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Même les Araignées ont une Maman
Alain Gagnol
Syros, Hors collection, roman (France), thriller fantastique, 458 pages, octobre 2020, 17,95€

Thomas veille toute la nuit à sa fenêtre : son chat a disparu, et un tueur d’animaux rôde en ville, laissant chaque matin un cadavre écorché en évidence. Vers 4h du matin, l’ado a la surprise de voir débarquer sur la pelouse Emma, son étrange voisine du bout de la rue, une fille de son âge qui ne vient pas au lycée et sur laquelle courent les plus folles rumeurs. Son petit manège nocturne ne va pas améliorer sa réputation : elle donne l’impression d’écouter... Et lorsqu’il se porte à sa rencontre, elle lui intime de se taire alors qu’il n’a pas ouvert la bouche !
Emma a un grand pouvoir, qu’elle ne contrôle pas : elle est télépathe. Contrainte de vivre recluse, seule avec son père qui fait tout pour canaliser ses propres pensées, elle n’a que la nuit pour sortir sans entendre une cacophonie permanente.
Avec l’aide de Thomas, elle va domestiquer son pouvoir, et rêver à une vie sociale presque normale. Et s’ils retrouvent son chat, ils vont ensuite se mettre à la recherche d’un tigre aux traits d’homme : le psychopathe qui tue les animaux...



Après le succès de sa trilogie « Power Club », Alain Gagnol revient avec une histoire de super-pouvoir. Mais s’il conserve une dimension « apprentissage » fréquent en littérature jeunesse, ce roman nous entraine dans la noirceur dont l’auteur sait faire preuve pour ses ouvrages publiés dans la Série Noire de Gallimard. On a affaire ici à un thriller bien sombre, avec un monstre criminel qui hante les rues et frappe sans qu’on puisse l’arrêter, un prédateur à sang froid très méticuleux, qui ne laisse rien derrière lui qui permette de l’identifier. Le montage de couverture, signé Nicolas Vesin, est on ne peut plus explicite quant au contenu du livre.

Mais intéressons-nous à Emma et Thomas. Pour ce nouveau super-pouvoir que sa nouvelle héroïne doit apprendre à maîtriser, l’auteur choisit un effet passif, subi. Faute de le contrôler, Emma a dû apprendre à faire avec, comme un terrible handicap qui l’empêche de vivre normalement. Les fans de super-héros penseront bien sûr à Charles Xavier et surtout Jean Grey des « X-Men » : le premier et surtout la seconde ont largement souffert de ce pouvoir avant de l’apprivoiser et le retourner à leur avantage (bon, la 2e a mal tourné, ok). Alain Gagnol suit ici le même parcours, brossant des années de jeunesse difficile pour Emma depuis l’apparition de sa capacité, puis fusionnant cet apprentissage du contrôle avec le rapprochement entre ses deux ados, la croissance de cette confiance mutuelle l’un dans l’autre. Pas facile pour un garçon de quinze ans de garder ses hormones sous contrôle, au risque de faire peur à sa nouvelle amie... Sous la plume de Gagnol, ces petits relâchements peuvent être aussi violents et douloureux qu’un coup de couteau dans cette amitié naissante. Emma, qui a vécu son début d’adolescence isolée, et qui accorde sa confiance au gentil et timide Thomas, n’est pas forcément armée pour encaisser des bouffées de désir juvénile, et les premiers fantasmes échappés de l’esprit de Thomas la blessent cruellement.

Dans sa narration, l’auteur alterne les points de vue d’un chapitre à l’autre, pour mieux nous immerger dans les pensées (et leur contrôle) de ses héros. Si Thomas a davantage la charge de faire avancer le récit, Emma est forcément centrée autour de son pouvoir et de la peur permanente qu’il lui inspire. Une peur qui lui a dicté sa loi et qu’elle entend dominer, canaliser : il y a la douleur physique d’encaisser toutes les pensées qui l’entourent mais surtout la violence psychologique de capter des choses blessantes, des pensées à peine conscientes de ses proches, comme son père, qui ne peuvent être en permanence sur leurs gardes, ou des horreurs nettement formulées. Ainsi, lorsqu’elle va s’exercer contre des jeunes qui zonent, les images d’agression et de viol la frappent plus durement que les poings... Mais chaque épreuve est pour Emma un pas de plus vers l’endurcissement, le contrôle, la maitrise, le renversement des rôles : de souffrante, victime, elle devient justicière, protectrice des autres (les chats en premier lieu).

Tout cela est raconté avec cette même minutie de la psychologie adolescente qui nous avait déjà plu dans « Power Club ». Emma fait des progrès rapides, que l’auteur justifie habilement (une question de motivation), et si Emma paie douloureusement ses excès de confiance, elle se sent bientôt prête à sortir dans le monde, avec Thomas, pour s’exercer, avant de mettre son plan à exécution : retrouver ce son glaçant qu’elle a attrapé une nuit au vol, la musique des pensées du tueur.
La police pataugeant complètement, elle parvient à convaincre Thomas qu’elle seule peut retrouver le tueur. Lire dans les pensées des enquêteurs et des témoins est un autre atout fort utile. Néanmoins, les deux ados s’attaque à un monstre, aux pensées si nauséabondes qu’elles provoquent nausées et haut-le-coeur à Emma, la paralysant complètement. Plus qu’une ado qui gagne en force en domestiquant son pouvoir, Alain Gagnol brosse un Méchant particulièrement affreux,un monstre sans pitié ni humanité dissimulé sous des traits avenants, incitant à la confiance. Et dans le domaine psychique, bien plus fort qu’une ado. Leurs rencontres seront d’une extrême violence, et l’auteur ne ménage pas ses lecteurs, jouant avec nos nerfs à plusieurs reprises, avant de nous offrir un combat final aux ressorts classiques mais d’une grande intensité, aux multiples retournements. On en ressort aussi lessivé que l’héroïne.

J’écris toujours que je ne suis pas très thriller. Celui-ci est mâtiné de tant d’autres choses, de tous les éléments psychologiques et sociaux qui font la qualité d’un roman ado, qu’on le dévore jusqu’à se heurter, comme Thomas et Emma, à la noirceur absolue du mal qu’ils pourchassent. C’est violent, mais il est trop tard pour reculer, je préviens juste une nouvelle fois que ce n’est pas pour les âmes sensibles et les moins de douze ans.

Encore une fois, Alain Gagnol nous tient en haleine du début à la fin, jouant sur toutes les cordes de nos émotions, pour nous offrir un thriller fantastique dense et complexe, plein d’humanité dans tous ses excès, les meilleurs comme les pires.


Titre : Même les araignées ont une maman
Auteur : Alain Gagnol
Couverture : Nicolas Vesin
Éditeur : Syros
Collection : Hors collection
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 458
Format (en cm) :
Dépôt légal : octobre 2020
ISBN : 9782748526684
Prix : 17,95 €



Nicolas Soffray
10 novembre 2020


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