécu une jeune femme sans existence officielle, des dessins récurrents de démons, d’autres cadavres, et une plongé dans des pages très noires de l’Histoire.

Selon un procédé très classique voulant que l’enquête soit liée au propre passé de l’un des investigateurs, Ludovic Lancien entraine son lecteur sans temps morts sur près de cinq cents pages. Il use des ficelles habituelles du genre pour donner corps et substance à ses investigateurs – l’épouse de Gabriel est mourante (astuce souvent lue, on l’a vu récemment encore dans « Freeman ) », Noémie a un passé familial effroyable, une histoire d’amour naît entre deux membres de l’équipe – mais nourrit son intrigue avec un riche terreau historique : la Gnadentod ou « mort miséricordieuse » hitlérienne, les doctrines eugénistes, le tourisme de la noirceur humaine, et leurs contreparties empathiques autour des infirmes, des malformés, et des victimes d’anomalies génétiques.

Ludovic Lancien part de faits authentiques – la fondation du Cottolengo, ou Petite Maison de la Divine Providence (initialement Dépôt des pauvres infirmes du corps du Christ) et de la confrérie correspondante par le prêtre Joseph-Benoît Cottolengo, à Turin, dans les années 1830, puis de ses annexes à travers le monde – pour imaginer une série d’asiles spécifiquement consacrés aux monstres humains autour desquels vient graviter l’enquête, et autour desquels rôdent des personnages peu reluisants. Car, plus encore que l’énigme, le véritable sujet de ces « Oubliés de Dieu » est cette frontière trouble entre acceptation et rejet, entre haine et empathie, entre compassion et révulsion, qui anime les êtres humains face aux déshérités et aux monstres. Une frontière trouble à laquelle vient en écho un autre frontière, celle entre la simple fascination pour le mal et la bascule dans ses abysses, pour ceux qui pratiquent le tourisme de masse morbide.

Nicolas Lancien évite l’écueil majeur de son projet en refusant de se complaire dans le voyeurisme. S’il s’est abondamment documenté – pour preuve la mention du catalogue « Mendelian Inheritance in Man » et des travaux de Victor McCusick – il ne décrit guère qu’une seule pathologie, là où d’autres auraient sans doute cédé à la facilité de la surenchère. Dans le registre des défauts, les lecteurs pointilleux noteront que même si l’auteur multiplie les efforts pour la rendre crédible, l’utilisation de la carte de visite en tant que jalon permettant de remonter la piste apparaît un peu trop providentielle et sent l’artifice, que les policiers se font ouvrir les portes un peu plus facilement que la loi ne le voudrait, en France comme en Italie, et qu’ils prennent la liberté d’en défoncer d’autres, mais c’est aussi un peu la loi du genre. On regrette également que la dernière phrase soit incompréhensible pour qui n’a pas lu « Le Singe d’Harlow », le premier roman de l’auteur, car ceux qui ne connaissent pas le personnage mentionné auront l’impression d’une chute qui leur échappe, d’un protagoniste qu’ils auraient oublié en cours de lecture.

Mais peu importent ces détails. Explorant sans prétention des frontières troubles, ne se limitant pas à une morale manichéenne et convenue qui voudrait que les pires monstres ne soient pas ceux qui en ont l’air, Ludovic Lancien livre un ouvrage instructif et plaisant, un petit polar qui se lit avec facilité et maintient la tension de bout en bout.


Titre : Les Oubliés de Dieu
Auteurs : Ludovic Lancien
Couverture : Shutterstock
Éditeur : Hugo
Collection : Hugo Poche Suspense
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 255
Pages : 494
Format (en cm) : 11 x 18
Dépôt légal : novembre 2020
ISBN : 9782755685305
Prix : 7,60 €



Hilaire Alrune
5 décembre 2020


JPEG - 26.2 ko



Chargement...
WebAnalytics